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Une guerre où tous seront perdants
14/07/2020 | 11:04
5 min
Une guerre où tous seront perdants

 

La guerre couvait depuis quelques jours entre Ennahdha et Elyes Fakhfakh, chef du gouvernement. C’est hier, 13 juillet 2020, qu’elle a été officiellement déclarée avec l’annonce d’un remaniement qui concernerait les ministres nahdhaouis au sein du gouvernement. Plusieurs personnes se sont félicitées de cette manœuvre mais à y voir plus clair, il s’agit d’une fuite en avant plus que d’un geste politique maitrisé. Analyse.

 

Pendant que les ministres des Finances, des Grands Projets et de la coopération internationale (Nizar Yaïche, Lobna Jeribi et Selim Azzabi, respectivement) nous expliquaient avec force chiffres à quel point la Tunisie est mal en point, la scène politicienne était occupée à régler ses comptes. Le dossier de conflit d’intérêts du chef du gouvernement a porté un coup fatal à la crédibilité de son action à la tête de la Kasbah et a fait que le gouvernement est devenu plus proche de la gestion des affaires courantes que d’une réelle action. Dans cette situation, Elyes Fakhfakh avait le choix entre deux options : Démissionner ou aller vers la confrontation. Il semble clair qu’il a opté pour la deuxième option.

Autre fait important, Elyes Fakhfakh a réussi, sans doute profitant d’une certaine naïveté, surtout venant de la présidence de la République, à faire de son dossier de suspicion de conflit d’intérêt une affaire politique. Il faut lui avouer le talent d’avoir convaincu qu’il s’agit d’une affaire qui serait inventée de toute pièce dans le seul objectif de lui nuire. D’ailleurs, la communication de la Kasbah a appuyé sur ce point dans de précédents communiqués, où les critiques visant le locataire de la Kasbah étaient qualifiées de « campagne de dénigrement ». Dans le communiqué annonçant le remaniement prochain, la présidence du gouvernement écrit que l’affaire de conflit d’intérêts a été « gonflée » et que l’opinion publique a été mobilisée puis trompée. La Kasbah ajoute que ce dossier a été utilisé pour détruire la crédibilité d’Elyes Fakhfakh et du gouvernement pour le détourner des réformes et des changements qu’il a initiés et qui ne plaisent pas à certains. Il faut dire que l’on ne manque pas d’audace à la Kasbah la carte de victimisation dans un dossier qui fait l’objet des trois enquêtes distinctes : judiciaire, parlementaire et administrative. Le vrai détournement est de mettre ce dossier au cœur du conflit politique entre les trois présidences.

L’avant-dernier acte de cette tragédie dont la Tunisie sera seule à payer le prix a été l’intervention du président de la République. Dans un légalisme qui ne lui est pas étranger, Kaïs Saïed a vigoureusement fermé la porte à toute négociation sur un possible changement à la tête de la Kasbah tant que la situation juridique de Elyes Fakhfakh n’a pas changé. Cette déclaration était pour la galerie et pour récolter des points dans la bataille qu’il livre depuis déjà longtemps à Ennahdha. Mais dans les coulisses, certains échos évoquent une entente entre les deux chefs de l’exécutif pour « avoir la peau d’Ennahdha » et que c’est uniquement l’entrée de Elyes Fakhfakh dans cette bataille qui lui garantit un sursis à la tête de la Kasbah. Donc Kaïs Saïed « utiliserait » Elyes Fakhfakh comme le bras par lequel il parviendrait à écarter le parti islamiste du pouvoir. Pour Fakhfakh, il n’y a pas grand-chose à perdre puisqu’il est sur un siège éjectable depuis l’éclatement de l’affaire de conflit d’intérêts. Et puis, une éventuelle réussite dans cette manœuvre lui attirerait la sympathie des anti-Ennahdha. D’un autre côté, une telle démarche permet aussi au président de la République de s’attirer une certaine sympathie. Ceux qui le honnissaient, particulièrement sur les réseaux, ont subitement trouvé en lui un héros qui s’attaque frontalement à Ennahdha et ont multiplié les acrobaties intellectuelles pour lui trouver des listes interminables de qualités. Et puis soutenir Elyes Fakhfakh dans cette bataille permet aussi à Kaïs Saïed de faire oublier qu’il est à l’origine de sa nomination et que c’est lui qui avait estimé qu’il était le plus à même de conduire le pays en cette phase délicate. C’est aussi une part de crédibilité politique à lui qui a été perdue dans cette affaire de conflit d’intérêts, lui qui est tellement attaché à l’intégrité et à la rectitude.  

