
Un conseil ministériel s’est tenu jeudi 13 mars sous la présidence de Kaïs Saïed. Au menu, le projet de loi portant amendement de certaines dispositions du Code du travail, qui vise, entre autres, à interdire et criminaliser la sous-traitance ainsi qu’à mettre fin au contrat à durée déterminée (CDD). Désormais, les employeurs devront recruter l’ensemble du personnel en contrat à durée indéterminée (CDI) après une période d’essai de six mois renouvelable une fois.
Pour l’histoire, notons que cela fait plus d’un an que ce projet de loi traîne dans les tiroirs du gouvernement. La première fois que Kaïs Saïed a évoqué le sujet des CDD et de la sous-traitance, c’était le mercredi 14 février 2024. Nous sommes en mars 2025 et la volonté présidentielle n’est toujours pas matérialisée, alors qu’il dispose de fonctionnaires (en CDI) qui travaillent à temps plein pour exécuter sa politique. Cela donne une idée sur la productivité de l’administration. En revanche, lorsqu’il s’agit du secteur privé, le président devient moins laxiste et exige que les chefs d’entreprise se décident en six mois pour embaucher, ou non, un nouveau salarié.
Une vision idéologique du travail
Pour justifier ces mesures qui vont totalement chambouler l’économie et l’emploi, le président de la République estime que ce type de contrat est une forme « d’esclavage déguisé et de traite d’êtres humains », selon ses propres termes. Pour lui, chaque travailleur a droit à un horizon clair. Épinglant, comme souvent, les nantis, il s’est interrogé : « De quel droit embauche-t-on une personne avec un salaire dérisoire alors que le patron touche plusieurs fois ce salaire ? ». À l’entendre, CDD et sous-traitance seraient même contraires à la Constitution. « La sous-traitance doit disparaître comme certaines espèces animales ! », a-t-il lancé samedi 8 mars 2025, à son ministre des Affaires sociales.
Sans aucun doute, le président de la République est mû par de bonnes intentions. Son idée est d’en finir avec la précarisation de l’emploi. Son autre idée (fixe) est que les patrons sont de méchants cupides qui s’enrichissent sur le dos des salariés et qu’il est de son devoir (et du devoir de l’État) d’imposer une politique sociale qui protège les travailleurs.
Aussi louables soient-elles, ces intentions présidentielles n’ont rien à voir avec la réalité du terrain. Les connaissances de Kaïs Saïed en économie et en management sont similaires à mes connaissances du mandarin, c’est-à-dire nulles.
Une approche simpliste et irréaliste
Qu’il y ait des patrons cupides et voyous, c’est une réalité, mais ils sont loin d’être majoritaires. De même, qu’il y ait des salariés fainéants et paresseux qui bâclent leur travail ne signifie pas que tous les travailleurs sont ainsi.
En l’absence d’étude scientifique sur la productivité réelle des salariés (notamment des fonctionnaires) et la rapacité des patrons, personne ne peut attester d’une vérité absolue. En tout état de cause, la généralisation n’est pas une méthode fiable.
Or, avec son nouveau projet de loi, Kaïs Saïed met tout le monde dans le même sac : tous les salariés seraient des victimes et tous les patrons, des voyous.
Une méconnaissance du monde de l’entreprise
Contrairement à la majorité de mes confrères, j’ai une double casquette : je suis à la fois journaliste et chef d’entreprise. J’ai été longuement salarié (parfois exploité) avant de devenir patron. Cerise sur le gâteau, j’ai commencé de zéro et n’ai jamais bénéficié d’une quelconque subvention fiduciaire, d’aucune nature et d’aucune partie. Partant, je suis bien placé pour connaître les deux mondes : celui des salariés et celui des dirigeants. Comme moi, il y en a des centaines, voire des milliers.
Le tissu économique tunisien est essentiellement composé de PME dont les fondateurs étaient, au départ, des salariés. Ils ont acquis l’expérience nécessaire avant de se lancer dans leurs propres projets. Il est rare, très rare, que l’on sorte directement des bancs de l’université pour devenir chef d’entreprise. Même les fils et filles à papa passent inévitablement par la case « salarié » avant d’occuper le très inconfortable siège de patron.
Tout ce monde-là est méconnu du président de la République, qui a été fonctionnaire toute sa vie en tant qu’enseignant universitaire médian et qui n’a même pas pu (ou eu à) diriger un département.
Une réforme improvisée et déconnectée de la réalité
Sans étude scientifique pour élaborer ce projet, sans expérience antérieure dans le monde de l’entreprise, sans connaissances économiques profondes (voire même basiques), sans comprendre les raisons de l’existence des CDD et de la sous-traitance ainsi que leurs mérites, le chef de l’État se lance dans le vaste chantier de la réforme du Code du travail.
