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Les enfants et les femmes victimes de violence : une double précarité à surmonter
09/12/2024 | 15:20
12 min
Les enfants et les femmes victimes de violence : une double précarité à surmonter

 

 Par Zahra Ben Nasr *

 

Agir pour rompre le cycle de la violence

Nous devons à nos enfants - les citoyens les plus vulnérables de toute société - une vie à l'abri de la violence et de la peur.

Nelson Mandela

 

Les enfants qui accompagnent leurs mères victimes de violences domestiques sont souvent doublement victimes. Non seulement ils subissent la violence directe, mais ils vivent aussi avec les séquelles psychologiques, émotionnelles et sociales des traumatismes infligés à leur mère. En Tunisie et dans le monde, ces enfants sont dans une situation de grande vulnérabilité, et cela nécessite une attention particulière de la part des autorités, des associations et de la société civile.

 

La violence conjugale : un phénomène aux conséquences dévastatrices

En tant que présidente d'une fondation engagée contre les violences faites aux femmes, et ayant la responsabilité de gérer deux centres d’hébergement pour femmes victimes de violence, je suis témoin quotidiennement des ravages que peut causer la violence conjugale et du phénomène tragique du féminicide en Tunisie. La violence domestique, qu’elle soit physique, psychologique, économique ou sexuelle, touche une proportion alarmante de femmes, environ 50% selon les dernières données de l'Observatoire National de la Femme et de l'Institut National de la Statistique (INS). Ce fléau a des conséquences dramatiques sur la vie de ces femmes, mais aussi sur celle de leurs enfants, qui sont souvent les témoins et parfois même les victimes directes de ces violences.

Les récents cas de féminicides en Tunisie qui ont frappé l'opinion publique, témoignent de l'urgence de mettre en place des solutions de protection adaptées, notamment des centres d’hébergement qui accueillent et soutiennent non seulement les femmes, mais aussi les enfants qui les accompagnent. En tant que responsable de ces centres, j’ai pu constater à quel point il est crucial d’offrir aux femmes et à leurs enfants un espace sûr et sécurisé où ils peuvent fuir la violence et entamer un processus de guérison.

Les centres d'hébergement que nous gérons, en partenariat avec le ministère de la Famille, de la Femme, de l’Enfance et des Seniors sont conçus pour répondre aux besoins urgents et spécifiques des femmes victimes de violences. Dès leur arrivée, nous leur offrons un refuge immédiat, loin de leurs agresseurs, ainsi qu'un accès à des soins médicaux et à un accompagnement juridique pour entamer des démarches légales contre les auteurs de violence. Mais, en tant que fondation, nous savons que l'hébergement seul ne suffit pas. En effet, les enfants qui accompagnent ces femmes, souvent exposés à des scènes de violence, sont également profondément affectés et nécessitent une attention particulière. C’est pourquoi nos centres offrent également un soutien psychologique ciblé pour les enfants. Chaque enfant est suivi par un psychologue spécialisé, afin de traiter les traumatismes émotionnels liés à leur exposition à la violence domestique. Ces enfants, qui peuvent souffrir d'anxiété, de troubles du sommeil, de comportements agités ou de dépression, bénéficient de thérapies adaptées pour les aider à surmonter ces épreuves et à retrouver un semblant de normalité.

L’un des défis majeurs que nous rencontrons dans ces centres est la réinsertion sociale et professionnelle des femmes, ainsi que la nécessité de leur offrir un accompagnement pour reconstruire leur estime de soi et leur autonomie. Cependant, ce processus de reconstruction est incomplet sans prendre en compte les besoins des enfants. Nous avons vu de nombreuses fois que des enfants qui ont été exposés à la violence domestique et qui ont pu bénéficier d’un suivi psychologique adapté sont beaucoup plus enclins à se réinsérer sereinement dans le milieu scolaire et social. Ils montrent une amélioration notable de leur bien-être émotionnel et de leur comportement, ce qui permet à ces familles de se reconstruire et de briser le cycle intergénérationnel de la violence.

Le rôle de nos centres d’hébergement est donc essentiel, non seulement pour offrir un refuge, mais aussi pour offrir un accompagnement global qui prend en compte la complexité de la situation des femmes et des enfants. La violence domestique n’est pas un problème isolé, mais un fléau systémique qui touche l’ensemble de la société. Si nous voulons véritablement protéger les victimes et leur permettre de reconstruire leur vie, il est indispensable que les centres d’hébergement puissent offrir des services complets, allant du soutien psychologique à l’accès à la justice, en passant par des actions de prévention et de réinsertion.

