Les deux partis forts de la scène politique tunisienne réunis à la même table, ça c'est une première ! Les remous suscités par le mini-remaniement décidé par Youssef Chahed ont provoqué une telle polémique qu'ils ont occulté une image qui n'aurait pas du tout dû passer inaperçue. On a critiqué tant le timing de cette annonce, la manière "humiliante" avec laquelle Briki a été remercié, mais aussi le conflit créé avec l'UGTT en plaçant un membre de l'UTICA à la place du ministre limogé. Toutes ces questions ont jeté de l'ombre sur l'image d'un Hafedh Caïd Essebsi et d'un Rached Ghannouchi partageant le même micro pour exprimer, pratiquement, la même position.
En effet, pour réagir au mini-remaniement ministériel annoncé par Youssef Chahed samedi, Ennahdha et Nidaa Tounes ont décidé de s'assoir à la même table pour prononcer une position relativement similaire. Tous les deux soutiennent le nouveau gouvernement Chahed mais expriment tout de même de (petits) ressentiments quant au fait de "ne pas avoir été suffisamment consultés à l'avance". Pour ce, c'est le local d'Ennahdha à Montplaisir qui a évidemment été choisi pour cette réunion. Un autre message.
A l'issue de cette réunion, les deux partis réunis ont regretté le manque de concertation de la part de Youssef Chahed non seulement à leur égard mais aussi avec le reste des parties signataires de l'accord de Carthage. Pourtant, aucun des autres partis représentés dans le gouvernement n'a été invité à s'exprimer aux côtés des deux barons. Ni Afek, ni Al Joumhouri, ni Al Massar n'ont été conviés pour s'allier à la position conjointe des partis au pouvoir. Au lieu de cela, Ennahdha et Nidaa se sont accaparés l'attention à eux seuls. Le principe de concertation inscrit dans l'accord de Carthage? Il ne les concerne visiblement pas.
Un message négatif est clairement envoyé aux autres partenaires du pouvoir. Est-ce une volonté affichée de les écarter encore plus? La question se pose.
Malgré leur faible représentation, ces partis font tout de même partie de l'équipe gouvernementale encore en exercice. Une équipe qui veut, dans un contexte de tiraillements politiques continus, donner l'image d'une équipe plus que jamais forte de ses alliances et équilibres. Si Youssef Chahed a réuni tout son cabinet autour de lui pour sa dernière sortie télévisée, en interne, l'image d'une équipe solidaire et soudée ne passe visiblement pas.
Force est de reconnaitre que les positions des autres partis ont été totalement différentes de celles exprimées par les deux partis au pouvoir. Al Joumhouri, de son côté, a estimé que ce remaniement est une "erreur". Al Massar s'inquiète, qualifie la manière avec laquelle les choses ont été faites de "inacceptable" tant le principe de consultation n'a pas été respecté. Afek par contre annonce qu'il ne prendra aucune position et qu'il ne se prononcera pas à ce sujet. Curieuse manière de s'affirmer au sein d'un gouvernement pour un parti qui se fait de plus en plus rare.
Pour un mini-remaniement qui n'apporte pas grand changement et ne touche aucun des ministères régaliens ou d'importance, il a fait beaucoup de bruit. Mais au-delà de la polémique suscitée par un éventuel bras de fer créé avec l'UGTT, suite au remplacement d'un ministre syndicaliste par un autre appartenant au patronat, il y a lieu de s'interroger sur les équilibres mêmes qui composent le gouvernement et les rapports de force qui existent entre eux. Ennahdha et Nidaa ont su faire contre mauvaise fortune bon cœur et s'allier...pour le meilleur et pour le pire. Est-ce pour autant contre tous les autres?


