
Il portait la voix des quartiers comme une blessure et un étendard. Ahmed Laabidi, plus connu sous le nom de Kafon, s’est éteint samedi 10 mai 2025 à l’âge de 43 ans, mais son flow et ses paroles continueront de résonner dans les ruelles de Tunis et bien au-delà. Enfant issu des quartiers populaires, il a fait du rap un cri de rage, une catharsis, un moyen d’exister dans un pays où beaucoup, comme lui, se sont sentis relégués à la marge.
Révélé au grand public en 2013 avec Houmani, devenu un hymne des jeunes, Kafon n’était pas un simple produit des studios. Il était de la rue, avec tout ce que cela implique de fierté et de débrouille. Son style, sans fioritures, contrastait avec une scène rap parfois tentée par le bling-bling importé. Kafon, lui, crachait des vérités crues, parlait chômage, violence, harcèlement policier, rêves brisés. Cela lui a valu l’adhésion d’une jeunesse en mal de représentation, mais aussi les foudres des autorités.
En juin 2013, en pleine période de la Troïka, Kafon est arrêté pour consommation de cannabis et condamné à un an de prison ferme et à une amende de 1000 dinars. Son incarcération avait été dénoncée ainsi que la sévérité de la loi de 1992 sur les stupéfiants, qui impose des peines minimales sans possibilité de circonstances atténuantes. Cette affaire a suscité un large débat en Tunisie sur la répression des consommateurs de drogue et la nécessité de réformer la législation en vigueur. Le rappeur, devenu malgré lui symbole d’une jeunesse criminalisée, en est ressorti encore plus ancré dans son rôle de porte-voix des laissés-pour-compte.
Au-delà du rap, Kafon avait aussi trouvé un nouveau terrain d’expression : le petit écran. Il a notamment collaboré avec le réalisateur Abdelhamid Bouchnak, qui lui a offert des rôles dans ses séries à succès. On l’a vu dans des productions télévisées, notamment Nouba et Ragouj où il campait souvent des personnages proches de son propre vécu : tourmentés, mais profondément humains. Ce passage devant la caméra avait élargi sa notoriété, le faisant entrer dans les foyers au-delà du cercle des fans de rap.
Mais derrière l’image du bad boy repenti et de l’artiste engagé, Kafon luttait aussi contre un mal plus sournois : la maladie. Depuis plusieurs années, il affrontait des problèmes de santé qui l’avaient affaibli physiquement, loin de ses débuts tonitruants. Kafon était atteint de la malade de Buerger, une inflammation rare et sévère des artères qui touche dans la majorité des cas des hommes jeunes. Ses apparitions s’étaient faites plus rares, ses performances plus posées, comme si chaque mot était pesé, chaque souffle compté. Cette bataille silencieuse contre la maladie, il l’a menée avec discrétion, loin des projecteurs, mais toujours avec la fidélité indéfectible de ses fans.
Avec la disparition de Kafon, c’est une page du rap tunisien qui se tourne. Celle d’une génération qui a crié son mal-être à travers des beats et des punchlines, bien avant que le pays ne bascule dans de nouvelles fractures.
Pour se souvenir de cette voix qui résonnait avec les battements des quartiers, on vous invite à (re)plonger dans Houmani, le morceau qui a marqué une génération :
