Par Nizar Bahloul
« Le changement de gouvernement est devenu une question de vie ou de mort et non seulement une nécessité. Tout retard dans ce changement aggravera la crise que traverse le pays et engendrera par la suite une véritable catastrophe ».
C’est ce qu’a indiqué la semaine dernière dans une déclaration à Acharâa Al Magharibi, Sami Tahri le secrétaire général adjoint de l’UGTT. Il estime que Youssef Chahed est uniquement appelé à faire primer l’intérêt de la Tunisie sur son intérêt personnel et qu’il ne pourrait pas user de l’appui des parties étrangères afin de poursuivre ses fonctions ajoutant que Chahed « ne peut plus offrir aucun service au peuple tunisien ».
A entendre l’héritier de Farhat Hached et de Habib Achour, le sort de la Tunisie est scellé à un seul et unique homme : Youssef Chahed. Son limogeage vaut sauvetage, son maintien serait un naufrage.
Allons jusqu’au bout du « raisonnement » (il est plus indiqué d’écrire élucubration) du porte-parole de l’UGTT et demandons-lui par qui on devrait remplacer Youssef Chahed et, surtout, par quel programme ? Allons encore plus loin et demandons-lui un minimum de pragmatisme sur les délais minima nécessaires pour que le « prophète successeur de Chahed » devienne opérationnel après avoir pris les rênes de la Kasbah ?
En 2018, il est quand même triste de constater que la centrale syndicale la plus puissante du pays soit encore mue par des règlements de compte personnels et privilégie ses propres intérêts aux intérêts de la nation. Il est de même triste de constater qu’elle soit encore figée dans la mentalité des années 60-70 où l’on rêve encore de communisme ou, au mieux, de socialisme béat.
Et c’est encore plus triste de constater que les voix raisonnables et les hautes compétences de l’UGTT ne soient plus audibles et ne pèsent plus grand-chose dans les décisions et les grandes orientations de la centrale. Il y a deux mois, à l’occasion de la Fête du Travail, j’écrivais sous le titre ‘’Si l’UGTT n’existait pas, il aurait fallu l’inventer’’. « C’est à cette élite de l’UGTT qu’il revient de convaincre, par le bon sens, les bases et les syndicalistes bruyants de faire les bons choix pour l’intérêt général du pays et non pour l’intérêt des seuls syndicats ». C’était au lendemain de la résolution de la crise du syndicat de l’enseignement secondaire avec une grève des enseignants de plusieurs jours.
L’UGTT des bases veut obtenir plus, toujours plus et encore plus et maintenant et peu importe si nos élèves croulent et que notre économie fasse banqueroute. Seuls les intérêts instantanés de ses adhérents comptent. L’élite de l’UGTT pense à l’avenir de tout le pays et à ses enfants. Si le pays va bien, l’UGTT et ses adhérents iront inévitablement mieux. Y a-t-il des voix raisonnables à l’UGTT ? Nizar Ben Salah, Karim Trabelsi, Mohamed Trabelsi manifestez-vous, on ne vous entend plus ! Noureddine Taboubi est isolé par ses bases et son entourage et il perd son bon sens !
L’UGTT prend l’affaire de Youssef Chahed à titre personnel et ne regarde plus la chose comme un syndicat devrait le faire avec un gouvernement. Depuis 2011 et spécialement depuis le Dialogue national de 2013 et le Prix Nobel de la Paix, l’UGTT s’est entremêlée les pinceaux et se prend pour un parti politique et non plus pour un syndicat.
Alors si c’est le cas, que l’UGTT nomme elle-même un chef du gouvernement et qu’on en finisse avec les élections et tout le processus démocratique ! Un Mohamed Trabelsi ou un Abid Briki sont suffisamment dotés du sens de l’Etat pour occuper le poste et succéder à Youssef Chahed. Mais que feront-ils une fois à la Kasbah ? La réponse est toute simple : ils feront du Youssef Chahed, car il n’y a absolument rien d’autre à faire pour le moment.
