alexametrics
lundi 30 juin 2025
Heure de Tunis : 21:12
A la Une
BNA Assurances : une armée mexicaine entre en Bourse
30/06/2025 | 10:08
5 min
BNA Assurances : une armée mexicaine entre en Bourse
Service IA, Business News

 

Attendue bientôt sur le marché principal de la bourse de Tunis, BNA Assurances affiche en 2024 des résultats solides et une rentabilité en forte hausse. Mais plusieurs zones d’ombre subsistent derrière cette façade prospère, notamment autour de sa gouvernance interne, de ses redressements fiscaux et sociaux non détaillés, et de l’opacité entourant son introduction en Bourse.

 

Alors que la plupart des sociétés annoncent fièrement leur introduction en Bourse, communiquent, se mettent en scène, BNA Assurances a choisi l’option inverse. Pas un mot, pas une note d’information, pas une conférence de presse. Et pourtant, elle s'apprête à rejoindre le marché principal (sous réserve de l’accord du CMF, gendarme de la bourse). Ce changement de statut stratégique s’accompagne par un silence intriguant, dans un contexte d’appel public à l’épargne. Il interpelle d’autant plus que l’entreprise affiche des résultats solides, une rentabilité en hausse et un portefeuille d’actifs conséquent. 

 

Une société solide, ancrée et bien capitalisée

Issue de la transformation d’AMI Assurances en société anonyme, puis rebaptisée BNA Assurances en décembre 2024, la compagnie a vu son capital passer en deux décennies de 13 à 87,39 millions de dinars, via plusieurs augmentations successives. Aujourd’hui, elle compte 132 agences, 41 courtiers et 2 succursales, ce qui en fait un acteur bien implanté sur le territoire tunisien.

Ses capitaux propres s’élèvent à 100,9 millions de dinars, et ses réserves techniques dépassent 488 millions de dinars. Elle affiche une très forte présence immobilière, avec près de 70 millions de dinars investis dans des terrains et immeubles, tant à usage d’exploitation que d’investissement. Sa stratégie repose donc sur des bases patrimoniales solides, renforcées par des placements financiers diversifiés.

 

Des résultats en nette amélioration

En 2024, la société a généré un chiffre d’affaires de 174,1 millions de dinars, contre 167,7 millions en 2023, soit une progression de +3,85 %. Si la branche automobile reste de loin la plus importante (75,8 % des primes), l’assurance Vie connaît une poussée remarquable : 27,5 millions de dinars, contre 21,8 millions un an plus tôt (+26 %). Les branches Groupe, Incendie, Transport et Risques divers restent modestes mais stables.

Plus spectaculaire encore, le résultat net est passé de 8,6 millions de dinars en 2023 à 16,3 millions en 2024. Il a littéralement doublé en un an. On ne sait cependant pas vraiment à quoi est dû ce bond spectaculaire, annoncé quelques jours seulement avant le passage au marché principal de la Bourse.

Le rendement des placements suit la même courbe, atteignant 28,6 millions de revenus (contre 25,9 l’année précédente), sur un portefeuille de 497 millions, principalement composé d’obligations et de comptes à terme.

Les sinistres décaissés sont restés stables : 102,5 millions de dinars, très proches de ceux de 2023. En dépit d’une baisse dans la branche automobile, l’assurance Vie a connu une hausse de ses prestations, expliquant l’équilibre global. Les provisions techniques ont été portées à 488,8 millions de dinars, réparties entre primes non acquises, sinistres à payer et provisions mathématiques. Cette politique de provisionnement prudente permet à la société d’afficher un taux de couverture de 105 % de ses engagements réglementés.

 

Une structure RH étonnamment déséquilibrée et un DG grassement payé

Mais ce qui surprend, c’est l’organigramme. Sur 276 employés, 151 sont des cadres de direction. La société a, en outre, 74 cadres supérieurs et 21 personnel d’encadrement. Quant aux agents d’exécution, ils sont juste au nombre de 21.

