Le ministère de l'Intérieur restera le Grand Méchant Loup
Dans sa Une du 28 septembre, Business News consacrait un article à la stratégie de communication du ministère de l’Intérieur sous le titre « Le ministère de l’Intérieur ne veut plus être le Grand Méchant Loup ».
« Le ministère de l’Intérieur cherche, à travers la nette amélioration de sa stratégie de communication, à redorer son image », peut-on y lire en conclusion. S’il communique plus, le ministère de l’Intérieur ne communique sans doute pas mieux. Des arrestations en masse pour prouver que les forces de l’ordre font bien leur travail, mais aucun respect pour la vie privée des gens ou leurs droits les plus élémentaires en vertu de la règle absolue qui dit que « la sécurité passe avant la politesse ».
En effet, le problème est loin d’être un souci de communication, ce sont ses manières de faire qu’il n’arrive toujours pas à décrotter.
L’affaire du Franco-Algérien et de la Tunisienne arrêtés dans leur voiture et condamnés à de la prison ferme pour « atteinte aux mœurs » et « outrage à un fonctionnaire public », plus connue comme « l’affaire du baiser » en est un parfait exemple. Les avocats ont beau parler, détailler les faits, expliquer qu’il s’agit d’un énième dossier d’abus policiers et de justice conciliante, et non d’une simple affaire de mœurs, on ne veut rien entendre.
On ne le répétera jamais assez, la raison principale pour laquelle ces deux personnes sont en prison n’est pas parce qu’ils ont échangé un baiser (ou plus), mais parceque l’un d’eux a « osé » répondre à un policier et réclamer des droits à un membre des forces de l’ordre. Qu’on soit bien d’accord, face aux forces de l’ordre, vous n’avez que très peu de droits.
Le ministère de l’Intérieur sort ses meilleurs organes de propagande et donne une version des plus scabreuses. S’il ne peut pas toujours passer par certains médias pour faire le sale boulot, il trouve toujours le moyen de faire avaler ses couleuvres….à ceux qui veulent bien l’entendre.
Pour y arriver, on met la lumière sur ce qui dérange, sur ce qui touche plus profondément les masses et on détourne le débat sur le fond du problème pour les laisser « s’entretuer » pour des broutilles. La machine de propagande se concentre sur la femme.
On oublie l’homme, lui aussi, objet de l’affaire et on décrit l’état et la position dans laquelle la femme était au moment de l’arrestation. « Elle ne portait pas de sous-vêtements » et les foules crient au scandale, touchées dans le plus profond d’elles-mêmes. Quoi de plus scandaleux ?
Plus de place donc à la raison ou au raisonnement. Stigmatiser la femme, en voilà une méthode gagnante !
Comme à chaque fois, comme dans les affaires de viol où on demande aux filles ce qu’elles portaient au moment de l’agression et à quelle heure elles étaient dehors et si elles avaient bu. De quoi nous rappeler l’histoire de la jeune Meriem qui a été abusée par des policiers. Avant d’obtenir, au final, gain de cause, la victime a été trainée sur le bûcher, stigmatisée et culpabilisée.
Tant qu’une femme est jugée, selon les normes de la société et les standards établis par une majorité patriarcale et traditionnelle, comme étant de « mœurs légères », on n’en parle plus. Elle a mérité ce qui lui arrive.
Dans les faits, les deux personnes n’ont été ni arrêtées, ni jugées sur la base de ce qu’ils faisaient dans la voiture, mais pour avoir ouvert la bouche, un peu trop fort, face à un policier qui se la jouait Dieu tout puissant ! Mais aux yeux des foules, ceci n’a que très peu d’intérêt.
Les abus policiers continueront et la justice ne cessera pas de lui emboiter le pas et de les couvrir aussi longtemps que les notions de mœurs et de religion entacheront la majorité des dossiers. Le parlement peut voter les plus belles lois du pays. Des lois qui pourraient faire que la Tunisie n’aura plus rien à envier aux plus grandes démocraties du monde. Dans les faits, nombre d’entre elles ne seront pas appliquées.
Le citoyen normal ne s’aventurera pas à demander à se faire assister par un avocat s’il sait d’avance que son droit sera refusé. Aux oubliettes alors une loi fraîchement votée et qui a fait le bonheur (et le combat) de nombreux droits-de-l’hommistes soucieux de voir un changement enfin se réaliser en Tunisie.
Un simple contrôle d’identité qui finit au poste et fait couler autant d’encre, alors que la Tunisie a d’autres (plus gros) chats à fouetter. N’est-ce pas une perte de temps monumentale ?
En attendant, un ministre décède dans l’exercice de ses fonctions, pendant qu’il accomplit sa mission de ministre en cette période très difficile. « Il n’est pas facile d’être ministre aujourd’hui », voilà une phrase que m’a confiée l’un des anciens ministres des gouvernements Chahed et qui résonne plus vraie que jamais aujourd’hui. Paix à l’âme de feu Slim Chaker !