La troïka a engagé la Tunisie dans le processus des crédits sans fin du FMI avec, en contrepartie, l’engagement de réaliser un certain nombre de réformes : réduction des dépenses publiques, réduction du nombre de fonctionnaires, privatisation, lutte contre la corruption, lutte contre le commerce informel… Ce sont ces réformes qui sont actuellement entreprises par l’équipe gouvernementale. A un pas lent (très lent), certes, mais cette lenteur est due, entre autres, au freinage par quatre fers du travail gouvernemental par cette même UGTT.
Quand on a explosé les dépenses publiques avec des recrutements massifs, la suppression de la sous-traitance et les emplois fictifs et quand la corruption touche les sommets de l’Etat et toutes les institutions (y compris l’UGTT probablement), et qu’en face l’appareil de production est à la peine, avec les grèves et la paresse, on ne saurait faire autre chose que des réformes profondes et douloureuses.
Ce sont ces réformes douloureuses entreprises actuellement par Youssef Chahed qui seront entreprises par n’importe quel chef du gouvernement qu’il s’appelle Youssef Chahed, Mohamed Trabelsi, Abid Briki, Noureddine Taboubi ou Mao Tsé-Tong.
En supposant que Béji Caïd Essebsi soit aussi aveuglé que l’UGTT et qu’il nomme le « candidat » de la centrale à la Kasbah, que va-t-il se passer ? Trois mois de latence, au minimum, durant lesquels le nouveau chef étudiera les dossiers pour comprendre ses nouvelles fonctions. Puis trois mois pour prendre des décisions qui, in fine, seront identiques à celles déjà prises par son prédécesseur ! Pendant ce temps-là, nous demanderons encore une fois aux partenaires internationaux de patienter et d’être compréhensifs envers notre entêtement idiot ! Entre-temps, les élections seront là, un nouveau chef du gouvernement aura été nommé et rebelote !
L’UGTT des bases refuse aujourd’hui de voir la réalité en face, refuse d’admettre qu’on est en 2018 et que le temps du socialisme béat et de la nationalisation des entreprises est révolu. On préfère faire des calculs politiques de pacotille et court-termistes et privilégier les intérêts immédiats de quelques uns aux intérêts sur le long terme de toute la patrie et de nos enfants.
Le résultat est que cette UGTT a tourné le dos à ses propres élites et au bon sens pour suivre les pas de Hafedh Caïd Essebsi ! En voyant Noureddine Taboubi prendre le même chemin que le « fils à papa », Farhat Hached et Habib Achour doivent se retourner dans leurs tombes.
Sami Tahri a dit que le changement du gouvernement est une question de vie ou de mort. La vérité est que le changement de la mentalité de l’UGTT est aujourd’hui une question de vie ou de mort. Ce changement ne peut venir que de l’intérieur, parmi ces syndicalistes sensés qui savent comment les choses se sont faites dans les autres pays et doivent être faites dans le nôtre.



Commentaires (27)
CommenterStop !
Enfin
Syndicalisme
Il faut encourager le pluralisme
Bien dit
L'UGTT a présidé le gouvernement de 1957 a 1969
L'un des facteurs les plus décourageants pour les investisseurs est le risque que l'UGTT devienne le maître décideur en Tunisie et la nomination d'un deuxième Ben Salah comme premier ministre, ce qui va entraîner la confiscation des terres agricoles et des usines sous pretexe de tunisification et répartition des richesses. L'échec et la paralysie du gouvernement, la paupérisation et la colère populaire augmentent le risque d'une victoire de l'UGTT. Il est difficile de défendre Youssef Chahed qui a rate sa chance et a gaspille deux années précieuses, il a eu suffisamment de temps pour reformer le système mais il n'a pas voulu prendre de risques pour préserver ses chances pour les élections de 2019. En moins de deux ans, Macron a déjà introduit la majorité des reformes promises (reformes SNCF, reformes UE,...) et Trump a déjà tenu ses promesses (réduction de taxes, politiques d'immigration plus musclée, ..).
Commentaire
BCE et Nidaa sont responsables de l'autorité absolue de l'UGTT...
Et vous vous ferez toujours du Nizar Bahloul....au service de qui...?
A Mr Bahloul!!!!

