
Par Mohamed Salah Ben Ammar *
La disparition de Si Foued Mebazaa n’est pas seulement un deuil national, mais une invitation à une introspection collective sur les fondements de notre République et les trajectoires politiques que nous avons empruntées.
Avec lui s’éteint une certaine conception de l’État, une éthique de la responsabilité, qui contraste de manière saisissante avec les dérives actuelles.
À une époque où la Tunisie est confrontée à une gouvernance marquée par l’improvisation, la violence, la gesticulation et la polarisation, la méthode de Mebazaa résonne comme un rappel poignant des principes républicains.
Fouad Mebazaa, durant une brève période à la tête de la transition de 2011-2012, a incarné une forme de légitimité que Jürgen Habermas aurait qualifiée de « communicative » : une légitimité fondée sur le dialogue, la délibération et le respect des normes institutionnelles.
Son autorité ne reposait pas sur l’éclat de déclarations tonitruantes, mais sur sa capacité à créer un espace de consensus dans un contexte de crise profonde – et Dieu seul sait à quel point la situation du pays était alors critique.
Une autre idée de la légitimité politique
La méthode Mebazaa s’oppose radicalement à une approche populiste qui instrumentalise les émotions et les divisions. Lui avait choisi le dialogue, la retenue, et une politique favorisant une transition pacifique.
Tout le contraire de ce que nous vivons aujourd’hui, avec une gouvernance qui semble s’inscrire dans une logique de « légitimité charismatique », pour reprendre la typologie wébérienne, où l’autorité repose sur la personnification du pouvoir et la mobilisation des passions.
Malheureusement pour notre pays, cette approche, en négligeant les institutions et les procédures, mène inéluctablement à ce que Max Weber appelait le « désenchantement du monde », où les normes et les valeurs communes sont dissoutes au profit d’un pouvoir personnalisé et arbitraire. Cette vision simpliste et dangereuse du pouvoir est en train de détruire les acquis de la transition.
La méthode actuelle, empreinte de rhétorique punitive, de suspicion, d’accusations infondées et d’arrestations arbitraires, alimente une atmosphère de défiance et d’instabilité. Elle éloigne la Tunisie de ses idéaux démocratiques. Les décisions personnelles, aussi affirmées soient-elles, ne peuvent tenir lieu de projet collectif.
Une élégance républicaine disparue
L’élégance de Mebazaa, sa capacité à unir sans contraindre, à dialoguer sans dogmatisme, témoigne d’une culture politique où la raison et la modération priment sur l’émotion et l’exacerbation.
Dans un contexte où le pouvoir semble devenu un instrument de règlement de comptes, la méthode Mebazaa rappelle que la dignité et l’éthique sont les piliers d’une République solide.
Le respect de la fonction avait élevé l’homme au-dessus des tentations de domination. Il n’avait pas d’ennemis. Il mettait en pratique cette idée d’Hannah Arendt : la politique est l’art de « vivre ensemble dans la pluralité », et non un outil d’exclusion ou de soumission.
À l’heure où la Tunisie commémore Foued Mebazaa, il est impératif, en lui rendant un dernier hommage, de réfléchir à cette antinomie : entre un leadership qui construit et un leadership qui divise, entre une République fondée sur le droit et un pouvoir qui s’en affranchit. Or, aucun projet, aussi ambitieux soit-il, n’a le droit de piétiner les lois de la République. Et si porter une vision est une chose, la manière de la porter en est une autre : la manière de conduire un projet enseigne sur la validité de ce dernier.
Il ne s’agit pas ici de nostalgie, mais de lucidité. Il s’agit de tirer les leçons de l’histoire pour éviter les pièges de l’autoritarisme et de l’anomie.
La Tunisie est un petit pays paisible qui mérite un leadership qui respecte ses institutions, qui dialogue avec ses citoyens, qui fédère, et qui place l’intérêt général au-dessus des ambitions personnelles.
Notre pays mérite de retrouver la sagesse, la retenue et la modération que Si Foued Mebazaa a incarnées avec tant de dignité.
Puisse son exemple nous inspirer à reconstruire une République apaisée, où la raison, la justice et la solidarité seront les piliers de notre avenir commun.
* Pr Mohamed Salah Ben Ammar MD - MBA



Qui couvre le silence étourdissant de skis


