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Chroniques
Le décret 54 s’est avéré inutile
Par Marouen Achouri
26/04/2023 | 15:59
4 min
Le décret 54 s’est avéré inutile

 

Ghazi Chaouachi, ancien secrétaire général du parti Attayar, devait comparaitre hier devant le juge d’instruction dans le cadre d’une plainte de la ministre de la Justice, Leila Jaffel, sur la base du fameux décret-loi 54. Il s’est avéré ensuite que le juge d’instruction a déposé un congé maladie et l’audition n’a pas eu lieu.

Les critiques autour du décret 54 et de son utilisation à outrance par les responsables gouvernementaux ont fusé comme à chaque fois que ce funeste texte est utilisé. Il punit de cinq ans de prison et de cinquante mille dinars la propagation et la production de « fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui ». Il s’agit d’un texte ouvert à toutes les interprétations, assorti de peines exagérées, à l’instar de tous les textes juridiques qui avaient été utilisés par toutes les dictatures. Petite particularité supplémentaire pour ce texte : les peines sont portées au double si la « victime » de ces agissements est un agent public ou assimilé. Les juristes et les professionnels du droit apprécieront la mise en place d’une circonstance aggravante liée à la victime supposée, et non au coupable.

 

Au-delà de l’aspect liberticide et démesuré de ce décret 54 et de son article 24, l’on est bien obligé de faire un constat qui s’impose : le décret 54 ne marche pas et il ne sert à rien. Mettons de côté toutes les considérations politiques. Le fait que des comités de défense de politiciens critiquent le décret par lequel leur client est trainé en justice peut être frappé de subjectivité. Mais une lecture simple des faits et du texte en lui-même démontre qu’il s’agit d’un décret inutile.

Selon le texte, « le présent décret-loi vise à fixer les dispositions ayant pour objectif la prévention des infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication et leur répression, ainsi que celles relatives à la collecte des preuves électroniques y afférentes et à soutenir l'effort international dans le domaine, et ce, dans le cadre des accords internationaux, régionaux et bilatéraux ratifiés par la République tunisienne ».

L’objectif derrière la mise en place de ce texte est donc clair, il s’agit de la prévention et de la répression d’un certain type d’infractions. Considérant que ce décret a été publié le 13 septembre 2022, peut-on dire qu’il a réalisé cet objectif ? S’en est-il ne serait-ce qu’approché ? La réponse objective est évidemment non. Les soutiens du président de la République, Kaïs Saïed, se sentant au-dessus des lois, n’ont cessé de propager les rumeurs et les fausses informations. La dernière en date est la supposée arrestation du journaliste Moez Ben Gharbia. Le nombre de rumeurs fabriquées de toutes pièces et propagées via les réseaux sociaux est faramineux. Le décret n’y a rien changé.

Ceux qui utilisent ce texte disent qu’il s’agit de réprimer des déclarations graves qui peuvent mettre en péril la sûreté de l’État. Au-delà du fait que l’État ne saurait être ébranlé par une simple déclaration, il faut noter que ce texte n’a pas empêché la diffusion et la propagation des plus folles rumeurs concernant, par exemple, l’état de santé du président de la République lorsqu’il avait choisi de s’éclipser pendant une dizaine de jours au début du mois de ramadan.

 

L’argument selon lequel ce décret servirait un intérêt général bien plus grand que la poursuite de certains politiciens ou journalistes est donc tout simplement faux. En plus, ce sont les agents publics, comme certains ministres, qui ont recours à l’utilisation de ce décret. Apparemment, ils n’ont pas entériné le fait que d’être une personnalité publique expose forcément à la critique qui peut parfois être erronée voire mensongère. Dans d’autres pays, c’est avec beaucoup de prudence et de parcimonie qu’un ministre ou un haut cadre de l’État recoure à la justice pour faire condamner un simple citoyen. Cette mesure et cette rationalité semblent perdues en Tunisie.

Devant le flot de critiques et d’inquiétudes justifiées pour la liberté d’expression, plusieurs organismes nationaux et plusieurs partenaires étrangers ont exprimé leurs inquiétudes concernant l’utilisation du décret 54. Certains ont même nourri l’espoir de voir le président de la République, Kaïs Saïed, abroger carrément le fameux décret ou, tout du moins, le faire amender. Ces espoirs ont très vite été douchés par la position officielle de la Tunisie devant le conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies à Genève. La Tunisie a refusé de ratifier les recommandations de l’organisme onusien dont l’annulation du décret 54 préférant se cantonner aux recommandations générales. La Tunisie a adopté une politique de procrastination et d’ajournement lors de l’examen périodique du quatrième rapport national dans le domaine des droits de l’Homme.