Dans certains pays, chaque ligne du Code du travail est le fruit de décennies de lutte, de militantisme, de grèves, de manifestations et de sacrifices. En Tunisie, on prend la chose à la légère : le pouvoir décide seul de la réglementation du travail, sans consultation des acteurs concernés (organisations patronales et syndicales) ni même de débat public contradictoire.
Pourquoi le CDD est essentiel ?
Le CDD existe pour permettre aux chefs d’entreprise de tester leurs futurs employés qui, en tout état de cause, ont besoin de quelques mois d’adaptation. Qu’il y ait des patrons qui abusent des CDD et licencient systématiquement à la fin du contrat, c’est une réalité. Mais combien sont-ils réellement ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un patron ne laisse jamais partir un employé sérieux et productif. Que ce soit dans un café, une pizzeria, un journal, une banque ou une usine, les employeurs font tout pour garder leurs meilleurs éléments et leur offrir de bonnes conditions de travail.
La règle est simple : un employé heureux est un employé productif, et un employé productif génère plus de profits pour l’entreprise. Loin de l’idée d’exploitation, la relation entre un patron et un salarié est une relation win-win. Certes, le patron gagne (en théorie) plus que son salarié, mais c’est lui qui prend les risques. Comme il ne partage pas ses pertes avec ses employés, il n’a pas à partager les bénéfices non plus.
D’ailleurs, plusieurs patrons gagnent moins que leurs salariés et sont mille fois plus endettés. À cela s’ajoutent la pression constante, le stress et les insomnies, aspects que le chef de l’État semble ignorer.
La sous-traitance : une nécessité économique
Concernant les contrats de sous-traitance, force est de rappeler au chef de l’État qu’ils sont une obligation économique et de bon sens. Pourquoi recruter à temps plein une personne dont on a besoin seulement une ou deux heures par jour (technicienne de surface, coursier, comptable, maintenance informatique…) ou dont la spécialité dépasse les capacités de gestion de l’entreprise ?
Prenons un exemple simple : la sécurité. Une entreprise doit assurer une présence 24/7. Combien de gardiens doit-elle recruter pour garantir cela ?
Un seul ? Impossible.
Un pour le matin et un pour le soir ? Tout aussi impossible, car il faut prévoir les congés et les absences pour maladie.
Trois ? Cela reviendrait à payer un troisième gardien à ne rien faire quand les deux autres travaillent. Lui attribuer une autre tâche ? Impossible, puisqu’il est formé pour être gardien. Et on ferait quoi quand il y a deux absents ? Faire travailler le troisième 24/24 ?
Prenons un autre exemple : l’entretien des espaces verts. Une entreprise a besoin d’un jardinier, mais seulement de façon ponctuelle, pour tondre la pelouse, tailler les haies ou entretenir les massifs. Combien de jardiniers doit-elle embaucher pour cela ?
Un seul à plein temps ? Il n’aurait pas assez de travail toute l’année. Car certains mois, il n’y aurait presque rien à faire. Et si le jardinier s'absentait et qu'il y avait soudainement besoin d’un entretien urgent ? Attendre la repousse des mauvaises herbes ou en recruter un autre ?
Ce raisonnement (sciemment simpliste) vaut pour d’autres secteurs où la sous-traitance est la solution la plus rationnelle. Le sujet est complexe, bien trop complexe pour être géré par des fonctionnaires loin d’être productifs et omniscients, et encore moins par un chef d’État totalement inexpérimenté.
Une loi imposée, sans débat ni contestation
Sauf que nous n’avons pas le choix. Nous ne sommes ni dans une démocratie ni dans un pays où les gouvernants respectent les citoyens au point de débattre avec eux de ce qui les concerne. Le fait est que le projet de loi est prêt et que la chambre d’enregistrement, qu’est l’Assemblée, va le voter sans rien modifier de substantiel.
Mis devant le fait accompli, et pas vraiment connus pour être combatifs ou protestataires, les patrons vont devoir s’adapter à la nouvelle réalité que le régime de Kaïs Saïed s’apprête à leur imposer. Une réalité qui vient s’ajouter à la crise économique, à la chute du pouvoir d’achat, à la croissance en berne et à la nouvelle loi sur les chèques qui a drastiquement ralenti l’économie (la BCT a annoncé la semaine dernière une chute de 94 % du nombre de chèques en circulation).
L’uberisation de l’emploi en marche
Face à cette contrainte, les patrons vont immédiatement freiner l’embauche afin de ne pas alourdir leurs engagements. Cela entraînera inévitablement un ralentissement de leur productivité et de leur croissance.
S’ils se trouvent malgré tout obligés de recruter, les chefs d’entreprise feront appel à des indépendants. Concrètement, ils pousseront leurs salariés à obtenir des patentes et à créer des entreprises unipersonnelles pour continuer à travailler. En clair, le salarié ne sera plus salarié, mais prestataire de son ancien employeur. Ce dernier paiera moins d’impôts et n’aura plus à verser de cotisations sociales à la CNSS.