Plus d’un employé sur deux appartient à la direction et près de 90% sont des cadres supérieurs et d’encadrement. Ce ratio pour le moins inhabituel dans le monde de l’assurance fait penser à une armée mexicaine où il y a plus d’officiers que de soldats. Si cela ne remet pas en cause la qualité du travail fourni, cela soulève néanmoins des interrogations sur l’efficience interne et la masse salariale. Comment cet organigramme a été conçu et quand ? On ne le sait pas.

Peut-on raisonnablement diriger une entreprise d’assurance avec plus de dirigeants que d’exécutants ? L’image renvoyée est celle d’une bureaucratie alourdie, dont les coûts de structure pourraient peser sur la rentabilité à moyen terme.

Par ailleurs, la rémunération nette annuelle du DG est de 288.000 dinars (soit 24.000 dinars nets par mois) sans compter une prime variable fixée par le conseil d’administration (de 48.000 dinars en 2023). À cela s’ajoutent des avantages en nature : véhicule de fonction, carburant (400 litres équivalent à plus de mille dinars), couverture santé et téléphone. Il n’y a rien d’illégal, mais un devoir d’explication s’impose, notamment à la veille d’une cotation élargie. On signale au passage que la rémunération du DG est plus du double de celle du DGA (moins de 11.000 dinars) et qu’elle est de 48 fois le Smig. Est-ce raisonnable pour une entreprise à capitaux publics ? 

 

Deux redressements en coulisses, mais sans détails

L’entreprise a fait l’objet en 2023 d’un contrôle fiscal sur les années 2019 et 2020. Un arrangement partiel a été trouvé, avec paiement échelonné sur trois ans, et une provision inscrite. En parallèle, un contrôle CNSS couvrant les années 2022–2023 est en cours de finalisation. Là encore, une provision a été passée. Mais dans les deux cas, les montants précis ne figurent pas dans les annexes, et le rapport des commissaires aux comptes ne les mentionne pas non plus. Ce silence n’est pas anodin. Il va à l’encontre des standards de transparence que le marché principal exige, surtout à la veille d’une éventuelle levée de fonds.

 

Une introduction en Bourse sans voix ni vision

Là où le bât blesse, c’est sur la communication. Aucune annonce officielle n’a été faite. Aucun communiqué, aucune note d’intention, aucun discours du management. La société est pourtant à la veille d’un tournant important : son passage du marché alternatif au marché principal de la bourse de Tunis. Ce changement devrait s’accompagner d’un effort de pédagogie, de visibilité, de stratégie. Or rien n’est dit, ni sur la gouvernance, ni sur les objectifs, ni sur la future politique de dividendes.

BNA Assurances coche de nombreuses cases : croissance maîtrisée, placements solides, résultat net doublé, couverture des engagements assurée. L’État est en arrière-plan, les fondamentaux sont sains. Mais en matière de culture d’entreprise, de gouvernance, et surtout de communication financière, la marge de progression reste considérable.

Ce passage sur le marché principal n’est pas une simple formalité comptable. Il engage la société à une autre forme de relation avec le public. BNA Assurances a les moyens de devenir un acteur de référence. Encore faut-il qu’elle accepte d’ouvrir les rideaux.

 

Maya Bouallégui

30/06/2025 | 10:08
5 min
Suivez-nous
Commentaires
Agatacriztiz
On a encore ce schema de direction d'entreprise ?
a posté le 30-06-2025 à 10:48
Tous les symptômes d'une "bulle" immobilière qui va bientôt faire "pschiiitt" ou carrément "boum"...
Parce que des membres de la direction qui ont des salaires de multinationales, ça fait des employés qui râlent, qui sont mécontents et qui ne foutent rien... Et qui sont tentés de saper les chiffres...
lotfi
Erreur de français
a posté le 30-06-2025 à 10:27
@Maya, si vous choisissez d'écrire en français, merci de le faire correctement. L'expression « un DG chichement payé » signifie que son salaire est peu élevé.
Hamadi
Langue française
a posté le à 12:33
Il ne faut jamais oublier que le français (écrit + parle)n est pas notre langue maternelle. .bravo MAYA,pour cet exellent article.