 

Les enfants : victimes invisibles

Les enfants qui accompagnent leurs mères victimes de violences domestiques sont des témoins silencieux des abus, et ces expériences les affectent de manière profonde et durable. Selon un rapport de l’UNICEF publié en 2022, environ 275 millions d’enfants dans le monde vivent dans des foyers où la violence conjugale est présente. Ces enfants sont exposés à des risques accrus de maltraitance, de négligence, de troubles émotionnels et comportementaux, et ils ont souvent de la difficulté à se remettre des effets du traumatisme. Les études montrent que ces enfants développent fréquemment des symptômes de stress post-traumatique (SPT), d'anxiété et de dépression. Ils ont aussi plus de risques de subir des problèmes de comportement à l'école et dans leurs relations sociales, ce qui complique davantage leur intégration dans la société.

En Tunisie, bien que des efforts soient entrepris pour mieux comprendre et répondre aux besoins de ces enfants, les conséquences de la violence domestique demeurent préoccupantes. En effet, les enfants exposés à des scènes de violence domestique sont beaucoup plus susceptibles de développer des troubles du comportement, tels que des crises de colère, des comportements agressifs, mais aussi de la dépression et de l’anxiété. Des études menées à l'échelle mondiale et en Tunisie montrent que ces enfants sont également plus enclins à adopter, à leur tour, des comportements violents lorsqu’ils atteignent l’adolescence et l’âge adulte. En effet, les recherches indiquent que près de 60% des garçons qui grandissent dans des foyers violents sont plus susceptibles de devenir eux-mêmes des auteurs de violence dans leurs relations futures, et les filles, en particulier, risquent de devenir victimes de violences dans leur vie adulte. Ce phénomène est souvent décrit comme le cycle intergénérationnel de la violence, où les victimes d’aujourd’hui deviennent les auteurs ou de nouvelles victimes de violence dans le futur.

De plus, les enfants exposés à la violence domestique sont plus vulnérables à des problèmes scolaires. Leurs difficultés à se concentrer, leur stress constant, et leurs troubles émotionnels nuisent gravement à leur performance scolaire. Ils souffrent également de problèmes d'estime de soi, ce qui peut mener à des comportements d’isolement ou, au contraire, à des attitudes de défi envers l’autorité et les règles sociales. À long terme, ces enfants ont un risque plus élevé de délinquance juvénile, de comportements criminels ou d'addiction. Des études montrent que les enfants victimes ou témoins de violences domestiques sont quatre fois plus susceptibles de devenir des délinquants ou d’adopter des comportements antisociaux.

Dans un contexte où la violence conjugale peut également mener à une maltraitance directe des enfants, la vulnérabilité des mères – souvent sous emprise ou en situation de grande précarité – peut les empêcher de protéger leurs enfants. Ce cercle vicieux de maltraitance et de violence crée un environnement propice à la transmission de la violence d’une génération à l’autre. C’est pourquoi il est essentiel que les structures d’hébergement pour femmes victimes de violences, comme celles que nous gérons, intègrent un suivi psychosocial et thérapeutique spécifique pour les enfants. L’accompagnement psychologique permet non seulement de traiter les traumatismes déjà subis, mais aussi de prévenir les comportements déviants à long terme. Nos centres visent ainsi à offrir un refuge sûr, mais également un espace où ces enfants peuvent guérir, grandir dans un environnement stabilisé, et se libérer de l’impact dévastateur des violences qu’ils ont vécues.

L'intervention précoce est essentielle pour interrompre le cycle de la violence et éviter que ces enfants ne reproduisent ces comportements dans leur vie adulte. C'est une étape clé dans la prévention de la violence future, et cela ne peut se faire que si nous mettons à leur disposition des structures capables de répondre à leurs besoins physiques, psychologiques et émotionnels, tout en leur offrant les moyens de se reconstruire.

 

Les cadres juridiques internationaux et nationaux de protection des victimes

La protection des femmes et des enfants victimes de violence est une priorité au niveau international. La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE) imposent aux États de prendre des mesures pour éradiquer la violence fondée sur le genre et de protéger les enfants des abus.

