Les candidats à la présidentielle poursuivis soudainement par la justice se succèdent. Après Safi Saïd, Abir Moussi, Nizar Chaâri, Mondher Zenaïdi, Lotfi Mraïhi et d’autres, c’est au tour de Abdellatif El Mekki d’être cité à comparaitre pour une affaire judiciaire qui sent le roussi. Celle du décès du politicien Jilani Daboussi en 2014. Le fait que l’affaire remonte maintenant à la surface, à trois mois de la présidentielle, juste après que M. El Mekki a annoncé sa candidature, soulève des interrogations et jette le trouble. S’agit-il d’une affaire montée de toutes pièces, comme d’autres, ou c’est bien la justice qui fait juste son travail ?
C’est la blague qui circule le plus depuis hier sur les réseaux sociaux tunisiens. Mieux vaut en rire, en effet. « Si le prophète Moïse se présente à la présidentielle en Tunisie, il se trouverait accusé de préjudice au domaine maritime ». La blague est de circonstance tant les candidats potentiels et déclarés à la présidentielle sont nombreux à se trouver, du jour au lendemain, cités dans des affaires judiciaires, voire carrément en prison.
Le régime de Kaïs Saïed donne en effet l’impression de tout faire pour éliminer ses adversaires de la course à la présidentielle officiellement prévue pour le 6 octobre prochain. Pour ce faire, l’utilisation de l’appareil judiciaire, qu'il détient totalement entre les mains, semble le meilleur moyen. Les affaires prêtent à rire parfois, comme celles dans lesquelles sont cités Mondher Zenaïdi ou Nizar Chaâri. Parfois, elles font rager tant elles paraissent superflues comme celle dans laquelle est détenue Abir Moussi. Parfois, il y a du consistant comme celle impliquant Safi Saïd. Il y a même les coups du sort comme celle de Lotfi Mraïhi, bêtement trahi par la secrétaire générale de son parti qui a révélé la semaine dernière l’existence de comptes bancaires à l’étranger lui appartenant.
Dernier candidat à la présidentielle se trouvant avec une affaire judiciaire sur le dos, Abdellatif El Mekki qui a révélé sa candidature le 26 juin 2024. Cinq jours après, hier 2 juillet, son parti révèle qu’il est convoqué pour comparaitre le 12 juillet devant le juge d’instruction pour l’affaire de feu Jilani Daboussi. Sachant qu’il n’y a pas de coïncidences en politique, le timing semble des plus suspects, c’est le moins que l’on puisse dire, d’autant plus qu’il y a plusieurs précédents et que la date correspond, en général, aux vacances judiciaires. Mais il ne faut pas aller vite en besogne, car en dépit de son apparence politique, l’affaire existe bel et bien et traine depuis dix ans.
Flashback. Feu Jilani Daboussi était médecin et maire tout puissant de Tabarka. Il bénéficiait d’une excellente réputation auprès des uns et d’une réputation sulfureuse auprès des autres. Il était un des caciques de l’ancien régime de Ben Ali et fut l’un des tous premiers à subir la chasse aux sorcières menée par les politiciens et les magistrats de l’après 14 janvier 2011. Il est vrai qu’il avait beaucoup d’amis, mais il avait également un bon nombre d’ennemis.
Il a été arrêté en octobre 2011 et est resté en prison jusqu’au 7 mai 2014, bien au-delà des délais légaux de quatorze mois de détention préventive. Ses conditions de détention étaient horribles, puisqu’il était gravement malade et sous dialyse péritonéale. Quelques heures après sa sortie de prison, il est mort à l’âge de 67 ans. Avant cette libération, sa famille a multiplié les recours pour le faire libérer provisoirement afin qu’il puisse être soigné chez lui, tout en restant à la disposition de la justice. En dépit de décisions formelles de la cour de cassation, à cinq reprises, sa libération fut refusée.
Forcément, après tant d’injustice flagrante, la famille du défunt ne pouvait pas rester les bras croisés. C’est son fils Sami Daboussi qui est monté au créneau pour saisir les médias et la justice afin de venger son père. Totalement verrouillé par la troïka aux commandes, le système judiciaire tunisien tenu par une main de fer par le ministre islamiste Noureddine Bhiri, a réussi à bloquer le dossier. Sami Daboussi est parti alors en 2015 saisir la justice française puisque son père et lui avaient la double nationalité.
