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Chroniques
Fermons le tribunal administratif !
Par Marouen Achouri
18/09/2024 | 16:00
4 min
Fermons le tribunal administratif !

 

La membre de l’instance des élections, Najla Abrougui, a défrayé la chronique ces derniers jours avec une déclaration pour le moins étonnante. Interrogée sur les derniers verdicts et explications fournis par le tribunal administratif, elle a estimé que « le communiqué du tribunal administratif est dépassé. Il n’y aura pas de retour en arrière ». Elle a ajouté que « l’Isie est la seule instance constitutionnelle garantissant le processus électoral et son intégrité : elle a un calendrier et des échéances fixes, et il n'y a pas de retour en arrière possible ». Mme Abrougui a ensuite sorti un argument massue, qui n’a pas manqué de faire sourire, selon lequel les bulletins de vote étaient déjà imprimés ! Autrement dit, l’instance réaffirme qu’elle n’a cure des décisions et des verdicts du tribunal administratif et qu’elle poursuivra sa mission d’assurer la tenue de l’élection présidentielle.

 

Le plus drôle – ou triste- dans cette démarche c’est de présenter les verdicts et les décisions du tribunal administratif comme étant un simple avis juridique qui peut être discuté et auquel on peut s’opposer. Le verdict de 27 juges est présenté comme une matière à réflexion et à interprétation. « Il ne s’agit là que de l’avis du tribunal administratif et d’autres lectures juridiques sont possibles », répètent en chœur les soutiens du régime à longueur de journée. On ose même accuser le tribunal administratif de vouloir perturber le sacrosaint processus électoral. Or, la réalité est bien différente car il s’agit de verdicts prononcés en appel qui sont irrévocables et non susceptibles de recours. Même l’Isie n’avait pas osé discuter les verdicts dans un premier temps et avait prétexté l’impossibilité de les appliquer. C’est comme si une personne était jugée devant un tribunal pour vol, et au prononcé de la sentence le coupable disait : « non, j’ai une autre lecture du texte de loi et je ne vais pas appliquer votre sentence votre honneur ! ». C’est quand même assez aberrant.

Même dans l’éventualité, inexistante il faut le redire, que les verdicts du tribunal administratif soient discutables, il y a quand même unanimité autour de leur validité. Evidemment, unanimité de la part des professeurs et des experts en droit, pas l’unanimité de ceux qui les insultent et portent atteinte à leur intégrité et à celle des juges en toute impunité. Près d’une centaine de professeurs de droit ont publié un communiqué réaffirmant le caractère irrévocable des verdicts du tribunal administratif et le fait que l’Isie est obligée par la loi de s’y conformer. Quand autant d’éminents experts en droit sont d’accord, et c’est plutôt rare, le bons sens voudrait que la cause soit entendue, que le sujet soit clos. Mais non, on a décidé d’ignorer, tout simplement, les professeurs de droit avec leurs dizaines d’années d’expérience et leurs centaines d’articles de recherche publiés. Touchés également par la chose juridique, l’ordre des avocats et l’Association des magistrats tunisiens ont également versé dans le même sens et ont appelé au respect des verdicts prononcés par le tribunal administratif. Ils ont été totalement ignorés. On a décidé de privilégier la lecture relayée par les soutiens du régime en place qui se sont initiés au droit administratif la semaine dernière.

Mais en même temps, il faut bien avouer que le fait d’ignorer tout simplement les verdicts du tribunal administratif n’est pas inédit. C’est loin d’être la première fois que ça arrive. Ce même tribunal avait eu l’audace d’exiger la réintégration à leurs postes de plus de quarante juges qui avaient été renvoyés par décret présidentiel. Le ministère de la Justice n’avait pas réussi à prouver leur culpabilité et donc le tribunal administratif a décidé de leur réintégration. Ce verdict a tout simplement été ignoré par la « fonction » exécutive qui n’a donné aucune suite à ces verdicts. Y a-t-il eu une seule conséquence ? Non, aucune. Mieux encore, quand le président de la République reçoit le président du tribunal administratif pour la remise du rapport annuel, il lui enjoint de faire applique la loi en soulignant l’importance du rôle du tribunal administratif ! Cela ressemblerait presque à une blague. Plus loin dans le passé, la présidente de l’instance Vérité & Dignité, Sihem Ben Sedrine, avait également ignoré les verdicts du tribunal administratif. Sa décision de virer certains membres du conseil de l’instance avait été cassée par le tribunal, mais elle avait décidé de ne pas s’y conformer, tout simplement.

