Les frères Daïmi face à la suspicion de blanchiment d’argent
Les frères Abdelmonem et Mounir Daïmi sont suspectés par la Ctaf de blanchiment d’argent et de financement de terrorisme. D’importantes sommes d’argent ont transité par leurs comptes bancaires et ont servi à des fins autres que le secours humanitaire dont ils se prévalent. Le fait que leur autre frère Imed Daïmi ait été à la présidence de la République et actuellement à l’Assemblée rend ce scandale dangereux pour la sécurité de l’Etat. L’affaire a été transmise au procureur de la République. Business News a obtenu une copie fuitée de ce rapport, en voici quelques pépites.
Les scandales de Abdelmonem Daïmi du temps qu’il présidait l’association caritative Tunisia Charity (antenne de Qatar Charity) n’ont pas eu de véritable incidence judiciaire, bien que les médias aient dévoilé certains de leurs abus immédiatement, preuves à l’appui. En 2014, Business News a même dévoilé des copies de documents dans lesquels on peut constater le financement de cette association par l’argent du contribuable, via le ministère de la Femme (à l’époque dirigé par Sihem Badi, ancienne cadre du CPR, le même parti que Imed Daïmi), en dépit de l’illégalité de la chose. Après les élections, Abdelmonem Daïmi a quitté la Tunisie, tout comme Sihem Badi. Mais les transferts suspects de fonds n’ont pas cessé pour autant, comme a pu le constater la Commission tunisienne des analyses financières (CTAF), organisme créé en 2015 dépendant de la Banque centrale de Tunisie, chargé notamment de la mise en place des politiques et programmes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
La Ctaf s’est penchée sur une autre association dirigée entre 2014 et 2015 par Abdelmonem Daïmi, du nom d’Islamic Relief, et notamment les virements suspects de ses comptes courants bancaires et de ses dirigeants.
Cette association est britannique et a créé son antenne tunisienne en 2012 avec Zarzis pour siège. Son objet principal est de lutter contre la pauvreté, offrir de l’argent, des vêtements, des médicaments et des produits alimentaires aux nécessiteux et créer ou aider à créer des écoles, des hôpitaux et des cliniques.
Avant son départ de l’association, Abdelmonem Daïmi a nommé deux gestionnaires du compte courant bancaire dont l’identité est suspecte pour la Ctaf. Le premier est Tunisien né à Benghazi et s’occupait (selon sa carte d’identité) du transport à l’association et le second est originaire du Niger. Un autre suspect pour la Ctaf est venu s’ajouter à ce duo, il s’agit d’un Marocain du nom de Abdelmajid Nasri qui a occupé le poste de directeur d’Islamic Relief. La Ctaf s’interroge quelles sont les compétences professionnelles d’un chargé du transport pour gérer la trésorerie d’une association qui brasse des centaines de milliers de dinars par an et pourquoi y a-t-il des étrangers qui sont nommés pour des responsabilités de premier plan. De là à dire qu’il s’agit de prête-noms, il n’y a qu’un pas et ceci est non seulement illégal, mais pénal.
L’antenne tunisienne d’Islamic Relief possède trois comptes bancaires, l’un à l’ATB créé en 2013 et clôturé en 2017 et deux autres ouverts à Attijari Bank agence Médenine et agence Centre urbain nord à Tunis. Les mouvements sur ces trois comptes ont alimenté bien des suspicions chez la Ctaf.
Ainsi, le compte de Médenine a reçu des virements de quelque deux millions de dinars entre avril 2015 et mai 2017. Le curieux est que 99,91% des virements reçus sur ce compte d’Attijari Bank de Médenine proviennent du compte de l’ATB. Quant au second compte d’Attijari (qui a reçu lui aussi quelque deux millions de dinars dans la même période), 69% des virements provenaient du compte de l’ATB. Pourquoi ? Mystère ! La Ctaf s’est alors penchée sur le compte de l’ATB pour découvrir que ce dernier ne sert que « d’intermédiaire » entre les virements reçus de l’étranger (principalement du Royaume-Uni) et le compte de Médenine.
En se penchant sur les virements reçus sur le compte de l’ATB, la Ctaf découvre que 85% des virements (quelque 7,5 millions de dinars) provenaient de l’association mère basée au Royaume-Uni et de la société INT FCStone. Quelle est cette société ? Une organisation de services financiers qui exerce ses activités dans cinq domaines: la couverture commerciale, les paiements mondiaux, les valeurs mobilières, les produits de base physiques et les services de compensation et de gestion d’après Wikipédia. Son « avantage » est qu’elle permet de rendre anonymes les véritables donneurs d’ordre. En clair, l’ATB ne peut pas connaitre qui a émis le virement réellement et ne peut voir que le nom d’INT FCStone. Encore plus suspect, les virements ont été ordonnés en dinars tunisiens et non en livres sterling et les montants ayant transité par cette société dépassent les 4,5 millions de dinars.
