Selim Azzabi n’est plus le gardien du temple qui s’écroule
La nouvelle est tombée dans la matinée du 9 octobre 2018, Selim Azzabi, chef de cabinet du président de la République a présenté sa démission. Un rebondissement de taille dans la guerre qui oppose Carthage à la Kasbah mais surtout, une preuve supplémentaire de l’isolement continu du président de la République.
S’il y avait une courroie qui continuait malgré tout à lier le président de la République à la réalité du pays et de la scène politique, c’était bien son chef de cabinet Selim Azzabi. Ce dernier a décidé de jeter l’éponge et de présenter sa démission en plein bras de fer entre la primature et la présidence. Il est tout à fait permis de penser que le communiqué publié hier par Nidaa Tounes à propos de la rencontre entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi ait été le déclic qui a scellé la décision de Selim Azzabi. Toutefois, il ne s’agit que de la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Réputé pour sa discrétion, Selim Azzabi n’en était pas moins efficace dans ses tentatives pour circonscrire l’influence de la famille Caïd Essebsi au sein du palais de Carthage. Une influence exercée et représentée par le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi. Selon plusieurs sources, les conseillers du président étaient divisés entre une partie pro Hafedh Caïd Essebsi et une autre qui essaye d’annuler, ou du moins de réduire l’influence de la famille sur le président de la République. C’est en ce sens que le chef de cabinet du président jouait le rôle de bouclier du président.
Il faut rappeler d’abord que Selim Azzabi est l’un des principaux lieutenants de Béji Caïd Essebsi. Il a été l’un des artisans de la victoire électorale de Nidaa Tounes en 2014 en occupant le poste de directeur exécutif de la campagne. C’est le 1er février 2016 qu’il avait été nommé chef de cabinet du président de la République en remplacement de Ridha Belhaj. Auparavant, il était premier conseiller en charge du secrétariat général de la présidence. C’est dire si Selim Azzabi faisait partie du premier cercle du président de la République.
Toutefois, Selim Azzabi paye également le prix de son amitié proche avec le chef du gouvernement, Youssef Chahed. Ils ont fait leurs classes ensemble en politique au sein du parti Al Jomhouri dans lequel ils se sont côtoyés. Maintenant que Youssef Chahed est devenu chef du gouvernement, Selim Azzabi s’est retrouvé entre le marteau de sa loyauté au président de la République et l’enclume de son amitié avec le chef du gouvernement. Plus la guerre entre les deux têtes de l’exécutif s’intensifiait, plus Selim Azzabi devait se contorsionner. Mais cette position ne pouvait en aucun cas tenir longtemps et c’est le clan Caïd Essebsi qui eut gain de cause en éliminant d’un poste aussi sensible l’un des soutiens influents de Youssef Chahed.
Désormais, l’étreinte de la famille Caïd Essebsi sur le président de la République est non seulement de plus en plus véhémente et affichée, mais elle est également étouffante et participe à l’isolement du président de la République. Béji Caïd Essebsi a commencé par se déclarer en guerre ouverte avec Youssef Chahed à travers plusieurs de ses déclarations. Ensuite, il a « choisi » de rompre le fameux consensus avec Ennahdha en essayant de porter atteinte à Youssef Chahed en le montrant dans la veste de celui qui est maintenu au pouvoir par Ennahdha. Par la suite, il éloigne de son premier cercle Selim Azzabi, un homme intègre privilégiant le dialogue et l’entente d’après les témoignages des principaux acteurs de la scène politique. Béji Caïd Essebsi aura le temps de gamberger sur les prochaines manœuvres durant son voyage en Arménie où il doit assister aux travaux du sommet de la francophonie dont il reviendra vendredi 12 octobre. Il est d’ailleurs fort probable que ce soit Habib Essid, nouveau conseiller aux affaires politiques du palais, qui occupe le poste de directeur de cabinet.
Aujourd’hui, Selim Azzabi quitte le palais de Carthage non sans amertume on peut le supposer. Il s’agit, pour lui, d’un engagement total auprès du président de la République qui a duré depuis la fondation du parti Nidaa Tounes. Toutefois, Béji Caïd Essebsi et la trajectoire prise par l’institution de la présidence de la République ont fini par décevoir les plus proches lieutenants, en plus d’une opinion publique dont l’avis est scellé depuis un moment. Cette démission vient confirmer, si besoin était, l’alignement du président de la République sur les positions et les volontés de son fils Hafedh.
L’entêtement du président de la République à mettre cette institution au service de la famille et des luttes d’influence, nous rappelle de mauvais souvenirs sur une période que l’on croyait révolue de l’Historie de la Tunisie. C’est justement de la récurrence de ce genre de comportements que Youssef Chahed tire sa popularité dans l’opinion publique et qu’il tire la confiance qu’il a en n’hésitant pas à défier le président de la République et surtout son fils.
Marouen Achouri