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L’incroyable traque de Ridha Charfeddine
02/05/2025 | 10:50
7 min
L’incroyable traque de Ridha Charfeddine
Service IA, Business News

 

Patron d’entreprise prospère, figure politique influente, ex-président de l’Étoile sportive du Sahel et cible judiciaire depuis plusieurs mois, Ridha Charfeddine incarne une Tunisie qui dérange. Derrière les apparences d’un dossier complexe, c’est le portrait d’un homme traqué qui se dessine. Et les ramifications dépassent largement la seule sphère judiciaire.

 

Ridha Charfeddine est né à Sousse le 2 juillet 1952. Pharmacien de formation, il fonde en 1989 les laboratoires Unimed, aujourd’hui l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique en Tunisie, cotés en bourse depuis 2016. Il co-fonde également la chaîne de télévision Attessia en 2015.

Mais l’homme ne se contente pas des affaires. Il s’illustre sur le terrain politique, élu député en 2014 sur les listes de Nidaa Tounes, puis en 2019 sur celles de Qalb Tounes. Il joue un rôle structurant dans les premières années du jeune Parlement post-révolution. Il est aussi une figure sportive centrale, président de l’Étoile sportive du Sahel, dont il incarne le renouveau dans les années 2010.

Son parcours prend une tournure dramatique le 8 octobre 2015, lorsqu’il est victime d’une tentative d’assassinat. Un homme armé ouvre le feu sur son véhicule. L’attentat échoue, mais l’impact est considérable. L’enquête révèle l’implication présumée d’éléments takfiristes, membres de la katiba Al-Forkan.

 

Une descente aux enfers

Le 3 novembre 2021, Ridha Charfeddine annonce son retrait de la vie publique. Dans une lettre adressée au Parlement, il invoque des raisons « strictement personnelles et familiales ». Il quitte la politique, le sport, et toute activité partisane. Cette décision, brutale, sonne déjà comme une tentative d’échapper à une pression devenue intenable et des déboires judiciaires des plus complexes. Peine perdue, sa démission n’a rien changé au triste sort qui l’attendait et sa descente aux enfers judiciaires du régime de Kaïs Saïed.

À partir de novembre 2023, le nom de Ridha Charfeddine revient dans l’actualité. Le 10 novembre, il est placé en garde à vue dans le cadre de l’affaire du « complot contre la sûreté de l’État », un vaste dossier regroupant une quarantaine de figures de l’opposition, journalistes, avocats et anciens responsables politiques. Le juge antiterroriste décide de le laisser en liberté, mais sa sortie du tribunal est immédiatement suivie d’une nouvelle interpellation, sur ordre du parquet.

Commence alors un engrenage judiciaire que rien ne semble pouvoir arrêter.

Le 24 novembre, il est entendu par le juge d’instruction dans l’affaire du complot contre l’État et le juge a décidé de le laisser en liberté. Il se croyait sorti d’affaires après deux semaines cauchemardesques de garde à vue, sauf que non, une pièce de théâtre lui a été concoctée par le régime. À deux heures du matin, à sa sortie du tribunal, des policiers sont venus l’accueillir et il est à nouveau placé en garde à vue, cette fois pour cinq jours renouvelables, dans le cadre d’un dossier de blanchiment d’argent. Il a piqué une véritable crise de nerfs ! Son équipe de défense avait déjà été informée de la réouverture d’une enquête, dans une affaire classée sans suite en 2021, portant sur des soupçons de corruption financière et administrative, ainsi que de manipulation de marchés publics.

Le 28 novembre, le parquet du pôle économique et financier prend en charge le dossier, qui se ramifie en plusieurs procédures distinctes : soupçons de blanchiment, infractions douanières, opérations financières suspectes, enrichissement illicite, manipulation de marchés publics. Le 4 décembre, deux premiers mandats de dépôt sont émis à son encontre. Un troisième suit, le 2 janvier 2024, sur fond d’accusations toujours aussi floues, selon ses avocats.

 

Des vices de procédure, une condamnation d’une autre époque

Depuis plusieurs mois, les avocats de Ridha Charfeddine dénoncent une suite ininterrompue de procédures iniques. Son conseil, Me Jamel Hajji, évoque un dossier monté en quelques heures, un interrogatoire expédié sans que la défense puisse produire les documents bancaires justifiant certaines transactions, et un procès-verbal signé sous pression. Il dénonce également l’instrumentalisation de délais, l’empilement d’accusations, et une stratégie manifeste d’empêcher toute libération, quel que soit le mérite du dossier.

