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Grâce à Slim Riahi et Nabil Karoui, le ‘’lawfare’’ fait son entrée en Tunisie
06/09/2019 | 21:00
7 min
Grâce à Slim Riahi et Nabil Karoui, le ‘’lawfare’’ fait son entrée en Tunisie

 

Le « lawfare » est un concept nouveau signifiant l’instrumentalisation de la justice pour éliminer un adversaire politique. Bien en vogue en Amérique du Sud, le mot vient de faire son entrée en Europe et, récemment en Tunisie avec les affaires Nabil Karoui et Slim Riahi.

 

Pour la présidentielle 2019, l’Histoire retiendra que l’on a un candidat recherché par la justice, en fuite dans un ranch à l’étranger, un autre candidat en prison sans aucune condamnation, deux candidats ayant un redressement fiscal et des démêlés avec la justice, mais qui continuent à faire ce que bon leur semble et, enfin, un candidat-chef du gouvernement poursuivi dans plusieurs affaires en justice, mais qui n’a fait l’objet d’aucune convocation judiciaire pour le moment.

Y a-t-il une ingérence du politique dans la justice ? Une instrumentalisation politique de la justice ? Rares sont ceux qui ne le pensent pas. Les magistrats eux-mêmes sont outrés par ce qui se passe actuellement en Tunisie sur la scène politico-judiciaire.

Les affaires en question sont celles de Slim Riahi, poursuivi dans plusieurs dossiers liés à la sûreté de l’Etat et de blanchiment d’argent ; Nabil Karoui poursuivi dans du blanchiment d’argent ; Seïfeddine Makhlouf qui a un redressement fiscal de 260 mille dinars ; Abir Moussi qui a été condamnée par contumace à quatre mois de prison ferme pour évasion fiscale ; et Youssef Chahed poursuivi dans plusieurs affaires dont la dernière en date est l’utilisation de deniers publics pour des raisons électoralistes.

Pourquoi la justice est-elle sévère avec les uns et souple avec les autres ? Que doivent faire les magistrats face à des cas avérés d’infraction à la loi commis par des hommes politiques candidats à des élections ? Comment peut-on prémunir la justice de ces suspicions d’instrumentalisation ?

Les questions sont nombreuses, les avis sont partagés, mais la finalité est la même : le processus démocratique, tout comme la justice, sont entachés par ces affaires.

 

Pour le cas de Nabil Karoui, le plus spectaculaire et le plus injuste de tous, l’affaire est claire, on est bel et bien face à un « lawfare ».

Le « lawfare » est un concept ramené d’Amérique du Sud qui désigne une instrumentalisation de la justice pour éliminer un adversaire politique. Le concept est une contraction de deux mots anglais, « law » signifiant loi et « warfare » signifiant guerre.

Sans aller jusqu’à définir la chose par ce nom, Salwa Smaoui épouse de Nabil Karoui considère, et à raison, son mari comme étant un prisonnier politique. Mais c’est tout comme puisque cela revient au même. Elle a rappelé, hier jeudi 5 septembre, la définition de ce qu’est un prisonnier politique. Il faudrait quatre caractéristiques pour définir un prisonnier politique, dit-elle : « la qualité de l’homme ; le timing de l’arrestation ; l’emballage non politique à une affaire judiciaire ; la forme et la manière de l’arrestation ». Nabil Karoui est bien un homme politique puisqu’il est candidat à la présidentielle. Le timing est suspect puisqu’il a été arrêté à trois semaines du scrutin, pour une affaire qui date de 2016 et alors même que le juge chargé de l’instruction l’a laissé en liberté. L’emballage est plus que suspect puisque cette affaire de blanchiment n’est toujours pas avérée (la preuve, le juge l’a laissé en état de liberté) et a été déclenchée par l’ONG I Watch financée par des organisations politiques (l’Union européenne). La forme et la manière sont bien scandaleuses puisque, comme le rappelle Mme Smaoui, « Toute cette violence n’a même pas été utilisée avec les terroristes. Pourtant, Nabil Karoui a toujours respecté la justice. Il s’est rendu à toutes les auditions sans aucune objection ! ».