 

Alors au vu de tout cela, il serait plus simple de supprimer le tribunal administratif et de faire des économies sur le budget national. L’Etat porte atteinte à la crédibilité de ce tribunal et ses verdicts sont superbement ignorés, alors à quoi bon ? Celui qui possède le pouvoir, a la latitude de faire ce que bon lui semble. Plus sérieusement, il restera tout de même au tribunal administratif la fierté d’avoir fait son travail et tenté de faire appliquer la loi en toute indépendance. Les juges du tribunal administratif, institution qui a résisté même au régime Ben Ali, pourront sans difficulté trouver le sommeil la nuit et dormir la conscience tranquille. Parions que c’est loin d’être le cas de tout le monde.

Par Marouen Achouri
18/09/2024 | 16:00
4 min
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Commentaires
Bacchus
Paradoxe Tunisien!
a posté le 19-09-2024 à 09:50
Mesdames et Messieurs de l'ISIE, c'est votre devoir de refuser d'inclure des noms ne répondant pas aux conditions constitutionnelles, mais il y a une autre solution que la désobéissance à l'autorité judiciaire. Rien à vous reprocher, au contraire votre travail est impeccable Mesdames et Messieurs les magistrats du TA. Car nous constatons une incompétence manifeste de la part des concepteurs des lois du Code électoral, ajoutons à cela l'absence de la Cour Constitutionnelle ; c'est ce qu'on appelle le Paradoxe Tunisien. Un tribunal prononce son verdict en se basant sur les éléments contenus dans les dossiers et en appliquant les textes de lois à la lettre. L'ISIE se prononce sur la constitutionnalité des candidatures et doit obéir aux décisions du TA. Si j'étais président de l'ISIE, et que j'aurais constaté, que des contradictions et des lacunes dans les textes, vont permettre à des gens ne répondant pas aux exigences de se présenter à l'élection : je déclarerais que les textes régissant le scrutin sont caducs et qu'il est impossible d'organiser des élections dans des circonstances pareilles et présenterais la démission collective des membres de l'ISIE.
A1
Demolitions institutionnelles !
a posté le 18-09-2024 à 17:07
Très bien dit. A coup sûr ça sera la prochaine étape du processus de démolition institutionnelle intensive. Que nous restera-t-il ensuite ?

Conseil supérieur de la magistrature: démoli.
Conseil supérieur de la magistrature provisoire: démoli.
Cour constitutionnelle: mort-née voire inutile puisque nous avons un super constituionnaliste.
Indépendance de la justice: assassinée avec le décret 35.
HAICA: démolie.
Instance nationale de lutte contre la corruption: démolie.
Crédibilité de l'ISIE: on ne peut rien dire, son ubiquité nous mènerait avec tout le staff de BN rejoindre boufarda.

Seul l'Etat de droit nous sauvera et garantira la dignité à tous les tunisiens, le tribunal administratif et ses 27 juges en sont les derniers gardiens. Résisteront-ils ?

Nous sommes les héritiers des carthaginois. Carthago est aeterna.
Lamjed
On peut faire des collectes
a posté le 18-09-2024 à 16:55
Si c'est à cause des dépenses des imprimés, on peut faire des collectes pour l'ISIE pour la rembourser.

LMT
Calamité
a posté le 18-09-2024 à 15:59
Le président français F.Mitterand parlait de la "force injuste de la loi". Celà s'applique parfaitement à la"loi"imposée par cette calamité de Bouasker et compagnie.
Tounsi
non-loi
a posté le à 17:08
@LMT: ça n'a rien à voir avec ce que disait Mitterand: ici c'est la force injuste de la non-loi !