En 2017, la Tunisie a adopté la Loi n° 58, qui vise à éliminer la violence à l’égard des femmes et à renforcer la protection des victimes. Cette loi reconnaît la violence domestique comme un crime et établit des mesures pour prévenir et punir ces actes. Elle prévoit également des mécanismes d’accueil et de prise en charge des femmes victimes de violences, y compris les enfants qui les accompagnent. Les autorités tunisiennes ont mis en place plusieurs centres d’hébergement et d’accompagnement pour les femmes victimes de violences, et des associations telles que la mienne s’engagent chaque jour à offrir des solutions de protection, d’accompagnement psychosocial et de réinsertion.

 

Le cas de la Tunisie : des avancées et des défis

Malgré les avancées législatives et la création de dispositifs de soutien, des défis subsistent dans la mise en œuvre de ces protections. L'un des obstacles majeurs est le manque de ressources et le faible financement des structures d’accueil. Les centres d'hébergement, bien qu’essentiels, ne sont pas toujours suffisants pour répondre à la demande croissante de femmes et d'enfants ayant besoin de protection.

En Tunisie, deux centres gérés par ma fondation accueillent chaque année plusieurs centaines de femmes et d’enfants. Nous offrons non seulement un toit et une assistance matérielle, mais aussi un accompagnement psychologique et un soutien dans la reconstruction des vies des victimes. Toutefois, le besoin reste largement supérieur à l’offre actuelle.

Les violences à l’égard des femmes et des enfants ne connaissent pas de frontières sociales, économiques ou culturelles. La stigmatisation des victimes, le manque de sensibilisation au phénomène et les difficultés d’accès à la justice compliquent encore la situation. Pour cette raison, il est primordial de renforcer la coordination entre les institutions publiques, les ONG et les communautés locales afin de mieux accompagner les femmes et les enfants, tout en travaillant à l’élimination des stéréotypes qui entretiennent la violence.

 

L'importance du psychologue pour les enfants dans les centres d'hébergement

Dans le cadre des centres d’hébergement pour les femmes et les enfants victimes de violences, l’accompagnement psychologique des enfants joue un rôle fondamental dans leur processus de guérison et de reconstruction. En effet, les enfants exposés à la violence domestique sont confrontés à des traumatismes profonds qui affectent leur bien-être émotionnel, leur développement social, scolaire et parfois même leur santé physique. C'est là qu'intervient l’importance cruciale du psychologue, qui devient un acteur clé pour aider ces jeunes victimes à surmonter les effets de la violence à laquelle ils ont été témoins ou victimes directs.

Lorsqu'un enfant vit dans un foyer violent, il est souvent confronté à des situations d'incertitude, de peur, de confusion et de stress intense. L’exposition répétée à la violence, qu’elle soit physique, psychologique ou verbale, entraîne des conséquences graves sur son développement émotionnel et mental. Ces enfants peuvent manifester des symptômes de traumatisme, tels que des cauchemars, des flashbacks, des troubles du comportement, de l’anxiété généralisée, des problèmes de concentration, et parfois des tendances autodestructrices comme l’auto-mutilation ou des tentatives de suicide. Ils peuvent aussi souffrir de troubles de l'attachement, devenant plus vulnérables à des difficultés relationnelles futures, ou développer des troubles de l'humeur, tels que la dépression ou des troubles post-traumatiques.

Le psychologue dans un centre d’hébergement est essentiel pour diagnostiquer et traiter ces traumatismes. Grâce à des thérapies adaptées, qu'elles soient individuelles ou de groupe, le psychologue permet à l'enfant de mettre des mots sur ses émotions et ses souffrances. Les interventions thérapeutiques visent à créer un espace sécurisé où l’enfant peut exprimer librement ce qu’il ressent, sans jugement. Cela aide non seulement à réduire la peur et l’anxiété, mais aussi à restaurer sa confiance en lui-même et en ses capacités à surmonter les défis. Le psychologue intervient également pour aider l’enfant à développer des mécanismes d’adaptation sains face aux situations stressantes, à améliorer sa gestion des émotions et à renforcer sa résilience face aux événements traumatisants.

Au-delà de l’accompagnement direct des enfants, le psychologue joue aussi un rôle crucial auprès des mères, en leur offrant un soutien psychologique pour qu’elles puissent mieux comprendre et gérer l’impact des violences sur leurs enfants. Cela favorise une approche holistique de la prise en charge, car un enfant qui voit sa mère fragile, désemparée ou en détresse peut également éprouver un sentiment de perte de sécurité et de protection. Le soutien psychologique pour la mère et l’enfant va de pair, permettant ainsi de restaurer l’équilibre familial dans un cadre sûr.

