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Associations en Tunisie : Kaïs Saïed a lancé la guerre, puis quitté le champ de bataille
17/06/2025 | 10:07
5 min
Associations en Tunisie : Kaïs Saïed a lancé la guerre, puis quitté le champ de bataille
Service IA, Business News

 

En 2022, Kaïs Saïed annonçait vouloir revoir le décret 88 encadrant les associations. En 2025, aucun nouveau texte n’a vu le jour. Pourtant, les effets de cette croisade présidentielle sont bien là : comptes bancaires gelés, dirigeants en prison, climat de peur généralisé. Une stratégie de diabolisation alimentée par des discours virulents, mais démentie point par point par les données objectives des centres El Kawakibi et Ifeda.

 

Tout commence en février 2022, lorsque Kaïs Saïed annonce vouloir amender le décret-loi n°88, cadre juridique fondateur de la liberté associative post-2011. Il accuse alors les ONG de servir de relais à des puissances étrangères. Dès mars 2022, une copie fuitée d’un projet de loi suscite une levée de boucliers : interdiction quasi totale des financements étrangers, rattachement obligatoire à un ministère de tutelle, encadrement idéologique des activités. L’ombre du contrôle politique plane.

En octobre 2023, le projet est officiellement déposé par un groupe de députés acquis à la cause présidentielle. Le texte, en totale adéquation avec la Constitution de 2022, propose d’imposer une souveraineté absolue sur les ressources et les champs d’action des associations. Certaines dispositions prévoient même l’interdiction d’activités jugées contraires aux bonnes mœurs ou à l’unité nationale, ouvrant la voie à une répression ciblée contre les associations de défense des minorités.

 

2024 – Le cap de la violence verbale franchi

Le 6 mai 2024, lors d’un Conseil de sécurité nationale, Kaïs Saïed passe un cap. Dans un discours aux accents conspirationnistes, il accuse frontalement les associations d’être des traîtres et des mercenaires. Il évoque des milliards venus de l’étranger, des réseaux étrangers connectés à des acteurs locaux, et accuse les défenseurs des migrants de vouloir implanter des subsahariens en Tunisie. Les associations, dit-il, « pleurnichent dans les médias » et cherchent à porter atteinte à l’État sous couvert de liberté d’expression.

Cette rhétorique belliqueuse ancre dans l’opinion publique l’idée que la société civile est une cinquième colonne, menaçant la souveraineté nationale. Elle ouvre la voie à une criminalisation systématique de tout discours critique.

 

2025 – Toujours pas de loi, mais la répression est bien là

Trois ans après la première annonce, aucune nouvelle loi n’a été votée. Mais les effets de la campagne présidentielle se font sentir : plusieurs associations ont cessé leurs activités, étouffées par le gel de leurs comptes bancaires. Dix dirigeants sont aujourd’hui en détention, parmi eux : Saadia Mosbah, Sherifa Riahi, Imen Ouardani, ou encore Mohamed Jouou.

La peur s’installe : les banques imposent des restrictions, les partenaires internationaux hésitent à s’engager, et les structures locales réduisent leurs actions, dans un climat où l’arbitraire supplante la loi.

 

Les chiffres qui contredisent la propagande

Cette offensive politique contre les associations repose sur un discours sans preuve. Or, deux centres indépendants – El Kawakibi et Ifeda – livrent une réalité toute autre.

Selon El Kawakibi, entre 2021 et 2024 :

Les associations pèsent 1,66 % du PIB tunisien.

Elles emploient 38.000 personnes (salariés et stagiaires).

Elles participent aux caisses sociales à hauteur de 92 millions de dinars.

Elles injectent entre 70 et 90 millions de dinars en devises étrangères dans l’économie nationale.

6.000 associations sont actives fiscalement, payant TVA et frais douaniers.

