
Par Kamel Jendoubi
Kamel Letaïef, longtemps diabolisé, caricaturé comme l’homme de l’ombre est aujourd’hui condamné à 66 ans de prison. Une telle peine n’est pas une décision de justice, c’est une vengeance exercée prétendument au nom de la défense de l’État. Ce n’est pas une sanction, c’est une tentative d’effacement. On veut faire disparaître cet homme, physiquement, symboliquement, politiquement - comme on raturerait une page d’histoire.
Et ce qui accompagne cette peine, est un silence tout aussi glaçant. Un silence où beaucoup se détournent, craignant que la moindre parole de solidarité ne soit interprétée comme une complicité, du moins une réaction de compassion. Dans cette atmosphère empoisonnée, il suffit d’évoquer le nom de Letaief sans le condamner systématiquement pour être à son tour soupçonné, étiqueté, sali. On s’empresse alors de s’en démarquer, de s’éloigner, autrement dit de se taire. Mais il y a un moment où le silence devient une forme de lâcheté. Et où l’amitié, la loyauté, la simple décence commandent de dire ce qui doit être dit.
Oui, Kamel, je t’écris avec cette conviction douloureuse mais tenace que la vérité finit toujours par s’imposer, même lorsqu’on tente de l’enfouir sous les mensonges, les procès politiques et les peurs attisées et instrumentalisées comme autant d’épouvantails.
Ils ont cru pouvoir t’enterrer vivant en te condamnant à 66 ans de prison. Soixante-six ans ! Ce chiffre dit tout : il n’est pas une peine, il est une vengeance. Il ne vise pas à rendre la justice, mais purement et simplement à commettre une oblitération. Une tentative de t’effacer de la mémoire du pays, d’arracher ta participation au récit national. On n’enterre pas un homme qui garde la tête haute et le regard droit. Et toi, malgré tout, tu tiens.
Je sais combien ton nom est clivant, combien il est chargé, instrumentalisé. On t’a réduit à un rôle, à une fonction, à une caricature. Mais moi, je regarde l’homme. Celui que j’ai vu aider, parfois dans l’ombre, parfois à contre-courant. Celui qui a payé, déjà, et que l’on veut encore briser. Je regarde aussi le patriote. Celui pour qui la Tunisie n’a jamais été un simple mot, mais une conviction à défendre, même dans une situation complexe, même quand elle vous rejette. Un homme de réseaux, oui, mais aussi d’un certain nombre d’engagements. Un homme d’influence certes, mais qui a aussi su se montrer loyal.
Je ne plaide ni pour l’impunité, ni pour l’oubli. Je plaide pour une justice digne de ce nom. Une justice qui interroge, qui écoute, qui confronte les faits et ne se contente pas d’obéir servilement à des fantasmes. Une justice qui juge sur des preuves et en toute équité et non réduit son rôle à des hommes à abattre comme autant de prétendus dangers. Or, cette incarcération depuis deux longues années qu’avec d’autres on t’a fait subir, ce prétendu procès qu’avec d’autres on t’a imposé, est un simulacre et ta condamnation, une parodie du droit.
Et puis il y a les tiens : ta famille, tes proches. Ils traversent cette épreuve avec une dignité silencieuse, bouleversante. Leur douleur n’est pas dans les titres des journaux, mais elle est là, chaque jour, dans les murs froids des parloirs, dans l’absence, dans la rage contenue. À eux aussi, j’adresse toute ma solidarité. Tenez bon : vous n’êtes pas seuls.
Kamel, ce qu’on te fait aujourd’hui va au-delà de ta seule personne. C’est le symptôme d’un pouvoir qui a peur, d’un régime qui a besoin d’ennemis pour masquer ses échecs. Mais l’histoire a de la mémoire. Et ceux qui aujourd’hui t’écrasent, devront, demain, rendre des comptes.
Je t’écris ces mots comme on allume une bougie dans la nuit. Pas pour un espoir creux, mais pour tenir, pour résister, pour dire que tant que la parole existe, rien n’est totalement perdu.
Avec fraternité et détermination.

Bravo si Jendoubi, nous connaissons depuis longtemps votre classe, votre courage et vos valeurs... Hélas ils font tellement défaut à l'ISIE...
Il nous faut des Hommes et des Femmes en Tunisie, qui dénoncent l'injustice et l'arbitraire, même si c'est le procès de Satan en personne, et qui, en connaissance de cause, n'ont pas peur. Ni d'être suivis, ni d'être persécutés, ni même d'être enfermés injustement en prison.
Ils sont où les Taoufiks Ben Brik ?
Ils sont où les Chokris Belaid ?
Elles sont où les Mayas Jribi ?
Bientôt.
I have a dream.