Le 26 septembre 2024, la chambre des mises en accusation confirme pourtant la décision d’un juge d’instruction de libérer l’homme d’affaires, contre une caution record de 150 millions de dinars. Mais cette décision restera sans effet. Deux autres mandats de dépôt, émis les 4 décembre 2023 et 2 janvier 2024, viennent bloquer sa remise en liberté. Chaque voie de sortie est neutralisée par une nouvelle poursuite, parfois sur des faits déjà couverts par des accords de conciliation — notamment avec la Douane, qui a accepté de revoir à la baisse les montants réclamés.

Et puis survient le 18 avril 2025, date désormais tristement gravée dans l’histoire judiciaire tunisienne : Ridha Charfeddine est condamné à seize ans de prison ferme, dans le cadre de l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État. Un procès de masse qui a vu plus d’une quarantaine de personnalités de premier plan — avocats, journalistes, chefs de parti, parlementaires — jugées en bloc, dans un climat de peur, de flou et d’opacité. Aucune preuve tangible n’est présentée et M. Charfeddine a même été absent aux deux premières séances, parce qu’il n’a pas été informé de son propre procès, alors qu’il se trouvait en prison !

Le cas de Ridha Charfeddine est d’autant plus absurde qu’il s’était officiellement retiré de la vie politique en 2021. Son nom n’apparaît dans aucun schéma, aucun enregistrement, aucun acte préparatoire. Rien ne justifie une telle peine, sinon une volonté d’abattre une figure puissante du Sahel — pour mieux faire taire, une fois encore, ce qui reste de contre-pouvoir dans le pays.

 

Une rivalité familiale en toile de fond ?

L’affaire Charfeddine dépasse-t-elle le cadre judiciaire ? Beaucoup en sont convaincus.

Une hypothèse revient avec insistance : celle d’un règlement de comptes entre grandes familles du Sahel, notamment entre Ridha Charfeddine et les Jenayeh. Le père, Othman Jenayeh, a lui aussi présidé l’Étoile sportive du Sahel. Le fils Hussein a été député sur les listes de Tahya Tounes, parti rival de celui de Charfeddine. Et l’autre fils, Omar Jenayeh, est co-actionnaire de la chaîne Attessia.

Le conflit entre Charfeddine et les Jenayeh est récent, mêlant rivalités sportives, divergences politiques, et surtout une guerre ouverte autour de la direction de la chaîne télévisée Attessia. Charfeddine en a été évincé, le contentieux est devant la justice, et Attessia est devenue entre-temps un organe de propagande notoire du pouvoir, avec en première ligne son chroniqueur Riadh Jrad, coutumier des attaques personnelles contre les opposants.

S’il n’existe à ce jour aucune preuve directe, plusieurs proches de Charfeddine pointent l’influence croissante d’Omar Jenayeh dans les cercles du pouvoir, et s’interrogent : cet acharnement judiciaire n’aurait-il pas été « suggéré » ? L’hypothèse reste spéculative, mais elle explique, au moins partiellement, l’impunité de certains et la brutalité des poursuites contre d’autres.

 

Unimed résiste, pour combien de temps ?

Malgré ces turbulences, les laboratoires Unimed de M. Charfeddine affichent des résultats solides. Au 30 juin 2024, le bénéfice net est en hausse : 7,5 millions de dinars contre 6,6 un an plus tôt. Aucun impact visible, donc, de l’incarcération de son fondateur. Mais l’avenir est incertain : les états financiers annuels 2024 ne sont toujours pas publiés à ce jour (2 mai 2025), en infraction avec les délais légaux. L’assemblée générale n’a pas été convoquée. Un flou s’installe.

Et la question demeure : combien de temps une entreprise peut-elle tenir sans son capitaine, avec un actionnariat verrouillé, une réputation en tension, et un climat politique hostile ?

 

Une affaire d’État maquillée en contentieux judiciaires

L’affaire Ridha Charfeddine dépasse largement le cadre du droit. Elle illustre, à travers le parcours d’un homme public qui a choisi de se retirer, la brutalité d’un régime qui ne pardonne ni le passé, ni l’influence, ni la neutralité. Ridha Charfeddine n’a pas combattu Kaïs Saïed. Il s’est retiré de la vie politique dès 2021, sans heurts, sans critique, sans posture.