Daboussi fils a présenté à la justice française un enregistrement sonore impliquant Noureddine Bhiri et plusieurs autres responsables dans le gouvernement de la Troïka. La Commission rogatoire internationale envoyée fin 2016 par le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Paris aux autorités judiciaires tunisiennes a toutefois été bloquée par la justice tunisienne pour des raisons bien fallacieuses. Il y a eu, ensuite, des correspondances jusqu’en 2017, par voie diplomatique, entre les autorités judiciaires tunisiennes et françaises, mais celles-ci n’ont abouti à aucun résultat concret.
« C’est un crime d’État, mon père a été détenu d’une manière illégale bien que la cour de cassation ait confirmé son innocence », nous indique le fils du défunt en mars 2016. Et d’ajouter qu’il a présenté à la justice française un enregistrement audio, qui confirme que Noureddine Bhiri aurait demandé la falsification du rapport médical de Jilani Daboussi.
« Malgré les multiples requêtes des autorités judiciaires françaises, leurs homologues tunisiennes n’ont fait preuve d’aucune coopération à ce sujet » a ajouté Sami Daboussi en précisant qu’il existe, pourtant, un protocole de coopération bilatérale entre les deux pays au niveau des ministères, « qui n’a pas été respecté, même par le gouvernement actuel ».
Et d’enchaîner, qu’il existe, selon lui, « une réelle volonté pour étouffer cette affaire ».
En 2016, déjà, M. Daboussi parlait de crime d’État et c’est le titre qu’a choisi alors Business News, pour l’un de ses nombreux articles sur le sujet.
Face à la polémique, les islamistes tous puissants à l’époque ont répondu en rangs serrés, comme d’habitude. Noureddine Bhiri a toujours joué la carte du mépris total en rejetant pêle-mêle les accusations et en invitant, ironiquement, M. Daboussi à saisir la justice.
En sa qualité d’ancien ministre de la Santé, Abdellatif El Mekki a affirmé que les médecins de la prison ont fait leur travail sans l’influence de personne. Prenant la défense de son camarade Bhiri, M. El Mekki a affirmé le 26 mars 2016 au micro de Hatem Ben Amara sur la Radio nationale, que le ministère de la Justice n’est nullement intervenu et d’une quelconque manière dans le rapport médical du défunt. Arrogant à souhait, il s’est emporté contre Sami Daboussi qui roule, d’après lui, des mécaniques brandissant la nationalité française de son père afin de ternir l’image de la Troïka et d’Ennahdha en particulier et dans l’espoir de « soutirer deux sous ».
« Ce dossier nourrit une machine de propagande de Ben Ali dont le but est de détruire tous les acquis de la révolution » a déclaré Abdellatif El Mekki, « elle n’y arrivera pas, même si nous devions ramper à genoux, cette machine ne fera pas revenir le pays en arrière » a-t-il ajouté, en mars 2016.
MM. Bhiri et El Mekki ont cependant beau rejeter les accusations et jouer l’arrogance, ils n’ont pas réussi à convaincre grand-monde. Outre les médias tunisiens et la justice française qui ont donné du crédit aux affirmations et aux preuves présentées par Sami Daboussi, il y a un rapport du Comité des droits de l’Homme (CCPR), un organe de surveillance du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, qui s’est prononcé, le 28 novembre 2023, sur l’affaire. Dans ce rapport, le comité onusien reproche aux autorités tunisiennes d’avoir “failli à leur devoir de protéger la vie de Jilani Daboussi, qui se trouvait sous l’autorité de l’État” et estimé que ce dernier a été victime d’une “violation des droits de l’Homme”. Ce comité dénonce “l’absence d’enquête menée par les autorités tunisiennes pour examiner les dénonciations faites sur la façon de gérer la prise en charge médicale” de Jilani Daboussi.
Plus de huit ans après le tragique décès et des polémiques et procédures judiciaires sans fin, la justice tunisienne s’est ressaisie et a décidé d’examiner le dossier avec sérieux. L’ordre de réexamen serait venu du président de la République en personne. Le 10 janvier 2022, le procureur de la République près le Tribunal de première instance de Tunis annonce l’ouverture d’une enquête sur les circonstances du décès de feu Daboussi et ce pour tentative de meurtre avec préméditation, torture et mauvais traitements conformément aux articles 32, 59, 201, 202, 101bis, 143 du code pénal.
