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Chroniques
Le Canada n'est plus ce qu'il est
15/11/2010 |
min
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Par Nizar BAHLOUL

Un grand pays le Canada. Apprêtez-vous désormais à ne plus prononcer cette phrase aussi sec, car vous serez démenti rapidement par les faits. A l’avenir, vous devrez dire le Canada est un grand pays géographiquement. Ou un grand pays par sa superficie. Voire même un grand pays superficiel.
Vous aurez l’embarras du choix d’adjoindre ce que vous voulez au Canada, mais ajoutez-y quelque chose, ne laissez plus dire autour de vous que le Canada est un grand pays seulement.
Un grand pays se définit par sa grandeur, par sa générosité, par son ouverture, par ses exploits. De tout cela, le Canada n’en garde plus grand-chose. Hélas, grand hélas.

Pour des questions budgétaires, le gouvernement actuel songe à réduire ses dépenses en coupant dans les ressources allouées aux représentations diplomatiques. Et il ne fait pas dans la demi-mesure, il joue la radicalité en fermant carrément certaines ambassades en Afrique. Et la Tunisie est concernée.
« Nous n’avons pas l’habitude de commenter des rumeurs », a déclaré à Business News l’attaché de presse du gouvernement canadien (basé à Ottawa). Il va de soi qu’il s’agit, là, d’une réponse diplomatique. Indirectement, le monsieur confirme la rumeur. Car un grand pays ne peut se permettre de laisser une pareille rumeur se propager, il la dément aussitôt. Et s’il n’y a pas démenti, c’est qu’il y a anguille sous roche. La décision n’est pas encore prise, mais l’option de fermer l’ambassade tunisienne semble être maintenue.

L’ambassade du Canada à Tunis a été la première, dans la région du Maghreb, à ouvrir ses portes. C’était en 1961. Dans quelques mois, elle fêtera donc son cinquantenaire. Un cinquantenaire que le personnel devra fêter sur fond de malsaine ambiance de fermeture définitive ! Je les plains, eux, qui se sont tant dévoués pour servir leur employeur. Eux qui pensaient représenter un grand pays !
De la grandeur du Canada, certains politiques du gouvernement actuel ont décidé de faire l’impasse.
Peu importe l’image du Canada en Tunisie, l’essentiel est de tailler dans les budgets.
Peu importe l’intérêt des entreprises canadiennes, elles iront faire leur business ailleurs. En Amérique latine par exemple.
Peu importe la francophonie, que le Québec s’en charge !
Peu importe la politique de l’immigration, on ira chercher des citoyens en Chine ou en Inde.
Peu importe que le pays ne figure plus au G7, G8 ou G20, il trouvera une place parmi les G-Rien.
Et c’est justement ce type de raisonnement mercantile qui fait la différence entre un grand pays et les autres.
Si même le Canada commence à raisonner ainsi, c’est que le gouvernement actuel du Canada ne raisonne plus en grand, mais en épicier (en dépanneur en langage québécois). Comme un économe d’une association de quartier.

Le maire de Québec a déclenché la semaine dernière une grande polémique en parlant de fonctionnaires incompétents, en visant certains hauts dirigeants de son appareil municipal.
De là à généraliser jusqu’à certains fonctionnaires de l’appareil gouvernemental à Ottawa, il n’y a qu’un pas difficile à ne pas franchir.

Le Canada, dans nos esprits, est grand et beaucoup tiennent à ce que cette idée demeure. Le peuple canadien est grand, généreux, ouvert et ne mérite pas que quelques fonctionnaires ternissent son image.
Que pèse une ambassade dans le budget d’un grand pays face à l’image ternie de ce grand pays auprès de millions de citoyens ?
Les budgets consacrés par ce même pays aux guerres injustes aux côtés des Américains sont mille fois supérieurs.
Cela étant dit, les gouvernants canadiens sont libres de donner l’image qu’ils désirent de leur pays. Après tout, ils ont été élus pour cela. Et comme a commenté un de nos lecteurs, qu'ils ferment toutes leurs portes ! Ils exploitent nos cerveaux et la force de nos bras, nous n’avons donc pas à crier au scandale quand ils ne veulent plus de nous

Sauf que voilà, la décision est bien embêtante. Pour des questions liées au prestige de la Tunisie, d’abord.
Ensuite, nous avons 15.000 compatriotes résidant au Canada, dont beaucoup d’étudiants et beaucoup ayant une double citoyenneté.
Ces Tunisiens ou Tuniso-Canadiens, ont bien le droit d’inviter à Montréal ou à Ottawa quelques parents ou amis ? Si la décision du retrait de l’ambassade se confirme, ces parents ou amis devront transiter par Paris pour obtenir leur visa vers le Canada. On imagine bien la scène pour ces pauvres gens : ils font la queue à l’ambassade de France pour un visa Schengen, puis ils doivent aller faire la queue à Paris devant l’ambassade du Canada. Sans parler des frais de séjour supplémentaires.
Bien sûr, ils ne pourront pas utiliser Tunisair pour aller à Montréal, mais une compagnie du Nord, Air France ou Air Canada.
De même, certains de nos futurs bacheliers qui aimeraient prendre l’exemple de leurs aînés et poursuivre leurs études supérieures à l’UQAM ou Sherbrooke devront déchanter devant les procédures bureaucratiques qui se compliquent.

Autant d’éléments qui font que la décision de fermeture, si elle est prise, soit des moins bien accueillies chez nous.
S’agissant d’une décision souveraine, on voit mal qui pourrait la contester officiellement
A moins que l’opposition ou le parlement canadien ne s’en mêlent sérieusement et décident d’opposer leur véto à une décision ubuesque, parce que leur pays se doit de rester grand parmi les grands. De rester comme il l’est aujourd’hui, quel que soit le prix !
15/11/2010 |
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