Si l’on procède de manière objective et si l’on se mettait dans la peau de l’enquêteur qui accumule les preuves et les indices, il devient clair que l’objectif réel du décret 54 est bien de faire taire toutes les voix discordantes et de faire en sorte que sa menace plane au-dessus de tous ceux qui s’aventureraient à critiquer de manière trop ostentatoire. Ce qui est certain, c’est que le décret 54 représente un grand pas en arrière en matière de législation des droits de l’Homme en Tunisie.

Par Marouen Achouri
26/04/2023 | 15:59
4 min
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Commentaires
Inutile KHEID : L'utile ?
Salon du livre comme délire Utile et Inutile !
a posté le 28-04-2023 à 22:08
Tu n'as rien dit, tu ne lui a pas fait la remarque qu'il était assez inutile de penser faire sa vie avec une femme qui ne partageait pas avec lui une passion aussi essentielle que celle de lire des livres.
Car la littérature n'est pas une fin en soi. Un livre doit provoquer la discussion sinon il est inutile.
La morale ? Je crois bien que c'est l'ensemble des règles de vie que chacun trouve excellentes pour autrui et inutiles pour soi.
L'étude des choses inutiles est une laborieuse oisiveté.
Car Dieu n'a rien créé inutilement, il a assigné un but à toutes les créatures.
Mais, qui s'occupe de choses inutiles, perd son temps.
Et, qui n'utilise pas possède inutilement.
Mais, 1 grande gueule qui s'attache à l'inutile perd l'utile.
Et je termine en vous écrivant : Il est inutile de chercher des '?ufs dans les nids de l'an dernier.


khaled
.
a posté le 28-04-2023 à 07:46
meme au royaume uni la loi est claire sur ce sujet. essayez de comprendre ce qui suit.
Improper use of public electronic communications network
(1)A person is guilty of an offence if he'
(a)sends by means of a public electronic communications network a message or other matter that is grossly offensive or of an indecent, obscene or menacing character; or
(b)causes any such message or matter to be so sent.
(2)A person is guilty of an offence if, for the purpose of causing annoyance, inconvenience or needless anxiety to another, he'
(a)sends by means of a public electronic communications network, a message that he knows to be false,
(b)causes such a message to be sent; or
(c)persistently makes use of a public electronic communications network.
GZ
So what ?
a posté le à 11:13
Que l'on réprime l'usage malveillant des réseaux sociaux ne devrait pose aucun problème à personne.
Personne ne devrait cautionner le harcèlement, la calomnie ni le dénigrement. Sanction en l'espèce pleinement légitime.
Le problème est l'usage fait des textes. Au R. U., dans le reste du monde anglo-saxon, dans les démocraties occidentales, combien d'hommes politiques, activistes de la société civile, journalistes, chefs d'entreprises du monde des médias, blogueurs etc, sont poursuivis, jetés en prison et bientôt jugés et très probablement condamnés sur la base de tels textes ?
Sans aborder le sujet du quantum des peines prévues.
GZ
A lire
a posté le 27-04-2023 à 18:55
On lira avec profit, reproduit par Kapitalis le 24 avril, sous la rubrique "Politique" un post Facebook, publié par la professeure de droit public Sana Ben Achour, à l'occasion de la comparution finalement remise à une date ultérieure de Ghazi Chaouachi, "Tunisie : le décret-loi n° 2022-54, un acte scélérat" .
L'auteure fait le rapprochement entre ledit décret-loi et les lois liberticides promulguées en France sous la III ème République entre 1893 et 1894, dans le seul but de réprimer le mouvement anarchiste.
Décapant, sans détours.
Dans une tribune publiée par Leaders, Mme Ben Achour a déjà fait le démonstration du caractère juridiquement insoutenable de la fameuse décision de révocation des 57 magistrats. Le Tribunal Administratif lui donna en grande partie raison.
54 magistrats attendent toujours d'être réintégrés dans leur
fonction ; qu'une décision rendue au nom du peuple tunisien trouve enfin application.

nazou de la chameliere
Et....
a posté le 27-04-2023 à 11:04
A quoi sert le législateur ?
C'est vrai !!!! Il est occupé à pondre des pseudos lois, du comment visser son arrière train au fauteuil !!!

Si c'était un pays de droit, ça se saurait !!
N'oubliez pas ,les juges, qui ont vu leurs données personnelles étalé sur la place publique.
Sans qu'aucune sanction ne tombe sur les langues de p... coupables !!

Un jour les victimes d'aujourd'hui, auront droit à des compensations financières, pour préjudice moral et physique !!!
Et les mêmes langues de p....,crieront au scandale !!!
DHEJ
Tous égaux...
a posté le 27-04-2023 à 09:08
Devant ROBOCOP père du décret 54!