Les psychologues dans ces centres sont aussi formés à l’identification précoce des troubles psychologiques et à l’orientation vers des soins spécialisés lorsque cela est nécessaire. Par exemple, un enfant qui présente des signes de troubles du comportement grave ou de désorganisation émotionnelle pourra être orienté vers un suivi plus spécifique, tout en continuant de bénéficier de l’accompagnement dans le cadre du centre.

En somme, la présence d’un psychologue dans les centres d’hébergement est indispensable pour aider les enfants à guérir des traumatismes de la violence domestique et à se reconstruire. Le travail thérapeutique effectué par des professionnels qualifiés permet à ces enfants de retrouver un équilibre émotionnel, de renforcer leur estime de soi, de mieux comprendre leurs émotions et de construire des relations plus saines à l'avenir. C’est à travers ce soutien que ces enfants pourront espérer se réinsérer socialement, sortir du cycle de la violence et se construire un avenir plus serein.

 

Agir pour rompre le cycle de la violence

Pour rompre le cycle de la violence domestique, il est impératif d’adopter une approche holistique qui tienne compte des besoins spécifiques des femmes et des enfants, notamment à travers des politiques publiques ambitieuses et des solutions de protection adaptées. Parmi les mesures essentielles, la prévention joue un rôle clé, en particulier par le biais de programmes d'éducation à la non-violence dès le plus jeune âge. Ces programmes permettent de déconstruire les stéréotypes de genre et d'encourager des relations égalitaires et respectueuses, ce qui est crucial pour éviter la reproduction des comportements violents chez les générations futures. Parallèlement, il est nécessaire de renforcer les structures d’accueil, telles que les centres d’hébergement pour les femmes et les enfants victimes de violences. Ces structures doivent offrir un soutien psychosocial complet, avec des services d’accompagnement pour faciliter la réinsertion sociale et professionnelle des victimes. En outre, garantir l'accès à la justice est primordial pour permettre aux victimes de signaler les abus en toute sécurité, tout en assurant que les auteurs de violences soient poursuivis et sanctionnés conformément à la loi. Cependant, au-delà de la simple prise en charge physique et légale, il est crucial d’accorder une attention particulière au soutien psychologique des enfants témoins ou victimes de violences domestiques. Ces enfants, exposés à des traumatismes graves, nécessitent des interventions psychologiques ciblées pour traiter les effets dévastateurs de cette exposition, notamment l'anxiété, les troubles du comportement et les difficultés d'attachement. Des soutiens psychologiques adaptés, incluant des thérapies de groupe et individuelles, sont indispensables pour les aider à surmonter leurs traumatismes, à rétablir un sentiment de sécurité et à prévenir la transmission intergénérationnelle de la violence. En offrant une prise en charge complète qui inclut l'éducation, l'hébergement, l'accès à la justice et un soutien psychologique pour les enfants, nous pouvons réellement espérer briser le cycle de la violence domestique et permettre aux victimes, jeunes et adultes, de reconstruire leur vie dans un environnement sain et sécurisé.

 

 * Zohra Ben Nasr est présidente de la Fondation Agir contre l'Exclusion (FACE Tunisie)

 

Sources et Références :

  • Organisation mondiale de la Santé (OMS), "Violence against women prevalence estimates, 2018", 2021.
  • UNICEF, "Violence Against Children in the Family and Social Environments", 2022.
  • Institut National de la Statistique (INS) et Observatoire National de la Femme, étude sur la violence faite aux femmes, Tunisie, 2021.
  • Loi n° 58 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Tunisie, 2017.

 


09/12/2024 | 15:20
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Commentaires
Badre
Violence contre les hommes
a posté le 10-12-2024 à 14:08
A quand parler des violences faites aux hommes et passe sous silence au quotidien. A quand parler de toutes ces femmes qui fabriquent leurs cas pour mieux négocier leurs divorces ou, pour les TRE, demander les papiers plus rapidement. ? '? quand finir avec l'hypocrisie que la violence est condamnable qu'elle soit envers les femmes ou envers les hommes '?'c'est l'acte qui doit être réprimés. '? défaut on parle de femmes victimes oubliant les autres victimes de violence domestique : les hommes.