Depuis le 16 octobre 2018, les agents de l’INLUCC ont commencé à accepter les déclarations de biens au siège de l’Instance jusqu’à l’achèvement de la préparation d’un portail électronique pour ce faire en ligne. Avec plus de 350 mille personnes concernées, ces déclarations obligatoires appuieront le processus de la lutte contre la corruption, les malversations, l’enrichissement illicite et les autres conflits d’intérêts dans le cadre d’une nouvelle réglementation.
Avec 126 voix pour, 1 abstention et 0 voix contre, le projet de loi sur la déclaration de patrimoine, la lutte contre l’enrichissement illicite et les conflits d’intérêts dans le secteur public a été adopté dans son intégralité, le 17 juillet 2018. Publiée au Jort N°65 du 14 août 2018, cette loi vient appuyer les principes de la transparence et de l’intégrité. Révolution législative selon le chef du gouvernement, Youssef Chahed, elle concrétise les réformes gouvernementales fondamentales et représente un outil important dans la lutte contre la corruption.
Le projet de loi N°89/2017 portant déclaration des biens et des intérêts, de la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêt a été déposé le 25 octobre 2017 au Parlement. En commission du 31 octobre 2017 au 30 mai 2018, le projet de loi contenant 51 articles a été débattu en plénière du 19 juin 2018 au 17 juillet 2018, jour de son approbation.
Sont, notamment, concernés par la déclaration des biens, les agents de la fonction publique et toute personne dont l’activité est en rapport avec l’Etat. Les 3 pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire sont, en effet, les premières cibles de cette loi. Le président de la République, son directeur de cabinet et ses conseillers, le chef du gouvernement, les membres du gouvernement ainsi que leurs chefs de cabinet et conseillers font tous partie des personnes concernées par la déclaration des biens.
S’ajoutent à cela, le président du Parlement, son chef du cabinet et ses conseillers mais aussi les députés, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les juges et les greffiers et dépositaires d’une autorité judiciaire. En outre, cette loi implique les structures publiques à savoir les instances constitutionnelles, le président et membres de la Cour constitutionnelle, les établissements publics ou partiellement détenus par l’Etat, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et les membres de son conseil d’administration, les directeurs généraux des banques et des institutions dont le capital est détenu, même en partie, par l’Etat, leurs présidents et les membres de leurs conseils d’administration ainsi que les fonctionnaires publics ayant des postes élevés.
Les présidents et membres des collectivités locales ainsi que les organisations à but non lucratif notamment les partis politiques, les secrétaires généraux des associations, des syndicats et les organisations nationales sont, de surcroît, concernés par cette loi. Les présidents et les enseignants des facultés et des universités, les fonctions en lien avec la gestion de l’argent public, le chargé du contentieux de l’Etat, les délégués et les Omdas, les receveurs des municipalités et les chefs des bureaux de poste aussi.
Les douaniers, les agents assermentés, les entreprises privées sous contrat avec l’Etat, les chefs des institutions médiatiques et tous ceux qui ont un métier inhérent à la presse sont également visés par cette déclaration des biens et des intérêts.
Toutes ces personnes sont, en vertu de cette loi, appelées à déclarer leurs biens en Tunisie et à l’étranger ainsi que ceux de leurs conjoints et enfants mineurs. Elles doivent, de plus, préciser leurs salaires, leurs honoraires, leurs revenus, leurs biens immobiliers, leurs terrains, les revenus de ventes ou de commerce ou de rente ainsi que les cadeaux.
Elles doivent aussi déclarer les biens mobiliers dont la valeur dépasse les 10.000 dinars, les crédits qui dépassent les 30.000 dinars et indiquer leurs activités professionnelles, l’appartenance ou l’affiliation à des structures ou organisations, des conseils d’administration, des associations ou des partis politiques et ce pour les 3 dernières années.