De son côté, l’étude Ifeda de juin 2025 rappelle que les associations étrangères ne représentent que 0,87 % du total (218 sur 25.171). La majorité œuvre dans les secteurs culturels, éducatifs et sportifs, loin des fantasmes de l’infiltration politique. À Tunis, Sfax ou Nabeul, ce tissu associatif est un pilier du lien social et du service de proximité.

 

Le contre-pouvoir ciblé, le vide juridique entretenu

En trois ans, Kaïs Saïed n’a pas produit de texte, mais a réussi à démolir un pan entier du contre-pouvoir démocratique. Le projet de loi liberticide dort dans les tiroirs, mais la société civile, elle, agonise à ciel ouvert. Associations réduites au silence, finances asphyxiées, figures jetées en prison : le travail répressif s’est fait sans loi, mais avec méthode.

Et pendant que l’exécutif fustige la prétendue trahison d’un secteur vital, ce sont les Tunisiens qui perdent leurs relais, leurs voix, leurs recours. Le régime n’a rien construit, mais il a détruit beaucoup. Il a semé la peur, asséché les financements, coupé les canaux de coopération et paralysé des milliers de structures. Résultat : un vide social, dans lequel ni l’État ni ses alliés idéologiques ne peuvent s’engouffrer, faute de moyens, de compétence ou de volonté.

 

Une erreur stratégique suivie d’un silence révélateur

Pire encore, l’attaque contre les associations n’a été suivie d’aucune action législative concrète. Depuis la diatribe de mai 2024, Kaïs Saïed a cessé d’en parler, comme si ce sujet, pourtant présenté comme une menace existentielle pour la souveraineté nationale, avait soudain perdu toute importance. Pas de texte, pas de réforme, pas d’explication. Juste une diversion vers d’autres croisades. Pendant ce temps, les associations, elles, continuent à subir les conséquences d’un procès en sorcellerie dont le juge a quitté la salle avant le verdict.

L’aveuglement politique du régime est d’autant plus flagrant qu’il va à rebours des modèles les plus simples à observer. En France, il existe plus d’une association pour 65 habitants, et ce maillage dense est considéré comme un pilier essentiel du lien social et du bon fonctionnement de la démocratie. Au Maroc, pays souvent cité par la présidence comme modèle régional, on compte une association pour 290 habitants. En Tunisie, on est à peine à une pour 472. Et pourtant, c’est dans ce pays-là que l’on a trouvé utile de casser ce qui fonctionnait le mieux depuis 2011 : une société civile autonome, créative, engagée, et souvent plus efficace que l’État lui-même.

En réalité, le régime a scié une branche qu’il ne savait même pas exploiter. En voulant éradiquer ce qu’il percevait comme une menace, Kaïs Saïed a affaibli un secteur qui compensait ses propres défaillances. Il a tenté de dompter une réalité qu’il ne comprenait pas. Et lorsque les faits ont montré que cette réalité n’était ni subversive ni étrangère, il a simplement changé de sujet, sans un mot, sans excuse, sans retour en arrière. L’erreur n’est pas seulement dans l’acharnement. Elle est aussi dans l’abandon.

 

Maya Bouallégui

17/06/2025 | 10:07
5 min
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Commentaires
Dr. Jamel Tazarki
Demander justice, c'est formuler l'exigence d'une Tunisie nouvelle, ou chacun serait entendu dans un Etat de droit, et serait considéré dans sa dignité humaine!
a posté le 17-06-2025 à 21:23
Il n'y a pas de notion si prestigieuse que la Justice. Il n'y a pas de revendication aussi impérieuse et aussi urgente que la Justice. Et quand un peuple se dresse tout entier en son nom pour la réclamer, afin d'exiger un dû que l'on lui refuse, alors un souffle puissant traverse les âmes, emporte les rues des capitales et embrase une nation.

Demander justice, c'est formuler l'exigence d'une Tunisie nouvelle, ou chacun serait entendu dans un Etat de droit, et serait considéré dans sa dignité humaine...

