
Il a suffi de 39 voix pour que le projet de loi relatif à l’accord de création d’un bureau du Fonds de développement qatari en Tunisie tombe à l’eau. Parrain du projet, le président de la République ne laissera pas sans punition un tel affront. Brahim Bouderbala, président de l’assemblée, le paiera cher, il a même déjà commencé à payer.
Révolu le temps où Brahim Bouderbala était respecté par ses pairs et ses compatriotes. Sa soif du pouvoir et son opportunisme l’ont aveuglé au point qu’il ne réussit plus rien, même pas à faire voter un projet de loi déposé par Kaïs Saïed et défendu ardemment par son gouvernement.
Mardi 26 mars 2024, 39 députés rejettent le projet de loi relatif à l’accord de création d’un bureau du Fonds de développement qatari en Tunisie. En dépit des 51 députés qui ont voté pour et des 25 abstentionnistes, le projet n’est pas passé, il fallait une majorité absolue puisqu’il s’agissait d’une loi fondamentale. Le président de la République tenait pourtant à cette loi et il en aurait même parlé à l’émir qatari avec qui il a eu une réunion à Alger le 2 mars courant.
Kaïs Saïed était confiant et ne se doutait pas que « son » parlement du 25-Juillet allait le désavouer, surtout qu’il a mobilisé sa ministre des Finances Sihem Nemsia pour défendre le projet.
Théoriquement, et au vu de sa légendaire réputation de rancunier tenace et de ses phrases récurrentes sur la nécessaire sanction contre tous ceux qui ont fauté, le président de la République ne va pas laisser passer cet affront. Dans sa ligne de mire, probablement les 39 députés qui ont voté contre son projet. Peut-être aussi les 25 abstentionnistes. Mais certainement leur président Bouderbala qui n’est pas à son premier échec.
Un des ténors du barreau tunisien, la carrière de Brahim Bouderbala a atteint son paroxysme avec son élection à la tête de l’Ordre des avocats en 2019 après sept tentatives. C’est dire que le bonhomme est habitué à l’échec, mais aussi à la persévérance. Plutôt que de servir ses pairs du haut de son poste des plus prestigieux du pays, le nouveau bâtonnier a préféré continuer à servir sa carrière, convaincu qu’il y a toujours plus haut à gravir. Pour ce faire, le nationaliste arabe s’est rangé du côté du président fraichement élu lui aussi. Après le putsch du 25 juillet 2021, il a défendu bec et ongles Kaïs Saïed allant contre, tout contre, les intérêts des avocats (notamment ceux politisés et les islamistes) et de la corporation. Laudateur à souhait, il trouvait toujours les mots pour justifier l’injustifiable. Son zèle démesuré et sa soif du pouvoir ont fini par payer. En 2022, Kaïs Saïed le nomme président du Comité consultatif des affaires économiques et sociales de la Commission nationale consultative pour une nouvelle République dans le cadre de la rédaction de la Constitution. Un poste éphémère pour une commission fantôche puisque tous ses travaux ont été jetés à la poubelle par le président de la République qui a rédigé, tout seul et en parallèle, sa propre constitution.
Un affront ? Brahim Bouderbala n’en a cure, il continue à rester partisan du président, visant, ni plus ni moins, la présidence de l’assemblée.
Il est encouragé par le président de la République à candidater pour les législatives de fin 2022 et il a bénéficié, très probablement, de l’appui de sa machine. Élu député dès le premier tour, il a pu assouvir son fantasme le 13 mars 2023. Depuis, il collectionne les déconvenues.
À la tête d’un parlement théoriquement homogène et totalement acquis à la cause du régime putschiste, Brahim Bouderbala a échoué à maintenir la cohésion et l’unité. Son parlement ressemble davantage aux turbulents et hétérogènes parlements de la post-révolution qu’à ceux de Ben Ali et Bourguiba, espéré par Kaïs Saïed.
Le plus grand examen qu’il a eu à avoir, c’est avec la proposition de loi anti-normalisation déposée au lendemain de l’offensive israélienne sur Gaza.
Les députés tenaient à cette loi, mais pas Kaïs Saïed, bien conscient que celle-ci allait être à l’encontre des intérêts du pays, notamment avec ses alliés européens et américains. Au lieu de tuer le projet dans l’œuf, en agissant dans les coulisses et les salons de l’assemblée, Brahim Bouderbala a laissé faire ses députés. Il avait consigne de ne pas laisser passer cette loi, mais il n’a pas su répondre aux pressions de ses « subordonnés » et des médias. Il a été jusqu’à refuser de leur adresser la parole.