Voitures, bijoux, animaux, participations à une entreprise, actions, obligations, bons de trésor, fonds commercial, les montants en liquide dépassant les 5.000 dinars, les sommes versées dans un compte bancaire, les assurances vie pour la personne en question, leur conjoint et enfants mineurs sont à déclarer également, selon les textes applicatifs.
La première déclaration des biens doit se faire dès la prise de fonction ou de l’entrée en vigueur de la loi et publication des décrets d’application, le délai initial est de 2 mois pour déposer les déclarations avec un délai supplémentaire de 15 jours. Un délai d’un mois, durant lequel des avertissements sans sanctions sont adressées, sera également accordé. La 2ème déclaration se fait tous les 3 ans. Cependant, pour certains mandats (élus au niveau national et local, membres du gouvernement), la première déclaration des biens et des intérêts est une condition préalable à la prise de fonction.
A l’arrêt de toute activité régie par cette loi, les personnes concernées doivent aussi déclarer leurs biens. En cas de changement significatif dans le patrimoine ou les intérêts, le délai est fixé à 30 jours. Tous les 6 mois, l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) publie les listes nominatives des personnes ayant déposé leurs déclarations ainsi que celles qui ne se sont pas conformées à cette mesure.
En effet, les organismes qui ne se soumettent pas aux dispositions de cette loi et refusent de déclarer leurs biens sont sujets à diverses sanctions selon le poste occupé, le dépassement des délais de la déclaration ou la nature de l’infraction. Pour les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire ainsi que les instances constitutionnelles et les collectivités locales en fonction, le retard de la déclaration engendre la déduction de deux tiers des indemnités à chaque mois de retard. Pour les entreprises privées concernées, les associations, les partis politiques, les médias, les syndicats et les organisations nationales également en fonction, la sanction infligée est une amende de 1000 à 10000 dinars. Pour les autres fonctions publiques, chaque mois de retard implique une déduction des deux tiers du salaire.
Cependant, dans les 6 mois suivant l’arrêt des activités concernées, une amende de 300 dinars sera infligée en cas de retard. Après ces 6 mois, les personnes écoperont d’un an de prison et devront payer 20 mille dinars. Une enquête pour soupçons d’enrichissement illicite sera également à cet égard et la personne en question sera privée d’éligibilité à des fonctions publiques pendant 5 ans.
Vu son rôle de de contrôle, d’investigation et de vérification des biens des personnes concernées par cette loi, l’Inlucc se réserve la prérogative de confirmer ou infirmer la véracité des déclarations des responsables politiques, des hauts fonctionnaires ou encore des juges. Si un conflit d’intérêt est prouvé, la personne sera sanctionnée de 2 à 3 ans de prison ainsi que d’une amende de 1000 à 3000 dinars. Pour les cadeaux acceptés, la personne paiera une amende de la valeur du cadeau et ce dernier sera confisqué.
Si des preuves d’enrichissement illicite sont établies, l’Inlucc transmettra les dossiers aux autorités judiciaires. En cas de confirmation de ces soupçons, la personne risque d’écoper de 6 ans de prison et de payer une amende égale à la valeur des avoirs qui seront, par la suite, confisqués. La personne condamnée sera interdite d’exercer dans la fonction publique ou se présenter à un mandat électif pendant 10 ans. Cette procédure n’exclut pas les personnes bénéficiant d’une immunité. Dans ce cas, une démarche de sa levée sera entreprise selon la législation en vigueur.
La Tunisie a amélioré son positionnement pour ce qui est de l’indice de perception de la corruption en gagnant 4 places. Elle occupe désormais la 73ème position parmi 200 pays classés, c'est dire que la route est encore longue. C’est dans ce sens que la loi relative à la déclaration des biens est instaurée. Cependant, l’effectivité des textes applicatifs de la loi demeure étroitement liée aux moyens consacrés à l’Inlucc ainsi qu’à la collaboration des structures impliquées. La loi contient également certaines lacunes qui doivent être révisées afin que la lutte contre la corruption soit plus efficace.
Boutheïna Laâtar