 

La grande inconnue aujourd’hui reste la réplique que va faire le parti Ennahdha. Au niveau du constat, deux choses sont importantes à prendre en considération. Le parti islamiste n’a jamais été aussi isolé sur la scène politique et les soutiens apportés par Al Karama et Qalb Tounes sont aussi fragiles que volatiles. Cette optique de « Ennahdha contre tous » est la hantise du parti islamiste depuis des années, c’est d’ailleurs pour cette raison que le parti avait entamé son processus de « tunisification ». La deuxième chose est que le parti Ennahdha doit réviser la certitude qu’il peut manœuvrer tranquillement en toute quiétude sans avoir d’opposition. La certitude de maitriser la scène politique tunisienne est sérieusement mise à mal. Il existe également un autre problème auquel le parti devra faire face : comment vont se comporter les ministres d’Ennahdha au gouvernement ?

Selon certains échos, Elyes Fakhfakh se contenterait de virer les ministres Ennahdha qui étaient d’accord avec la décision du conseil de la Choura de mandater Rached Ghannouchi pour trouver un remplaçant. Les autres ministres Ennahdha devraient suivre le mouvement et démissionner par solidarité partisane. Si cela n’est pas le cas, un autre coup serait porté à la cohésion interne au sein d’Ennahdha. Il y a également lieu de s’interroger sur la manière dont agira un ministre comme Abdellatif Mekki, qui n’était pas favorable à la décision de la Choura et qui est un opposant, au moins au niveau interne, à Rached Ghannouchi.

 

Les soubresauts de la vie politique tunisienne prennent un tournant dangereux et inédit. Jamais les conflits entre les trois présidences n’ont été aussi prégnants et aussi « déclarés », même lors des batailles de palais de feu Béji Caïd Essebsi, Nidaa Tounes et Youssef Chahed. A l’heure où la situation économique est au plus mal et où l’on risque une explosion sociale, les gouvernants de la Tunisie réglent leurs comptes au prix d’un temps précieux et irrattrapable. Pour rappel, Béji Caïd Essebsi est décédé le 25 juillet 2019, donc cela fait près d’un an que l’exécutif tunisien n’a pas bénéficié de la stabilité nécessaire à une quelconque avancée. Un an de stagnation dont la Tunisie n’a pas les moyens.

 

Marouen Achouri

14/07/2020 | 11:04
5 min
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Commentaires
Hafedh
Proverbe tunisien
a posté le 15-07-2020 à 17:03
Trop de capitaines fait couler le navire
Welles
Long et ennuyeux
a posté le 14-07-2020 à 22:23
Pour une fois ce monsieur ne tape sur Madame Moussi et le PDL
Alya
Oui le scénario est digne d une puissance economique
a posté le 14-07-2020 à 21:16
Mais très dangereux dans un petit pays au bord du gouffre économique.
Be zen
Le bon, la brute et le truand
a posté le 14-07-2020 à 20:07
Y a-t-il vraiment un bon ?

Ce dont je suis sûr c'est qu'il y a un qui est à la fois, la brute et truand.

