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Mon enfance avec Ahmed Souab
28/04/2025 | 12:33
4 min
Mon enfance avec Ahmed Souab

 

Mongi Souab, haut commis de l’État à la retraite a publié un long post Facebook sur sa relation avec son frère Ahmed Souab, ancien magistrat, actuel avocat et désormais prisonnier politique. Business News a traduit pour vous ce témoignage plein d’émotion et de vérités.

 

Mon enfance avec Ahmed Souab

Par Mongi Souab

 

Encore une nuit blanche... Je n'arrive plus à dormir trois heures d'affilée...

Ma relation avec mon frère Ahmed est celle de deux jumeaux.

Nos caractères sont différents, mais au final, nous nous sommes toujours compris.

Nous étions liés l’un à l’autre. Il est né en 1957, moi en 1958.

Nous avons fait notre primaire ensemble : au Bardo, à El Kherba" (près de Souk Blat) et à Ben Aïssia (près du quartier d’Ezzahrouni).

Il a décroché son sixième en 1969, moi en 1970.

Nous avons passé sept ans ensemble au lycée Ibn Charaf.

Il a eu son bac en 1976, moi en 1977.

Nous avons étudié le droit à la Faculté de droit du Campus.

Ahmed était plus brillant. Il a obtenu sa licence en droit. Il a voulu faire son service militaire : il l’a accompli à Redeyef.

Puis il est parti en France, a décroché son DEA, et est revenu à Tunis. Il a travaillé au ministère de l’Agriculture. Puis il a poursuivi un troisième cycle à l’ENA, avant de réussir le concours d’entrée au Tribunal administratif.

 

Quant à moi, j’ai intégré le ministère de l’Équipement en 1982 jusqu’à ma retraite en 2018.

 

Ahmed était beaucoup plus aventureux que moi.

Pendant ses études, surtout l’été, il travaillait comme peintre en bâtiment, guide touristique, surveillant.

Il arrachait littéralement les sous du mur. Même en France, il allait vendanger l’été dans les campagnes.

 

Depuis notre enfance, nous jouions au football ensemble. Lui était un défenseur intraitable, moi un attaquant.

On jouait dans notre quartier, puis à la "Mouldia du DenDen".

On jouait aussi aux cartes, surtout à la belote.

On se retrouvait tout le temps : dans notre quartier, au café d’Ezzahrouni, au Bardo, à la buvette de la faculté de droit, ou au café de la rue d’Irak à Lafayette.

 

Nous avions les mêmes amis.

Nos plus beaux souvenirs restent ceux de la fac, avec notre groupe surnommé "les Tsiganes".

On passait des nuits ensemble, jusqu’au petit matin parfois.

Les mêmes habitudes, les mêmes fréquentations.

 

Nous nous sommes mariés la même année, en 1989.

La vie nous a un peu éloignés : le travail, les enfants, nous ne vivions plus dans le même quartier.

Mais à chaque retrouvaille, c’était toujours une veillée jusqu’à l’aube.

 

Il faudrait écrire un livre sur Ahmed, sur ses éclats et ses aventures de jeunesse... et d’après jeunesse.

 

Ahmed Souab parlait la même langue, partout : en famille, au café, à la radio, à la télévision, et même au tribunal.

Il était proche de tout le monde : il parlait de la même façon au ministre, au juge, à l’employé, au chômeur.

À sa cérémonie de départ à la retraite du Tribunal administratif, tous les juges étaient présents… mais surtout les agents, les huissiers, les employés, et notamment les femmes de ménage.

 

Dans ses prises de position, Ahmed n’avait jamais peur d’être dans la minorité, surtout en politique.

Même au football : il était fou du Stade Tunisien ("La Baklawa"), même lorsque l’équipe a été rétrogradée en division 2, il continuait à la suivre, fidèle, assis en virage, refusant d’aller en tribune.

 

Ahmed était bridé par son devoir de réserve tant qu’il était juge.

Mais après 2011, il s’est lancé pleinement dans la vie publique.

Il a noué des liens forts avec les hommes politiques de tous bords, avec les organisations nationales, avec la société civile, avec les associations féminines, et surtout avec la jeunesse.

Il avait un énorme "capital sympathie" auprès des journalistes, toutes générations confondues.

