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Tunisie - Les nouvelles lignes rouges

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La Tunisie a réalisé un vrai miracle, celui de la révolution. Bien que bourdonnant de colère, et bouillonnant de dépit, nul ne s’attendait à ce que le peuple bouge, éclate et fasse chuter un régime aussi puissant que celui de Ben Ali. C’est arrivé en Tunisie. Une révolution qui changera à jamais la carte politique de plusieurs pays. Une lueur d’espoir s’est propagée à la suite de cette révolution, l’espoir d’un avenir meilleur. Cet avenir est actuellement en train de prendre forme avec les travaux de la Constituante et les actions politiques du gouvernement d’une part, et les échos de la rue et les agissements des citoyens de l’autre.
Cet avenir sera-t-il meilleur, si un individu se permet de remplacer le drapeau, si on pense remettre en cause les acquis inscrits dans le Code du Statut Personnel, si on se met à parler d’annulation du mariage civil, de modification de l’hymne national, de la Chariâa comme source principale des lois, ou encore si on propose l’instauration d’un conseil d’Oulémas (savants religieux) pour trancher sur ce qui est ou n’est pas «hallal»?
Lors de la campagne électorale, les partis politiques ont voulu être rassurants face à une population qui s'interrogeait, s’inquiétait et hésitait encore sur son choix électoral. C’est alors que sont apparus les discours modérés, les promesses de progressisme et l’engagement solennel des politiciens à sauvegarder les acquis de la Tunisie et même à les consolider.
Même Ennahdha, qui se positionne le plus à droite, qui incarne le parti le plus conservateur parmi les partis candidats, avait à l’époque multiplié les déclarations telles que «nous optons pour un Etat civil», «nous ne toucherons pas au CSP», «nous n’instaurerons jamais la polygamie», «nous consoliderons les libertés et notamment celles de la femme», etc.
Et voilà que la séparation entre la politique et la religion ne convainc plus et cause une grande polémique au sein de la Constituante. Certains se proclament en effet contre cette séparation, car selon eux, ce serait une manière de renier notre identité arabo-musulmane. Par ailleurs, Sadok Chourou, un des élus d’Ennahdha, est allé jusqu’à évoquer l’intérêt d’instaurer une institution religieuse, le «Conseil des Oulémas», un conseil chargé de décider de la conformité des lois avec les préceptes de l’Islam : «Ce Conseil aura pour but de trancher sur les sujets de la Chariâa qui font l’objet de différentes interprétations ou qui ne trouvent pas une réponse claire dans le Coran ou la Sunna», avait-il déclaré en substance lors d’une interview sur Oasis Fm.
De son côté, le CPR, parti des «défenseurs des droits de l’Homme» par excellence, militant pour les libertés et adepte de la laïcité à l’époque où il était encore dans l’opposition opprimée, promettait de tout faire pour que les libertés, toutes les libertés, soient défendues et préservées. Sauf que, ses représentants à la Constituante,contre toute attente, ont proposé des mesures et réglementations plutôt rétrogrades. A commencer par un des élus CPR qui avait proposé l’importation du concept de «Ma’zoun» (notaire religieux), et à lui attribuer exclusivement la prérogative de conclusion de contrat de mariage, mettant ainsi fin au mariage civil, qui actuellement fait partie intégrante des prestations municipales ou du notaire. Notons que même si cette proposition a été retirée et n’a pas été prise en considération, le fait seulement d’y songer constitue une menace directe au CSP.
Quant au vétéran de la Constituante, Taher Hmila, du CPR également, il trouve l’hymne national dépassé et considère que certains vers incitent à la révolte. Il propose alors de le changer et de le mettre à jour avec la situation postrévolutionnaire, qui appelle à la vie et non à la mort. Cet hymne national qui a retenti dans toutes les manifestations, qui a uni tous les Tunisiens pendant la révolution et qui a même été fredonné par les autres peuples qui se sont révoltés, en hommage à notre peuple et à notre révolution, c’est cet hymne national que M. Hmila critique et préconise de changer.
Et voilà qu’un salafiste a osé retirer notre drapeau national du toit du bâtiment de la faculté de la Manouba, pour le remplacer par un autre, idéologique voire même sectaire. Notre drapeau, avec son étoile et son croissant, symboles picturaux de l’Islam, notre couleur rouge, que nos martyrs, ceux de l’indépendance comme ceux de la révolution, ont payé de leur sang, ce drapeau, si cher au cœur des Tunisiens, a été lâchement profané! Ne serait-ce pas dépasser les limites, toutes les limites morales et symboliques de tout un peuple ?
Y a-t-il vraiment des lignes rouges à ne pas dépasser? Et puis, où est-ce que ces lignes ou limites se situent-t-elles? Est-ce que par exemple renoncer au mariage civil et se limiter à celui religieux est moins grave que la publication d’une photo dénudée dans un journal ? Est-ce qu’il y a de la place pour un conseil d’Oulémas dans un «Etat civil»? Ou bien, est-ce que les agressions contre des étudiantes de la faculté de la Manouba, peuvent passer inaperçues car les autorités, de peur de retomber dans la répression ou complices par leur silence, optent pour la passivité?
Dans tous les cas, les lignes rouges, si elles existent ne sont pas les mêmes chez les conservateurs et chez les modernistes. On devrait peut-être parler plutôt de ligne de démarcation entre deux tendances idéologiques. Sauf que, l’une étant au pouvoir, semble faire de ses convictions des notions sacrées et des convictions des autres, des atteintes, des dépassements, si ce n’est carrément des dérapages.
Si dans notre pays, on accepte le niqab, l’excision et le mariage coutumier, c’est qu’on a franchi le pas et piétiné le territoire de la liberté de la femme. Mais, il ne faut pas oublier non plus que si on accepte de changer de tenue vestimentaire, de dialecte, de traditions et de principes, on aura détruit notre identité, cette identité qui semble pourtant être vénérée, par cette partie ou l’autre.
Alors, au lieu de se disputer sur le contrat de mariage, sur les paroles tuniso-égyptiennes de l’hymne national, ou sur la venue de prédicateurs extrémistes, on devrait plutôt veiller à ce que tout Tunisien, de droite ou de gauche, salafiste ou progressiste puisse trouver un toit qui l’abrite, un travail qui le nourrit et une société qui l’intègre. On devrait honorer notre identité, notre Islam mais également notre patrie, notre drapeau et notre histoire, qui n’en sont pas moins sacrés.
Dorra Megdiche Meziou
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