Chroniques
La politique du spectacle et le spectacle de la politique
Par Marouen Achouri
Il semble entendu en Tunisie que la présidentielle est devenue plus importante que les législatives. On ne parle plus que de ça dans les sphères politiques et dans les médias! Se présentera, ne se présentera pas? Signatures de citoyens ou de députés? Achetées ou spontanées? Les suppositions et les pronostics se succèdent à l'image des paris avant une course de chevaux.
Chacun mise sur son poulain et met à son service son savoir-faire, ou son aura, ou son argent ou ses réseaux. Le tout, évidemment, avec un sens aigu du spectacle! On pourrait même dire que c'est tout ce qu'il y a à se mettre sous la dent. Le spectacle des réceptions à l'aéroport de Tunis, ou encore le spectacle donné au palais des congrès devant un parterre des plus fervents supporters, sans parler de celui qui utilise les moyens de l'Etat pour faire sa campagne.
Béji Caïd Essebsi avait convoqué une assemblée de 1.000 personnalités pour expliquer les raisons de sa candidature à la présidentielle. Il a été question pêle-mêle de droits de la femme, d'administration, de trahisons internes dans le parti, du fait que Nidaa Tounes prenait du poids et que cela dérangeait et suscitait toutes sortes de complots. Mais bien malin qui saurait dire pourquoi Béji Caïd Essebsi est candidat à la présidentielle. Le temps passé par ses partisans à applaudir l'aura peut-être empêché de tout bien expliquer…
Par ailleurs, du côté de l'aéroport Tunis-Carthage, on a pu voir le remake d'un autre retour triomphal. Après Rached Ghannouchi en 2011, c'est au tour de Mondher Zenaïdi en 2014! En beaucoup moins conséquent bien sûr, mais quand même c'était une belle tentative. Disons qu'il y avait quelques milliers de personnes qui l'attendaient à l'aéroport pour crier "Fils du peuple" et le fameux "Berrouh, Beddam, nefdik ya Mondher!". Encore un exemple d'un joli spectacle donné aux citoyens pour leur dire : C'est lui! C'est lui le sauveur de la Tunisie!
Et c'est bien là le problème! On ne cherche pas un président de la République, on cherche un sauveur. On ne cherche pas un homme politique, on cherche un papa. D'ailleurs, les fervents sympathisants des différents candidats vous jettent cet argument à la figure dès les premiers échanges. Pourquoi je voterais pour X? Parce qu'il va sauver la Tunisie! Et si j'ai pas envie de voter pour X? Et bah c'est que tu es contre l'intérêt de la Tunisie et que tu n'y comprends rien!
Voilà comment la conversation tourne court. Voilà le spectacle de la politique tunisienne. Une bande de "gamins" qui se battent pour une glace. Ils s'échangent des petites phrases, s'accusent, se maudissent, mais ne construisent rien. Les programmes n'ont aucune place dans le débat public. Trop technique, trop ennuyeux, et puis il faut travailler pour pondre un programme quand même! Donc, on préfère les commérages de bas niveau entre les différents "sauveurs de la Tunisie". On se contente des grandes déclarations d'intention aussi redondantes que vides du genre : "Je vais travailler à réduire le chômage et à répartir le développement national de manière équitable sur les régions tunisiennes. Je vais également doter l'armée des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre le terrorisme"…
Et puis, pourquoi ils s'embêteraient à nous parler de programmes et d'actions concrètes? S'il y a une offre de médiocrité c'est qu'il y a une demande. Hormis quelques obsédés, personne ne se soucie des programmes et les politiciens l'ont bien compris. Tout est une histoire d'image et de communication. Le spectacle de la politique est désolant et la politique du spectacle semble payer. Mais attention ! Elle semble payer uniquement auprès d'une minorité de citoyens, celle qui "pleure sa Tunisie" depuis la révolution ou encore celle qui appelle aujourd'hui à "voter utile". C'est le cas également de ceux qui sont encore enfermés dans les mythes et les complots de l'ancien régime et qui ne cherchent que la vengeance.
Il faut être conscient que la majorité des citoyens tunisiens se divise entre indécis et abstentionnistes. Ceux qui sont dégoutés du spectacle ambiant et ceux qui ne savent pas pour qui voter, qui ne se reconnaissent pas dans l'offre politique actuelle. Des personnes exaspérées par le discours de "sauveur de la Tunisie" tellement usé et surfait. Le discours qui dit "sans moi vous ne serez rien". Des personnes qui constatent et qui vivent au quotidien l'incivilité, le chômage, la corruption, etc. Ce sont des personnes qui n'ont pas spécialement de désir de vengeance et qui n'ont pas de Tunisie à pleurer.
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