Le reste, vous le connaissez :

Ce qui comptait le plus pour Ahmed, c'était la crédibilité, le courage moral, la maîtrise du droit, et sa manière si particulière de présenter et d’expliquer ses positions.

 

Pour ne pas trop allonger ce témoignage…

Ces dernières années, surtout depuis la retraite, chaque jour Ahmed faisait une marche.

Et chaque jour, il m’appelait.

On parlait au moins une demi-heure.

On riait, on plaisantait, un peu de famille, un peu de foot… mais beaucoup de politique.

 

À chaque manifestation, depuis 2011, nous descendions ensemble.

Surtout le 14 janvier et le 1er mai : pour lui, c’était sacré.

À chaque rassemblement, nous étions présents.

Parfois, on se relayait : "Il faut qu’il y ait au moins un Souab présent", disait-il.

 

Demain (aujourd’hui lundi 28 avril 2025 NDLR), Ahmed doit passer devant le juge d’instruction… sous des accusations "terroristes".

Ahmed, l’ami de tous.

Ahmed, le joyeux, l’homme de la blague.

Ahmed, le militant bénévole.

 

Combien de conférences données gratuitement dans les universités, dans les syndicats, dans les colloques ?

Combien de conseils juridiques, combien de plaidoiries en faveur des prisonniers d’opinion ?

Je ne sais pas ce que demain nous réserve.

Que Dieu nous protège.

Quoi qu’il advienne, quelle que soit la décision du juge, Ahmed Souab restera Ahmed Souab.

Et, inchallah, il reviendra parmi nous.

Car Ahmed n’appartient plus seulement à notre famille.

Ahmed est désormais un patrimoine pour tous les Tunisiens.

28/04/2025 | 12:33
4 min
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Commentaires
Ibnou charaf
Solidaire
a posté le 29-04-2025 à 11:41



Cher camarade de classe des années 70,

Ancien compagnon de terrain, aussi bien sur les pelouses de football que dans les terrains de handball, j'ai lu avec émotion ton témoignage en faveur de ton frère Ahmed. Je me joins sincèrement à toi pour lui souhaiter une libération rapide et équitable.

Cependant, qualifier Ahmed de "patrimoine" me semble quelque peu excessif. Je comprends qu'il s'agisse d'une expression profondément affective et fraternelle, mais, à mes yeux, une telle distinction ne reflète pas objectivement l'ensemble de son parcours et son rang dans le paysage politique du pays.

Avec tout le respect que je lui dois, Ahmed Souab ' que le grand public a découvert après la révolution ' n'a pas toujours incarné l'impartialité ou la neutralité. Il a longtemps été identifié comme un intellectuel engagé à gauche, très proche du parti radical "El Watad".

Cela dit, je reconnais pleinement son positionnement courageux depuis le 25 juillet 2021. En s'alignant avec les forces d'opposition, quelles que soient leurs appartenances, il a su défendre des principes et des vérités que je salue et respecte profondément.


Lylia Kachoukh Brahim
«Ahmed Souab  « un patrimoine »
a posté le 28-04-2025 à 18:51
C'est beau, c'est touchant!

« Ahmed est désormais un patrimoine pour tous les Tunisiens. »
Et le patrimoine, nous Tunisiens, nous y veillons
comme à la prunelle de nos yeux!
JH
Allah yfarraj 3lih
a posté le 28-04-2025 à 17:39
Inchallah rabbi yfarraj 3lih. I will refrain from commenting on what he said on camera that lead to his arrest. This is not the framework for that.
lotfi
amour
a posté le 28-04-2025 à 16:49
un post vraiment émouvant,je souhaite de tout mon c'?ur la libération de ce grand Homme sid hamed
Lucky Luke
Memento, quia pulvis es !
a posté le 28-04-2025 à 13:33
Et tant que la santé physique mais surtout mentale est là, tout le reste n'est qu'ombre et poussière.
Tout le reste est réversible et rattrapable.
Rester debout, le moral toujours au beau fixe ! Et quand la faucheuse frappe à la porte, ne pas avoir peur, sourire !

Vous qui avez vécu pleinement vos vies, partez sereinement avec le sentiment de l'aboutissement, d'avoir honoré vos convictions et de ne pas avoir trahi vos principes.
C'est là, chers amis, où réside le repos et la gloire éternels !