Loi sur l’investissement, l’échec latent d’une législation
Par Houcine Ben Achour
Deux ans. Voila seulement deux ans que le nouveau code d’encouragement à l’investissement a vu le jour. Il n’a fallu que ce délai pour qu’il soit d’ores et déjà marqué du sceau de l’échec. On ne peut comprendre que dans ce sens la portée du projet de loi du gouvernement relatif à « la mobilisation de l’investissement et l’amélioration du climat d’affaires ». Et du coup, on ne peut pas comprendre le sens du propos du ministre du développement et de l’investissement, Zied Laâdhari, qualifiant ce projet de loi de « révolutionnaire ».
En quoi le serait-il alors qu’il ne fait que corriger les tares d’une législation de l’investissement qui ne reflète aucune vision stratégique, sectorielle ou de filière, en cohérence avec un écosystème adapté d’éducation, d’enseignement supérieur et de formation professionnelle ? M. Laâdhari n’avait-il pas conscience des tares de notre cadre institutionnel, législatif et réglementaire régissant l’investissement, lors de la promulgation de la loi de l’investissement alors qu’il était à la tête d’un ministère directement concerné, le ministère de l’Industrie et des PME, en l’occurrence ? Plus encore, n’est-ce pas sous la tutelle du ministère qu’il dirige que les fameux décrets d’application de cette loi furent publiés, dont le décret relatif aux activités soumises à autorisation et ses 240 pages dans le Journal officiel de république tunisienne (Jort) ; le plus long décret de l’histoire de la législation de la Tunisie ? L’humilité dans le propos est une vertu qu’il faut savoir entretenir. A ce stade, il serait de bon temps de solliciter l’avis de Yassine Brahim, l’architecte de loi sur l’investissement, sur ce projet révolutionnaire.
Il ne s’agit nullement, ici, de critiquer le projet de loi en question. Bien au contraire, dans la mesure où il tente de corriger le tir. Il s’agit surtout de pointer du doigt la perte de temps et de circonscrire les responsabilités de cet état de fait. Car, en termes d’investissement, la situation est devenue plus que délicate ou sérieuse, véritablement préoccupante. Les intentions d’investissement déclarées auprès de l’Agence de promotion de l’investissement et de l’innovation (API) au cours des deux premiers mois de l’année 2019 sont en net recul par rapport à la même période 2018 : -21,2% en nombre de projets, -14,3% en enveloppe d’investissement et -14,5% au niveau des créations d’emploi.
Ces résultats semblent confirmer les résultats de l’enquête semestrielle de l’Institut national de la statistique (INS) auprès des chefs d’entreprises du secteur des industries manufacturière sur la situation de l’investissement et de ses perspectives. L’enquête relative au 2e semestre 2018 est, à cet égard, édifiante. En effet, si les patrons des industries manufacturières considèrent que l’évolution de l’investissement dans leur activité a relativement bien évolué, les avis qu’ils fournissent l’évolution de l’investissement durant le 1er semestre 2019 sont en recul. En clair, ils ne pensent pas que l’investissement va aller crescendo durant les prochains mois. Du moins jusqu’à l’été. Cela est particulièrement le cas pour les patrons des industries mécaniques et électriques (IME) et chez les industriels des matériaux de construction, de la céramique et du verre (IMCCV), accessoirement chez les patrons de l’industrie textile (ITH). Ce sentiment transparait dans les statistiques d’investissements déclarés dans l’industrie au cours des deux premiers mois 2019. Les intentions d’investissement dans les IMCCV affichent une baisse de 49% en nombre de projets, un recul de 13,5% en enveloppe financière et 48,5% en termes de création d’emploi. Les intentions d’investissement dans les ITH ont décru de 36,6% par rapport à la même période 2018, au niveau du nombre de projet et de 14,4% en termes de création d’emploi.
Cette attitude attentisme qui se profile concernant le climat de l’investissement dans le secteur industriel manufacturier ne pourrait d’ailleurs que se renforcer compte tenu des résultats qu’affiche l’indice de production industriel pour le mois de janvier 2019. En glissement annuel, il est en recul de 4,9%. S’agissant des industries manufacturières, il accuse une baisse de 5%.
Est-ce que le projet de loi « révolutionnaire » infléchira cette angoissante tendance ? Il faut bien l’espérer même si les craintes demeurent grandes que ce projet de loi ne serve qu’à satisfaire un aspect technique visant à améliorer notre classement dans le prochain rapport du Forum économique mondial de Davos sur la compétitivité ou celui de Doing business sur le l’environnement des affaires. Et rien de plus.