Allant plus loin dans son investigation, la Ctaf s’est penchée sur les dépenses effectuées à travers les trois comptes bancaires d’Islamic Relief en Tunisie. D’après leur rapport préliminaire, on ne voit pas de création de cliniques et d’hôpitaux, mais des dizaines de milliers de dinars pour honorer des factures d’agences de voyage (qui ont l’habitude d’organiser des excursions vers la Turquie), des agences de location de voitures, des hôtels, un détaillant de carburant, etc. Exemple parmi d’autres, en trois mois en 2015, deux agences de location de voitures ont reçu quelque 20500 dinars. En six mois, en 2015, des hôtels de deux et trois étoiles ont reçu quelque 54000 dinars. La Ctaf suspecte dans ses conclusions de l’appui logistique pour les terroristes vu que l’ensemble des hôtels et des agences se trouvent au sud tunisien à quelques kilomètres des frontières libyennes. Autres dépenses inexpliquées et suspectes pour la Ctaf, l’achat de 48.000 dinars d’équipements chez Medcom (société spécialisée dans la vente de téléphones portables) et de voitures Mazda et Toyota.
La Ctaf a également constaté une série de retraits d’espèces supérieurs à deux mille dinars dans leur majorité, ce qui est une violation de la législation tunisienne en la matière, puisque les associations ne peuvent pas payer en liquides les montants supérieurs à 500 dinars.
Après Islamic Relief, la Ctaf s’est penchée sur les comptes personnels de Mounir et Abdelmonem Daïmi, mais également l’épouse de ce dernier, Hager Abdelouahed qui a un poste de responsabilité (rémunéré) à Tunisia Charity.
On découvre ainsi que le couple a reçu en 2013 en l’espace d’un mois sur leur compte commun de Zitouna Bank deux virements totalisant 180.000 dinars. Après investigation, les virements venaient de Mounir Daïmi et devraient servir à l’achat d’un appartement. La banque a alerté les autorités sur les mouvements de ces montants importants ne correspondant pas aux données personnelles des titulaires. De plus, Zitouna Bank a alerté que Abdelmonem Daïmi est en rapport avec plusieurs associations et a reçu plusieurs virements parvenant d’Islam Relief avec le même objet, en dépit des dates différentes.
Ce compte du couple Abdelmonem et Hager Daïmi est alimenté de différentes sources, d’après la Ctaf. Des virements réguliers provenant de Qatar Charity correspondant a priori au salaire de Mme Daïmi ; des virements de l’Université tunisienne (vu que Abdelmonem Daïmi était également et étrangement enseignant universitaire) ; des virements du frère Mounir Daïmi ; un virement d’Islamic Relief correspondant au salaire de 6920 dinars de Abdelmonem Daïmi et une série de virements de l’étranger… Au total, d’après les calculs et un graphique de la Ctaf, le compte de Zitouna Bank du couple Daïmi a reçu quelque 449.681 dinars entre novembre 2013 et novembre 2017 en différentes devises (livres sterling, euros, US dollars) venant essentiellement du Royaume-Uni, mais aussi des Etats-Unis, de Belgique, de France, des Antilles néerlandaises et bien entendu du Qatar. Le pic des virements a été atteint en 2016 avec 191.161 dinars.
Des investigations ont été également menées sur le compte UBCI de Mounir Daïmi, directeur à la chaîne qatarie Al Jazeera, et ont montré qu’il était alimenté régulièrement de son propre compte bancaire au Qatar et qu’il y avait une procuration au profit de son père Mohsen Daïmi pour l’utilisation de ce compte. Les montants : quelque 394.000 dinars entre juin 2012 et août 2014. Des virements totalisant 212.000 dinars ont été virés du compte de Mounir Daïmi vers celui de son frère Abdelmonem, pour officiellement régler des crédits personnels et acheter un appartement.
Dans ses conclusions de cette enquête préliminaire, la Ctaf suspecte des liens avec des réseaux de terrorisme et de voyages dans les zones de conflit. Elle détaille d’ailleurs les points suspicieux, comme le fait d’engager des étrangers pour s’occuper du programme d’aides destiné aux nécessiteux tunisiens, de donner un pouvoir de gestion d’un compte bancaire à une personne non spécialisée, de louer des chambres d’hôtel et des voitures dans des régions frontalières avec la Libye en guerre, outre les importantes factures de carburant.
La Ctaf ne voit tout simplement pas les rapports entre ces différentes dépenses et l’objet même de l’association qui est d’aider les pauvres et les nécessiteux !
Business News a déjà parlé à plusieurs reprises, du business humanitaire et du business juteux des ONG ou encore du financement opaque des ONG et des associations. A chaque fois, nous avons été injuriés et dénigrés par ces salariés des Droits de l’Homme et des ONGs. La dernière en date est l’enquête concernant I Watch.
La Ctaf a agi, a investigué et conclu pour alerter ensuite officiellement le procureur de la République. Espérons qu’une instruction en bonne et due forme soit ouverte pour aller jusqu’au bout dans quelques unes de ces affaires. Espérons également que d’autres organismes publics, comme l’Inlucc de Chawki Tabib, agisse dans ce sens et en application de ses propres prérogatives, comme l’a fait la Ctaf.
Nizar Bahloul