Et comme cette exigence ne peut se formuler qu'avec enphase, c.à.d. sur un ton déclamatoire, il évident que les intellectuels s'engagent à la défendre / soutenir, c'est la figure de l'intellectuel du temps de la pensée des lumières qui n'est pas encore arrivée en Tunisie, mais elle est sur son chemin afin d'y arriver. L'intellectuel, c'est l'écrivain, le scientifique, le professeur, l'homme du savoir qui intervient dans le débat public afin de porter la voix de ceux qui ne peuvent / savent pas parler et qui ne font que souffrir. Il est porteur d'une grande idée et de principes qu'il cherche à défendre dans une Tunisie où ils n'ont pas encore leur place. Il est temps de dénoncer les injustices d'avant et d'après le putsch pour un Etat de droit en Tunisie!

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger

C'est dans l'intensité, la régularité et le renouvellement du débat socio-politique / -économique que se forge le gouvernement du peuple. La bonne santé de notre jeune démocratie tunisienne se mesure à ses contre-pouvoirs. Voilà pourquoi l'indépendance des médias, de la justice, l'activité syndicale et la qualité du débat parlementaire concernent tous les Tunisiens.
Dr. Jamel Tazarki
La Tunisie mérite enfin un Etat de droit!
a posté le 17-06-2025 à 21:19
Introduction:
- Ce ne sont pas seulement les dominants qui cherchent à dominer, mais aussi beaucoup de dominés cherchent un dominant.
- Les dominés sont eux-mêmes responsables de la domination qu'ils subissent,
- Un rapport de domination ne se construit pas tout seul. il faut être deux pour qu'il puisse y avoir un rapport de domination (le dominant et les dominés). Aucun dictateur n'est le seul responsable de son pouvoir.


Je cite Etienne de La Boétie: " ['?'] Quel malheur est celui-là? Quel vice, ou plutôt quel malheureux vice? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir; non pas être gouvernés, mais tyrannisés; n'ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d'un seul; non pas d'un Hercule ni d'un Samson, mais d'un seul ['?'], et le plus souvent le plus ['?'] de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand-peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette ! Appellerons-nous cela lâcheté? dirons-nous que ceux qui servent soient couards et recrus? Si deux, si trois, si quatre ne se défendent d'un, cela est étrange, mais toutefois possible; bien pourra-l'on dire, à bon droit, que c'est faute de coeur. Mais si cent, si mille endurent d'un seul, ne dira-l'on pas qu'ils ne veulent point, non qu'ils n'osent pas se prendre à lui, et que c'est non couardise, mais plutôt mépris ou dédain? Si l'on voit, non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, [des] millions d'hommes, n'assaillir pas un seul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d'être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela" Fin de la citation

-->
Ce vice qui n'avait pas de nom, Etienne de La Boétie l'a appelé "la servitude volontaire"

Au juste, Etienne de La Boétie ne fait que nous rendre notre rôle d'acteurs dans l'histoire. --> c'est le peuple qui a fait le tyran, le peuple qui est l'acteur dans cette relation de dominant et de dominés. --> et ainsi ce que le peuple a construit par lui-même, pourrait aussi le déconstruire et le défaire. --> le peuple devrait arrêter d'agir contre lui-même.

-->
Etienne de La Boétie se demande ainsi, pourquoi nous donnons au dictateur la participation qu'il exige de nous (du peuple)? Nous sommes (le peuple) des victimes actives au profit du dictateur.

Je cite : " Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte? ['?'] A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes? "

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger

C'est dans l'intensité, la régularité et le renouvellement du débat socio-politique / -économique que se forge le gouvernement du peuple. La bonne santé de notre jeune démocratie tunisienne se mesure à ses contre-pouvoirs. Voilà pourquoi l'indépendance des médias, de la justice, l'activité syndicale et la qualité du débat parlementaire concernent tous les Tunisiens.