 

Mais il faudrait dépasser le cas de Nabil Karoui pour s’arrêter sur ce qui est cent fois plus grave, à savoir cette pratique du « lawfare » par Youssef Chahed. Aujourd’hui, c’est Nabil Karoui, demain c’est vous ! Et il n’est jamais superflu de rappeler ce principe basique de justice, qu’est la présomption d’innocence. Aujourd’hui, et indépendamment de tout ce que l’on peut penser de Nabil Karoui et de Slim Riahi, leur présomption d’innocence est bafouée et leur honneur sali devant l’opinion publique. Les deux ont pourtant bien clamé leur innocence et les deux ne désespèrent pas d’être blanchis par la justice. Imaginons alors un seul instant les dégâts causés pour eux et pour la démocratie tunisienne, une fois le « lawfare » établi.

Conscient de la gravité des faits et de leur impact sur l’opinion publique et le processus démocratique, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a indiqué suivre tous les dossiers judiciaires sans distinction en respectant les principes de l’égalité et du droit à un procès équitable.

L’inspection générale relevant du ministère de la Justice a été chargée d’examiner d’urgence les affaires concernant de près l’opinion publique. Ces dossiers seront introduits également dans l’agenda des travaux de l’assemblée générale du CSM. Plusieurs hommes politiques ont exhorté le CSM à protéger l’indépendance et l’impartialité de la justice vu son rôle dans l’instauration du processus démocratique, et ce en rapport avec l’arrestation de Nabil Karoui.

Faut-il plus que cela pour dénoncer ce « lawfare » qui fait son entrée par la grande porte sous le « régime » de Youssef Chahed après avoir quitté le pays par la petite porte sous Ben Ali ?

 

A vrai dire, il n’y a pas qu’en Tunisie où l’on dénonce le « lawfare ». En France, le leader de gauche Jean-Luc Mélenchon se plaint également de l’instrumentalisation politique de la justice. « Désormais le lawfare est utilisé sur tous les continents jusqu’en Europe où le procès des insoumis les 19 et 20 septembre prochains en sera la première application organisée comme un spectacle par les amis du pouvoir », écrit-il sur son blog. En tournée en Amérique du Sud, Mélenchon dénonce le « lawfare » qu’il voit partout, en Argentine où l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner est persécutée et doit se débattre avec des accusations rocambolesques de corruption (tiens ! comme chez nous !) et les argumentaires bancals de l’accusation. En Argentine on fait nettement un « peu mieux » qu’en Tunisie, car là bas on a bâclé l’instruction de telle sorte que le spectacle du procès corresponde à la campagne électorale.

Ce même concept de « lawfare » a été également utilisé au Brésil, ce qui a conduit l’ancien président Lula en prison et  l’ancien président équatorien Rafael Correa à l’exil.

 

Le « lawfare » est donc de nouveau dans l’air du temps. La mode du « vintage » ne touche pas que les meubles, les vêtements et la décoration, elle touche également le politique. Youssef Chahed, conseillé par de bons spin doctor a-t-il importé ce concept d’Amérique du Sud, aidé en cela par l’organisation dite non gouvernementale I Watch ? Sans aller jusqu’à la théorie du complot, les similitudes avec ce qui se passe ailleurs dans le monde sont pour le moins troublantes.

Youssef Chahed se défend de toute instrumentalisation, bien entendu, et on clame un peu partout l’indépendance de la justice et sa neutralité. Il se trouve cependant que c’est exactement la même ligne de défense utilisée par les dirigeants sud-américains en dépit de toutes les preuves, les coïncidences et les similitudes. 

 

Nizar Bahloul

 

L’histoire du « lawfare »

Voici comment définit le journal français « L’Obs » le Lawfare :

« Le concept résulte de la contraction des mots law, loi, et warfare, guerre. Il a été employé pour la première fois en 2001 par Charles Dunlap, un officier de l’armée américaine, pour dénoncer l’usage du droit comme arme de guerre, explique Adrien Estève, doctorant au Centre de Recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po et auteur d’un article sur le sujet dans la revue « l’Enjeu mondial ».

Au début des années 2000, ce terme a d’abord été adopté par les néoconservateurs américains et l’administration Bush pour dénoncer les organisations internationales, vues comme des freins à la politique étrangère américaine. « L’isolation de l’Iran, notamment via des sanctions économiques, par l’entremise du droit, est un autre exemple de lawfare », illustre Adrien Estève.