Facile ...
Tunisien
Que c'est bien écrit...
a posté le 14-07-2020 à 18:54
A lire l'analyse de l'auteur de l'article tout le monde a tord sauf ennahdha qu'il présente comme victime...
Soyons sérieux, ce langage ne passe plus bien que je ne soit pas un fervent partisan de CDG ou du PDLR.
Il faut reconnaître qu'il s'agit d'une bataille de positionnement où El Khriji tient, bon gré mal gré, à réunir tous les pouvoirs. Pour un ex instit ou pseudo prof d'instruction civique et religieuse c'en est de trop...
Pour l'auteur il a tout intérêt à se recycler s'il veut trouver lecteurs attentifs...
Justinia
Islamisme,mort et eau de cologne.
a posté le 14-07-2020 à 18:43
Tous perdants? Non,Est perdant celui qui va vivre sous le joug islamiste.
Est perdant celui à qui on veut imposer la dictature islamique:La charia sanguinaire la doctrine des frères musulmans.Quant au peuple,s'il a faim,s'il est pauvre,s'ils votent pour eux ils seront récompensé... Demain.
Et on continuera à mourir pour avoir bu de l'eau de Cologne...
DHEJ
L'essence de la constitution...
a posté le 14-07-2020 à 17:45
Le perdant c'est la volonté du peuple !
Nephentes
Nahdha le poison
a posté le 14-07-2020 à 16:58
Dans un contexte economique sinistre qui impose la solidarite la lucidite et le courage
On trouve une nahdha mesquine insouciante de l'ineret general
La tete ailleurs
Esperons que cet episode permettea une peise de conscience
TABARKA
LA DEMOCRATIE N EST PAS UN VAIN MOT.
a posté le 14-07-2020 à 14:50
Le bon la brute et le truand. Ici le scénario est le même sauf que ces trois comédiens politiques vont d'ici quelques jours sinon quelques heures tombé dans les bras les uns les autres sourire aux lèvres et les salamalecs hypocrites qui s'imposent. La Tunisie ne se relèverait de ses cendres que si la principale fourbe disparait de la scène politique, BOURGUIBA le visionnaire a su employer le termes adéquat " couper la tète à la racine assèche les artères". Cette mouvance utilise la démocratie à des fins partisans, l'inquisition pratiquée par RCHID GHANNOUCHI et la peur qui répand met la Tunisie dans les bancs des accusés. STOP.
Rato
Merci à Abir de Gabes
a posté le 14-07-2020 à 12:44
Merci pour ce lien très intéressant :
http://kapitalis.com/tunisie/2020/07/11/le-rapport-du-congres-americain-qui-accable-les-freres-musulmans/
Voilà ce qui nous attend !
MFH
Ennahdha veut gouverner par l'exercice du chantage
a posté le 14-07-2020 à 12:31
S'il y a quelqu'un qui ne veut pas que les choses avancent, c'est bien Ennahdha. Les choses avanceront lorsque cette dernière comprenne qu'on ne peut avoir le beurre (ou religion) et l'argent du beurre (le pouvoir).
Mohamed_T
At BN
a posté le 14-07-2020 à 12:16
Il n'y aura qu'un gagnant et vous le savez, c'est le gourou. Sa devise est, diviser pour mieux régner et tôt ou tard il obtiendra ce qu'il veut, soit la majorité a l'ARP pour mette tout le monde au pas et la Tunisie dans la M...
MH
Très belle analyse..
a posté le 14-07-2020 à 11:24
La grande surprise viendra surtout de KS. Wait and see...
Gg
NON !
a posté le 14-07-2020 à 11:18
Non, ce n'est pas hier, "13 juillet 2020, qu'elle a été officiellement déclarée avec l'annonce d'un remaniement qui concernerait les ministres nahdhaouis", c'est avant, avec l'annonce de la volonté d'ennahda d'évincer FF.

Vous avez une curieuse lecture des événements!
ASS
La photo: qui tire le premier gagne!
a posté le 14-07-2020 à 11:15
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