Dr. Jamel Tazarki
La Tunisie mérite enfin un Etat de droit!
a posté le 17-06-2025 à 21:17
la suite du commentaire ci-dessus

Je reviens au cas de la Tunisie:
- La solution n'est pas de se libérer d'une dictature et de passer à une autre, mais d'instaurer plutôt un Etat de droit afin de limiter l'abus de pouvoir de celui qui voudrait conquérir Carthage d'une façon ou d'une autre. --> c'est par l'absence d'un Etat de droit que la révolution des Jasmins à très mal tournée, elle sent plutôt la misère que le Jasmin'?'
-->
Il est temps de combattre en nous le tyran intérieur, c'est-à-dire comprendre comment nous avons intériorisé la Tyrannie et de la servir volontairement. --> C'est seulement ainsi que l'on pourrait mettre fin à la servitude volontaire d'une dictature abusive afin de passer à une obéissance volontaire au sein d'un Etat de droit.
-->
Vous voyez la différence entre " servitude volontaire d'une dictature" et "obéissance volontaire à un Etat de droit" où notre bonne conscience nous incite à obéir pour le bien commun. (en ce point je diverge de la définition "d'obéissance volontaire" d'Etienne de La Boétie).

-->
à partir du moment que chacun de nous n'obéit qu'à sa conscience pour un Etat de droit, le dictateur serait totalement désemparé / désorienté car il finit par se rendre compte que le peuple l'ignore et se dépasse de lui par son abstinence entre autres aux élections et par le fait qu'il ne consente plus à sa servitude volontaire. Il ne faudrait rien ôter au dictateur mais de ne lui rien donner.
-->
Je cite: "la liberté ne découle pas de la révolte active, mais plutôt de la cessation de la soumission volontaire."
-->
Ce qui signifie que le chemin vers un Etat de droit nécessite une indifférence / abstention face à la dictature.
-->
L'abstention est la non complicité à la servitude que la dictature exige de nous (du peuple). L'abstention est l'action la plus radicale afin de ne pas se rendre complice de la dictature et en particulier afin de ne pas la légitimer.

Pour La Boétie la servitude volontaire des tyrans est une dénaturation de l'homme, car les êtres humains ne se laissent asservir que parce qu'ils oublient, à force de soumission, qu'ils sont avant tout des êtres libres --> oui, c'est le mal de 99% des Tunisiens.

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger
Justice Justice
Zéro
a posté le 17-06-2025 à 14:54
Encore une preuve de la nullité extrême. C'est un moi vide ou rien
SALIM
DE QUELLES ASSOCIATIONS VOUS PARLEZ!!!!.
a posté le 17-06-2025 à 14:52
Il n'y a plus d'associations en TUNISIE à l'exception des associations des eaux (AL JAMYIET AL MAYIA)!!!!!.Et KAIS SAIED n' a pas 'quitté le champ de bataille', mais plutot IL A ACHEVE SA GUERRE CONTRE LES ASSOCIATIONS SUSPECTES.

Prenons le cas de I WATCH. J'étais le premier à tirer la sonnette d'alarme dans mes commentaires, avant KAIS SAIED, sur le montant colossal des dons etrangers. En 2023 I WATCH a reçu 9 MILLIARDS 500 MILLIONS .Regardons maintenant le montant des dons etrangers recus par I WATCH après le discours du Président en Decembre 2023. En visitant le site de
I WATCH , rubrique DONS ETRANGERS , on trouve que I WATCH n' a recu que ......39905DT ,300
en 2025!!!! (YA NAIIB et YA KARIM MTAA ALLAH), le 06/01/2025. En 2024 I WATCH n'a reçu que 560216 DT,736 ,soit 5.89 % du montant des dons etrangers reçus en 2023!!!!

POUR LES AUTRES ASSOCIATIONS C'EST LA JUSTICE ,LA CTAF ET L'ISIE QUI S'EN OCCUPENT.