Depuis, cette notion utilisée en relations internationales s’est donc élargie à la sphère politique. « C’est une arme utilisée dans une guerre politique qui vise à affaiblir un adversaire. En Amérique latine, et notamment au Brésil, le terme a été mobilisé par la gauche militante et politique ainsi que par des juristes pour pointer les dysfonctionnements de la justice », explique Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris). Mais pour ce spécialiste de l’Amérique latine, rien de comparable avec la France : « La justice brésilienne a atteint des niveaux de dysfonctionnement très avancés par rapport aux justices européennes. »

06/09/2019 | 21:00
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Commentaires (30)

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Maxula
| 08-09-2019 19:15
"des personnages, qui à l'évidence ont déjà choisi leur camp"

Vous avez tout résumé.. ..et bien résumé !
J'ajoute seulement que certains (certaines) porteurs d'oeillères(*) gagneraient à vous lire "attentivement" !
Maxula.
(*) BN itou !

G&G
| 08-09-2019 14:59
Si Y Chahed et Mourou sont battus le chef du gouvernement continuera à gérer le pays pour au moins 3 mois supplémentaires laissant ce dernier faire tout ce qu'il veut pour se venger et vendre le pays avant de prendre la poudre d'escampette.

abouali
| 08-09-2019 13:35
Que valent finalement les commentaires que nous nous échinons à écrire, dans lesquels nous déclinons nos avis, nos idées, notre indignation ou notre approbation ? A rien, apparemment, sauf pour certains à satisfaire un besoin d'être publié ou un désir narcissique de se relire. Il est présomptueux de croire que la rédaction de BN ou même son modérateur, qui insère imperturbablement tout ce qui lui parvient "avec ses plumes et son herbe" (brichou wa hchichou), s'émeuve des critiques, remises en questions, accusations de non-objectivité et de médisance parfois, qui lui parviennent à travers nos posts. C'est faire preuve d'une insondable ingénuité que de penser que nos avis puissent influer en quoi que ce soit sur la ligne éditoriale ou atténuer quelque peu les dérives, qui s'étalent maintenant au grand jour, des chroniqueurs et de leur engagement aux cotés de la pègre et de ses parrains. Combien d'entre nous ont fustigé ces agissement et exprimé leur grande déception, parfois leur désarroi, devant la mauvaise foi qui s'exhibe sans vergogne à nos yeux incrédules ? Nous a-t-on répondu, ou a-t-on tenté ne serait ce que timidement de développer ou de soumettre les preuves irréfragables de telle ou telle accusation que nous avons signalée comme étant injuste, ignominieuse ou non fondée ? Que nenni ! Ces messieurs dames, et en particulier N. Bahloul, sont les seuls à détenir la vérité vraie, à connaître la réalité des chose, et à nous l'asséner sans scrupule d'aucune sorte, ni hésitation, ni problèmes de conscience. Dans certains cas, lorsque la critique devient trop directe, les ciseaux de la censures s'agitent et les astérisques fleurissent dans les commentaires, quand ils ne sont pas purement et simplement effacés (je présume que ce sera le sort réservé à ce commentaire). Alors, pourquoi se fatiguer à s'adresser à des personnages, qui à l'évidence ont déjà choisi leur camp, ont revêtu les oeillères de l'entêtement et du parti pris, et qui méprisent autant l'intelligence de leur lectorat. Dans un pays où le fléau de l'argent sale et la plaie de la corruption font autant de ravages, il est tout de même navrant de constater que ceux sur lesquels on pouvait compter pour nous éclairer et nous aider à séparer le bon grain de l'vraie, en sont désormais atteints !

Nazou de la chameliere
| 08-09-2019 10:31
'?videmment que vous n'avez ni dieu ni maître ni conscience!!
Vous et vos semblables vous vous êtes comportés sur ce site comme si c'était votre propriété privée!!!
Vous avez fait la même chose sur le pays !!!
Lancer des peaux de banane
Soudoyer ,seduire ,acheter , faire chanter ,piéger, impliquer .
Ce que vous avez fais sur ce site , vous l'avez fais a tout le pays et sur tous LES MEDIAS !!!
Mettre la main sur les médias, cest mettre la main sur la liberté de pensée des citoyens !!!
Le libre arbitre DOIT etre SACR'? !!!
Mais non , pour vous , il n-y a que votre dictature de la pensée unique que vous voulez ,non seulement imposer a la Tunisie mais AU MONDE !!!
Alors dites vous bien une chose ....
Les islamistes et les maffieux n'existent qu'à cause de votre comportement !!!
Vous avez le droit de ne pas croire en dieu !!!
Mais vous n'êtes pas DIEU sur terre non plus !!!
Les tunisiens ont le droit de choisir librement ceux qui dirigeront leur pays !!