Depuis cette date, le juge d’instruction chargé de l’affaire multiplie les interrogatoires, mais aussi les mandats de dépôt.
Le 1er mars 2024, il en émet un à l’encontre de Nadia Helal, médecin de la santé publique à la prison civile de la Mornaguia. Elle serait derrière un rapport ayant conduit à une interdiction au défunt de se faire soigner à l’extérieur de la prison.
Le 15 avril 2024, un mandat de dépôt est émis contre l’ancien procureur général, près la cour d’appel de Tunis (aujourd’hui à la retraite), qui aurait délibérément utilisé sa position pour empêcher Daboussi de poursuivre son traitement dans un hôpital public.
Le 31 mai 2024, un mandat de dépôt est émis contre Mondher Ounissi, président d’Ennahdha par intérim. Les implications de ce dernier n’ont pas été éclaircies.
Le 20 juin 2024, un mandat de dépôt est enfin émis contre Noureddine Bhiri, première cible de Sami Daboussi.
Ne se suffisant pas de ces quatre mandats de dépôt, le juge continue donc son enquête et c’est dans ce cadre qu’il a convoqué Abdellatif El Mekki. Le timing peut sembler suspect, vu sa concomitance avec la présidentielle et la candidature, mais les faits sont là, il y a bel et bien une instruction qui poursuivait normalement son très lent chemin judiciaire.
Pour défendre son candidat, le parti de M. El Mekki relève que la convocation a été émise cinq jours après l’annonce de candidature. L’ancien ministre rappelle qu’il n’en était plus un au moment du décès de Jilani Daboussi, mort le 7 mai 2014 alors que M. El Mekki a quitté le gouvernement en janvier 2014. Ce qui est vrai pour M. El Mekki l’est également pour M. Bhiri qui a quitté le gouvernement Jebali bien avant cette date. Sauf que le juge n’a pas tenu rigueur de cette histoire de dates concernant l’ancien ministre de la Justice, considérant qu’il y avait suffisamment de charges justifiant l’émission d’un mandat de dépôt. Trouvera-t-il des charges contre l’ancien ministre de la Santé ?
Tout dépendra de l’interrogatoire qu’il lui fera le 12 juillet. Abdellatif El Mekki devrait bien faire valoir ses arguments et prouver que son département n’était pas impliqué dans le dossier des prisonniers. Il devra également répondre de ses déclarations médiatiques arrogantes en 2016 et 2020 quand il s’est prononcé sur le dossier, pris la défense acharnée de Noureddine Bhiri et attaqué la famille du défunt.
Au vu des éléments disponibles et en dépit des apparences, l’affaire de Abdellatif El Mekki ne serait pas montée de toutes pièces, comme les autres.
Raouf Ben Hédi
On peut dire qie le regime profite ,peut etre et pourquoi pas.
Dr ounissi n'acjamais été medecin de la prison.
L'ex-troïka a fait trop de mal aux tunisiens et à la Tunisie. Il y a eu trop de victimes après 2011...
voir l e lien :***
J'espère que ce saura le tour dautres islamistes. Ces derniers ont laissé des traces indélébiles.
Le régime devrait arrêter tous les responsables islamistes coupables de la décennie noire, y compris les responsables régionaux.
On attend la suite
Le grand paradoxe ,lorsqu'il y avait un doute sur les présidentielles, les 'candidats' se bousculent
pour annoncer leurs 'candidature'. Mais une fois que la date est annonçée.........ON NE VERRA PAS DE CANDIDATS!!!!
Donc on a cherché la petite bete dans le dossier de Mr Mekki et malheureusement on l'a trouvé. Mr Mekki ne pouvait pas ne pas être au courant de ce crime d'état.
au delà il faut absolument souligner l'horreur inhumaine de notre système judiciaire et son instrumentalisation quelque soit le pouvoir en place
Je dirais plutôt : "beaucoup des poursuivis par la justice sont soudainement des candidats à la présidentielle", Pourquoi? La réponse devrait être évidente...
Immunité parlementaire ou pas
Connu ou Inconnu
Tout le à des comptes à rendre à la Justice de son pays.
Alors, laissez travailler la Justice