
Par Ramla Dahmani Accent*
Cette semaine, je ne vais pas vous raconter l’infernal.
Je ne vais pas vous décrire le froid glacial qui s’insinue dans le corps de Sonia et dans ses os.
Je ne vais pas vous raconter les nuits d’insomnie qu’elle passe à grelotter sous une couverture insuffisante. Je ne vais pas vous parler des douches brûlantes ou glacées, ni de ses mains engourdies qui ne ressentent plus rien à force de plonger dans l’eau glacée. Je ne vais pas évoquer l’humidité qui s’infiltre par le plafond chaque fois qu’il pleut, transformant sa cellule en tombeau humide. Je ne vais pas non plus parler des lettres qui n’arrivent toujours pas, de la radio silencieuse, de la télé coupée, ou de la faim et de l’isolement qui la rongent jour après jour. Tout ça, vous le savez déjà. Depuis des mois, je vous le dis, je vous le hurle. Alors, cette semaine, je vais vous parler d’autre chose.
L’amour et la famille, des liens indestructibles
Cette semaine, je vais vous parler d’amour. De famille. De liens indestructibles.
Je vais vous parler de ma mère qui, à chaque instant, répète inlassablement cette question qui nous brûle tous : « Mais enfin, qu’a-t-elle fait pour mériter cela ? » Une question simple. Une question qui hurle l’injustice, criée avec toute la douleur d’une mère qui ne trouve aucune réponse. Neuf mois. Neuf mois, c’est le temps qu’il faut pour donner la vie, mais ma mère, en neuf mois, n’a accouché que de larmes, de chagrin et de nuits blanches. Elle ne mange plus, elle ne sort plus, elle ne vit plus. Elle est enfermée elle aussi, prisonnière d’un chagrin insoutenable, prisonnière de Mr le procureur de la république qui, malgré le dossier de handicap posé sur son bureau, lui refuse encore et toujours ce droit simple, humain, ce droit si basique : voir sa fille.
Mon père, le pilier infaillible
Je vais vous parler de mon père. Cet homme de 82 ans, opéré à cœur ouvert, diabétique, et qui porte, avec un courage infini, le poids de ce drame. Il continue à soutenir ma mère, va voir Sonia, travaille chaque matin, sans jamais fléchir, parce qu’il sait qu’il est notre pilier, notre dernier refuge. Nous sommes tous accrochés à lui : malgré nos vies, nos familles, la mer qui nous sépare pour certains, nous avons tous grandi en nous appuyant sur lui, en croyant qu’il ne tomberait jamais. Alors, il reste debout. Pour nous, pour Sonia, parce qu’il sait que si lui vacille, nous nous effondrons tous. Cet homme d’une dignité qui force le respect porte sur ses épaules le poids de cette tragédie. Mais ceux qui regardent au-delà de cette façade, ceux qui voient dans ses yeux et observent ses épaules fatiguées, sentent tout ce qu’il cache derrière ses silences : l’injustice qui l’étouffe, la douleur qui le ronge, ce poids monstrueux qu’il porte sans se plaindre. Il le porte pour nous. Pour qu’on puisse tenir, nous aussi.
Mehdi, mon petit frère, mon pilier
Je vais vous parler de Mehdi, mon petit frère, mon pilier. Mehdouche que j’appelle certaines nuits, quand l’angoisse m’étouffe, et qui trouve toujours le mot, la blague pour me raccrocher à quelque chose. Celui qui répond toujours présent, qui a réorganisé sa vie, adapté son quotidien pour les visites, pour les procès, pour tout ce que cette machine absurde exige.
Belhassen, le petit dernier, toujours présent
Je vais vous parler de Belhassen, le petit dernier, celui qu’on taquine toujours, qu’on chambre, qu’on fait tourner en bourrique parce qu’après tout, c’est « le petit ». Mais qui est toujours là. Il n’y a rien qu’on lui demande et auquel il ne réponde pas présent. Il est là pour les visites, il aide à gérer la logistique, il a toujours le mot juste, la parole qui apaise, et cette présence qui nous rappelle que la famille, c’est une seule et même main, que nous sommes unis dans ce combat.
Linda, ma belle-sœur, notre soutien inconditionnel
Je vais vous parler de Linda, ma belle-sœur, qui est bien plus qu’une sœur. Linda, qui nous tient quand nous vacillons, elle absorbe nos moments de faiblesse pour nous laisser de la place pour continuer, elle gère l’intendance, elle nous relève, chaque fois que l’épuisement menace de nous submerger.
Mon mari et mes enfants, mes piliers invisibles
Je vais vous parler de mon mari et de mes enfants, ces piliers invisibles qui supportent mes absences sans une plainte, sans un reproche, qui encaissent mes nerfs sans jamais flancher, qui supportent les heures que je passe au téléphone absente malgré ma présence parmi eux. Ils me donnent la force de continuer, malgré tout, et me laissent me battre pour Sonia, parce qu’ils savent que je n’ai pas d’autre choix.
Les amis, ces épaules solides
Je vais vous parler de Soumaya, l’amie, la sœur jamais bien loin, de Samia, le roc sans laquelle on serait complètement perdus, et de ces amis qui ne nous ont jamais abandonnés. Neuf mois qu’ils sont là, à préparer des repas, à tenir bon pendant les procès, à nous rappeler par un appel ou un message qu’il reste des cœurs fidèles, des épaules solides et que nous ne sommes pas seuls.
Les avocats, des combattants infatigables
Je vais vous parler des avocats, tunisiens et français, qui se battent pour Sonia sans compter, qui sont là, chaque jour, sans condition. Leur solidarité, leur courage face aux intimidations, leur foi m’aident à ne pas perdre espoir.
Je vais vous parler de ces centaines d’inconnus, ces visages anonymes qui nous soutiennent par une prière, un sourire, un mot. Ces gens qui me rappellent, contre toute attente, que l’humanité n’est pas perdue.
L’espoir, notre dernière lumière
Mais surtout, je vais vous parler d’espoir.
L’espoir de Sonia, qui malgré l’injustice refuse de céder à la haine ou au désespoir. L’espoir de ma mère, de mon père, de mes frères et de moi-même. L’espoir qu’une justice existe encore quelque part, qu’elle se réveillera enfin. L’espoir d’une justice qui, enfin, fera ce pour quoi elle existe. L’espoir qu’à la fin de ce calvaire, Sonia pourra retrouver sa liberté, reprendre son souffle, et que nous pourrons, enfin, reprendre le fil de nos vies. L’espoir d’une justice qui rendra à Sonia sa liberté.
Le 24 janvier, une date symbolique
Le 24 janvier. Cette date n’est pas une simple échéance. Cette date, nous la portons comme un dernier cri, une dernière prière, une promesse de lumière. C’est l’espoir fragile d’une vie qui peut enfin reprendre, d’une famille qui peut enfin se reconstruire. Parce qu’au bout de tout cela, il ne peut y avoir qu’une seule issue : la justice. La vraie.
Et si cet espoir est tout ce qu’il nous reste, alors nous le porterons ensemble. Jusqu’au bout.
*Ramla Dahmani Accent est la sœur de l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani détenue pour ses opinions dans les prisons du régime de Kaïs Saïed