Maxula
| 07-09-2019 22:08
"Commence a avoir peur"

Je n'ai peur de rien ni de personne(*), je n'ai peur que de la bêtise humaine, incarnée par beaucoup de belles âmes(**) ici-même qui risquent par leur vote d'amener au pouvoir, soit la mafia affairiste ou, ce qui n'est pas mieux, la mafia islamiste. Point.
Maxula.
(*) Ni dieu ni maître !
(**) La chamelière !

Nazou de la chameliere
| 07-09-2019 20:38
Commence a avoir peur !!
Parce que maxulette sait qu'ils ont ete trop trop trop loin !!!

Maxulette et ses copines comprendront peut-être ce qu'ils ont fait subir a ce pays.

xc
| 07-09-2019 20:19
Le lawfare ne signifie pas l'instrumentalisation de la justice mais plutôt l'instrumentalisation d'un ordre juridique pour rendre une situation donnée illégale et ce dans un but précis. ( ex: les lois portant embargo ou interdiction d'entrer d'un produit dans le cadre d'une guerre commerciale etc...).

En situation de lawfare comme en situation normale, la justice ne fait qu'appliquer la loi en vigueur indépendemment de la cause réelle de sa promulgation.

Un juge appliquant une loi promulguée dans le cadre d'un(e) lawfare n'est pas un juge instrumentalisé. Par contre, il peut être considéré comme instrumentalisé dans le cas oû il refuse d'appliquer une loi en vigueur ou en ralentissant ou en accélérant de manière manifeste ou en refusant d'appliquer les procédures légales en vigueur. ( Cas de la guerre contre la corruption menée par le gouvernement actuel dans lequel la justice agit à deux vitesses...)

Forza
| 07-09-2019 19:18
Peut-être sous l'effet de sondages non officiels. Je trouve aussi l'arrestation de Karoui problématique, il fallait lui faire l'affaire en 2016 mais ça ne le rend pas innocent ou un ange. Ses vidéos fuitées montrent une personne dangereuse pour la démocratie et le respect de la loi, certains disent qu'il a changé après la mort de son fils et il est devenu un autre homme. Le mieux c'est que la justice le libère pour avoir les élections sans violence. La justice aura tout le temps de le juger après, elle peut bien sûr lui interdire de quitter le territoire.

Maxula
| 07-09-2019 18:32
..les esprits éclairés ne manquent pas en Tunisie, même s'ils doivent ramer à contre-courant, contre vents et marées fangeuses, douteuses, suspectes, à ne prendre ni avec des pincettes ni surtout à la légère !
J'ai commenté hier point par point l'éditorial de NB, mais il faut croire que j'avais vu juste puisque "Cruella", la préposée aux ciseaux, m'a courageusement et rageusement censuré.
Pourtant je n'ai pas été plus loin que "Kane 07-09-2019 07:59", ou que "HSE1994 07-09-2019 08:26", ou encore "ntc 06-09-2019 22:20", ou même "jilani 07-09-2019 13:14", ou "Majorité silencieuse 07-09-2019 13:27", ou "DIDON 07-09-2019 15:05".
Tous ces "honnêtes-hommes" gardent vivant l'espoir de voir un jour la Tunisie gouvernée enfin POUR les tunisiens, pas pour des intérêts particuliers, ou mafieux ou pour les "happy few".
Je n'ai pour ma part JAMAIS appelé à voter pour YC.
Je lui ai même reproché deux fautes, celle d'avoir déclaré trop tard sa candidature en restant au pouvoir, et surtout d'avoir dévoilé aussi tard sa seconde nationalité(*) !
Je suis pour le respect des échéances électorales et contre l'affairisme et l'islamisme en politique.
Et surtout, contre le "lawfare" et ceux qui le dénoncent tout en l'utilisant eux-mêmes !
Maxula.
(*) Je suis contre la binationalité pour TOUS les élus, à commencer par les élus municipaux jusqu'au plus haut sommet de l'Etat !

Bob
| 07-09-2019 18:20
Manifestement, définitivement, indiscutablement...le tunisien respecte, voire vénère, les escrocs. C'est le cas de celui qui a signé cet article honteux.