La pression était telle que l’eau a coulé de toutes parts et on ne comptait plus les plénières qui ont déraillé. Ne sachant plus que faire, le septuagénaire a évoqué en conseil une discussion confidentielle avec le président de la République (dont sont témoins ses deux vice-présidents) faisant porter le chapeau à ce dernier. Le message étant, ce n’est pas moi qui ne veux pas de cette loi, c’est Kaïs Saïed. Colère de ce dernier qui a réagi illico presto pour manifester son soutien à la Palestine lors d’une allocution télévisée nocturne durant laquelle il était debout contrairement à ses habitudes.
Il y a désormais un avant et un après, car depuis la divulgation de l’entretien confidentiel, le président de la République ne semble plus vouloir s’adresser au président de l’assemblée. Ainsi, et depuis novembre dernier, il n’y a eu aucune communication entre les deux, du moins si l’on se tient aux communiqués officiels de la présidence et de l’assemblée.
En revanche, les attaques virulentes contre Brahim Bouderbala n’ont jamais cessé. Elles proviennent quasi-exclusivement des pages Facebook réputées proches du président de la République ou qui lui sont partisanes. Plusieurs appellent à sa démission et d'autres à une motion de censure.
Aux dernières nouvelles, d’après le journal électronique Acharâa El Magharibi, la présidence de la République a retiré sa Mercedes au président de l’assemblée. Il n’est pas exclu qu’il en soit ou qu’il en sera de même avec la garde présidentielle qui assurait, jusque-là, son escorte.
Avec le grand camouflet du mardi 26 mars, il est certain que la colère de Kaïs Saïed soit montée d’un cran.
Plus que jamais, Brahim Bouderbala est sur un siège éjectable. Il aurait pu quitter le barreau la tête haute, comme l’écrasante majorité de ses prédécesseurs, mais lui, a fait preuve d’insatiabilité voulant toujours plus de pouvoir. Il a bien obtenu ce pouvoir, mais c’était au prix de sa dignité. Parce qu’il a soutenu les intérêts du régime au détriment de ses confrères, il a perdu le respect de ces derniers. Parce qu’il a soutenu le putsch au détriment de la démocratie, il a perdu le respect des démocrates.
Il aurait pu faire passer la loi de la normalisation, gagnant ainsi le respect de ses députés et de sa propre idéologie, mais il a cherché une nouvelle fois à servir le président. Au final, il a perdu le respect de tout le monde, y compris et surtout de celui qui lui a offert son poste.
Ainsi est le sort des laudateurs et opportunistes. Ça a toujours fonctionné comme cela partout dans le monde, à n’importe quelle époque. Hélas, la Tunisie en compte encore plusieurs qui n’ont jamais retenu ces leçons basiques de l’Histoire.
Raouf Ben Hédi
Pourtant, c'était un zélé parmi les plus zélés de son Maître....
Un parlement devrait par définition être divisé pour représenter le pouvoir et l'opposition.
L'article est fondé sur une attaque très faible et honnêtement bizarre '?' je ne le comprends pas
L article dépeint de manière convaincante le triste spectacle de ce régime debilokafkaien
On s enfonce chaque jour un peu plus dans le cloaque
Jésus : Je crois à une croix, mais ne m'épingle pas dessus...
Et rentreront dans les poubelles de l'histoire de la Tunisie....
Pourquoi cette réaction énigmatique "C'était une mauvaise pièce de théâtre"? A première vue le futur putschiste était scandalisé par la dégradation du niveau des parlementaires de l'époque, mais j'ai ma petite théorie là-dessus.
Ennazih aurait pu empêché cette giffle et le coup de pied en alertant Abir Moussi, mais rien n'a été fait. Le 3ousfour ennadir de Rachid El Ghannouchi espérait une agression plus spectaculaire contre Moussi, un assassinat par exemple. Une telle agression aurait permis à ce président accidentel de geler l'ARP le soir même, mais à sa déception Abir Moussi n'a reçue qu'une giffle et un coup de pied.
Comment peut-on qualifier la passivité du Nadhif ce jour là? De l'opportunisme ou bien de la non assistance à une personne en danger? Peut-être les deux?
Je voulais juste pointer la nième flagrante hypocrisie de ce régime. En 2021, « Dieu autoproclamé » refuse le projet sur la base d'atteinte à notre souveraineté (excuse a la mode chez les marchands de patriotisme ces jours-ci). Le meme projet de 2021 est réintroduit illico par le meme « Dieu Autoproclamé ». Ou est parti le patriotisme et le souci pour la souveraineté? Plus tangible que ça comme preuve que le patriotisme pour eux est juste un fonds de commerce pour conquérir les émotions, et faire des gains politiques pour maintenir le pouvoir.