Cela porte un nom : l’uberisation. Adieu la sécurité de l’emploi voulue par Kaïs Saïed. Avec cette nouvelle loi, il risque d’aggraver encore davantage la précarité du travail.
Les véritables perdants de cette réforme
Qu’on ne s’y trompe pas, les chefs d’entreprise feront tout pour éviter la faillite. Dans cette affaire, les premiers perdants seront les employés que le chef de l’État prétend protéger.
Les compétences réelles trouveront rapidement un autre emploi et ne resteront pas longtemps inactives.
Les moins performants, habitués à la paresse, à la médiocrité ou à se fondre dans la masse, auront beaucoup plus de mal à s’adapter.
Mais étonnamment, et c’est ce qui échappe à Kaïs Saïed, le plus grand perdant ne sera ni le patron ni l’employé : ce sera l’État lui-même.
Il est essentiel de rappeler qu’avec une fiscalité écrasante, l’État est le plus grand "actionnaire" des entreprises tunisiennes. Or, avec cette réforme :
Les entreprises incapables de s’adapter feront faillite. L’État y perdra des recettes fiscales et des cotisations sociales.
Celles qui survivront réduiront leurs effectifs ou cesseront d’embaucher. L’État y perdra encore.
D’autres choisiront de recruter au noir, évitant ainsi impôts et cotisations. L’État y perdra toujours.
Les entreprises qui transformeront leurs salariés en prestataires ne paieront plus d’impôts ni de cotisations sociales. Rien ne garantit que ces nouveaux indépendants les paieront à leur place. L’État y perdra encore et encore.
Dans cet exercice élémentaire de prospective, l’État perd à tous les coups. Kaïs Saïed a beau avoir les meilleures intentions du monde, son nouveau Code du travail ne profitera à personne. Ce ne serait pas une première : jusqu’à présent, il n’a toujours pas apporté une seule idée véritablement bénéfique.




les employeurs voraces et rapaces, qui ont fait de
l exploitation de dizaines de milliers de jeunes employes, un paradis pour les entrepreneurs voyous et cupides, en les recrutant pour en faire un proletariat gratuit , a jeter a la poubelle, apres avoir recu les subventions de l etat, en les congedieant a la fin de la periode d essai et les recruter de nouveau pour s enrichir encore une fois avec l argent des contribuables. Un debat sur le sujet aurait contribue a paralyser et empecher cette reforme. Debattre en Tunisie
c est empecher toute reforme, car tous veulent changer pour que rien ne change. Cette reforme n est peut etre pas
par faite, mais elle a le merite de faire bouger les choses qui peuvent etres modifiees par la suite. Tenant compte du nihilisme, de la corruption et de l invidualisme suicidaire, dans les quelles les oligarchies du pays ont noye le peuple tunisien depuis l independance, plutot des decisions autoritaires d un president honnete et integre, qui veut l interet du pays, que les pseudos debats democratiques instrumentalises par des corporations d interets, qui font tout pour que rien ne change afin de sauver leur morbides interets...
On devrait améliorer les conditions de travail / les salaires surtout/ dans ces structures et non les les faire disparaître...
Le putschiste était (et l'est toujours) un salarié qui percevait sa paie à la fin de chaque mois, bon gré, mal gré. Il ne connaît rien aux incertitudes de la vie et des marchés. Un vrai désastre.
PS La biographie de ks nous apprend qu'il était chef de département à Sousse et à Tunis. Cette biographie a été publiée par BN avant les "élections" de 2024. J'avoue qu'une telle information m'a étonné. Pourquoi une université confierait la gestion d'un département à un employé qui ne détient qu'un DEA (autrement dit un simple étudiant de 3ème cycle). Cette chronique nous apprend que ks n'a jamais été un chef de département. Est-ce que BN a juste publié la biographie officielle de ks l'année dernière? En 2019, les acolytes du type le présentaient comme un professeur détenant un Doctorat en droit constitutionnel, une information qui s'est avérée fausse par la suite!!!! Toujours nadhif? Les tunisiens se le demandent.
Vos multiples casquettes et votre expérience tous azimuts vous offrent une vue panoramique du paysage socio-économique, et les compétences pour le lire et l'interpréter.
Et en bon pragmatique vous sauriez en tirer des actions salutaires pour le pays.
Puissiez vous être entendu en haut lieu...
Merci, et bon courage
enfin bref on va bien rire en fin d ann2e , et je ne souhaiterais pas etre a la place des ministres . KS va se dechainer sur eux .
est il vrai que l ancienne ministre des finances a ete inculp2 dans une affaire ?


