Le décès des deux collégiennes, Rahma Saïdi et Sourour Hichri - paix à leurs âmes – dans un internat à Kasserine la semaine dernière, soulève bien des questions sur le respect des normes de sécurité dans des établissements qui logent des enfants. Si la thèse du court-circuit a été écartée par le ministère et que ce dernier « se défend de toute négligence », il y a bien une faute quelque part. La piste criminelle n’est, d’ailleurs, pas à écarter, surtout si l’on sait qu’un autre incendie, dans des conditions presque similaires, s’est déclenché ce matin dans un pensionnat à Kesra (Siliana). Cette fois-ci, heureusement, aucune victime humaine n’est à déplorer.
Si Sourour et Rahma ont tragiquement péri dans cet accident, une de leurs camarades de chambre a été miraculeusement sauvée car elle ne dormait que d’un œil et a pu être évacuée à temps. « J’avais trop froid et trop faim pour dormir », a-t-elle dit. Cette triste phrase sera désormais culte et marquera par sa puissance la situation de centaines de jeunes scolarisés. Les régions intérieures sont toujours, tristement plus impactées que les autres.
Dans les foyers et internats scolaires, les normes de sécurité sont une chose rare dont on ne prête attention, en général, qu’après qu’un drame se produise. Extincteurs installés bien en évidence, grilles d’aération, sorties de secours et exercices d’évacuation en cas d’incendie, tout cela semble anecdotique et peu, ou presque jamais, respecté dans la majorité des établissements abritant pourtant des centaines d’enfants.
Le syndicat, qui prend en charge les travaux de rénovation et d’aménagement du foyer incendié, a pourtant alerté le ministère contre la non-adaptation des établissements scolaires depuis un moment. Rien n’a été fait et les choses ont été reléguées aux oubliettes. Sans doute le ministère n’avait pas évalué les travaux à entreprendre d’une urgence vitale, ou alors estimait que les fonds nécessaires seraient plus utiles ailleurs. Mauvais calcul.
Cette nonchalance et cet irrespect des normes de sécurité ne sont pas uniquement observés dans les établissements scolaires. Si le danger est plus terrifiant quand il vise la vie d’enfants, vivant de surcroit loin de leurs parents, il est tout aussi sérieux lorsque des établissements à forte fréquentation sont concernés.
Depuis 2011, les mesures anti-attentats dans les grandes surfaces, les hôtels, les magasins et tous les lieux très fréquentés, ont été revues et améliorées de manière importante. En revanche, les normes de sécurité, elles, n’ont pas bougé d’un pouce. Pire encore, elles sont toujours aussi superbement ignorées.
Dans la loi tunisienne, le code de la sécurité et de prévention des risques d’incendie, d’explosion et de panique dans les bâtiments réglemente les mesures à prendre afin de prévenir, notamment, les risques d’incendie. Parmi les dispositions prévues, un « dossier de sécurité », pour les bâtiments concernés, doit être déposé aux services de la Protection civile pour « s’assurer que les conditions de sécurité et de prévention des risques d’incendie » sont respectées. Au niveau législatif, les choses sont claires, c’est dans les faits que ça se corse. Le nombre de constructions à usage d’habitation ou destinées au public qui ne sont pas équipées du minimum des normes de sécurité est incalculable. Ne parlons pas des foyers et internats dans lesquels on ne trouve pas l’ombre d’un extincteur ou d’une issue de secours, que ces établissements en question soient construits dans de grandes villes ou dans de petites bourgades des régions intérieures.
Au-delà d’un cadre législatif qui a tout prévu et d’un ministère de l’Education qui entame une procédure judiciaire dans l’affaire de l’incendie de Thala, un constat doit être fait. Il serait criminel d’attendre le prochain incendie pour que les choses bougent enfin, pour que les normes de sécurité ne soient pas uniquement de l’encre sur du papier et de simples dispositions encombrantes dont on se débarrasse moyennant pot-de-vin.
Le drame vécu la semaine dernière par les deux familles Hichri et Saïdi devra au moins avoir le mérite de servir de déclencheur pour une prise de conscience générale. Afin que ce soit le dernier, avant qu’il ne soit trop tard…