Et pourtant, il est poursuivi avec une constance qui interroge. Chaque tentative de libération est contrecarrée. Chaque accusation soldée est remplacée par une nouvelle. Chaque élément favorable est contourné.

Ce n’est plus un homme qu’on juge, mais ce qu’il incarne : une puissance régionale, une réussite économique, un pouvoir médiatique, une indépendance qu’on ne tolère plus.

Dans cette Tunisie verrouillée, il ne suffit plus de se taire pour être à l’abri. Parfois, le silence même devient un crime.

 

Maya Bouallégui

 

02/05/2025 | 10:50
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Commentaires
Nephentes
R Charfeddinne n'est pas un ange
a posté le 02-05-2025 à 16:34
Et les lobbyistes du Sahel ne font pas partie des Frères Blancs Pénitents

Il y a toutefois violation claire de ses droits

Mais je n'arrive pas à éprouver de l'empathie : je témoigne que son comportement vis a vis de certains collaborateurs d'Unimed était parfois ignoble et injuste
Barth
Innocent...
a posté le 02-05-2025 à 11:08
Pas tout a fait innocent quand même s´il y a eu des accords de conciliation. Jamais de fumée sans feu...

Quand au dossier du complot. Tout le monde a compris que le dossier est bien vide
lambda
de quoi on parle
a posté le à 12:09
tu dis qu'il n'est pas tout à faire innocent puisqu'il y a eu accord de conciliation, mais de quoi on parle exactement ? de problèmes de redressements fiscaux ? toutes les entreprises en ont, y compris les entreprises et les banques publiques et on ne met jamais en prison les gens pour ça. d'après l'article, le crime de ridha charfeddine est d'avoir un compte bancaire à l'étranger. est-ce lui le criminel ou notre législation archaïque et moyen-âgeuse ? de quel droit l'Etat prive les gens d'avoir un compte bancaire là où ils veulent s'il n'y a pas d'évasion fiscale ? c'est leur argent bordel et ils sont libres d'en disposer comme ils veulent. l'amnistie était liée à ce compte (si j'ai bien compris l'article de maya) et ceci n'est pas un crime à mes yeux. pareil pour les problèmes fiscaux.
Mohamed DJERBI
N'a pas le droit d'avoir un compte à l'étranger qui veut
a posté le à 16:41
Presque partout dans le monde il est interdit d'avoir un compte à l'étranger, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des gens ayant des comptes en dehors de leurs pays.
Un tunisien installé à l'étranger comme salarié, commerçant ou entrepreneur a droit à un compte bancaire dans le pays où il réside.
Quand on vit dans un pays sous protection économique et on a une entreprise qui en bénéficie, c'est normal que le pouvoir qui a accordé ces privilèges exige en contrepartie que les bénéfices de l'entreprise restent pour elle en Tunisie et non ailleurs.
L'Europe, jadis paradis des fuites de capitaux ne l'ai plus
l'Espagne et le Portugal sont les derniers à rejeter l'argent sale.
Il reste les Emirats, pays au dessus des lois, je ne sais pas quel miracle.
R C aurait effectué un virement en Ethiopie à la veille de sa decouverte en Europe
Tunisien
Loi tyrannique
a posté le à 21:02
Votre commentaire est presque appréciable, sauf qu'il est peu critique.
Partout dans le monde est interdit d'avoir un compte à l'étranger. Je ne le crois pas Monsieur ! Peut-être vous oublier de préciser qu'il reste possible d'avoir un compte en devise sans restrictions particulières dans certains pays, ce qui n'est pas le cas en Tunisie.
Pourquoi un tunisien vivant à l'étranger devrait avoir plus de droit que son compatriote qui paie ses impôts dans son pays ?
Votre justificatif est que c'est normal puisque on vit dans pays sous protection économique. Alibi égoïste à deux sous. Ceux qui font les lois, qui les appliquent et qui les défendent ne se sentent pas concernés et ont eux-mêmes des comptes en devise à l'étranger.
Dans votre commentaire il y a aussi une confusion, entre la personne physique et morale (entreprise). Je ne comprends pas le raisonnement selon lequel avoir une entreprise nous rend plus redevable qu'un citoyen lambda ?
La réglementation de change est la première injustice dans ce pays et la source de tous les maux et le freins de l'économie.
C'est un moyen de prendre en otage le citoyen de ses avoir de les restreindre et dévaluer à volonté sans que ce dernier ne doit bouger un doigt. S'il le fait, se sera la case prison !