Les élections municipales, foutage de gueule bis
Par Synda Tajine
Foutage de gueule non pas à cause du taux d’abstention aussi triste qu’alarmant, non. Je peux parfaitement comprendre le désintérêt du citoyen lambda pour la chose politique, ayant des préoccupations nettement plus capitales. Survivre, par exemple. Je peux aussi parfaitement comprendre les mouvements de boycott et la grogne populaire contre des politiques corrompus, au sens propre comme figuré du terme, et pas à la hauteur de la tâche pour laquelle ils se sont présentés. Si je suis sortie voter le 6-Mai, sans grande conviction aucune, c’était plus pour le sens du devoir citoyen accompli que pour réellement cocher un nom dans une case. Voter pour qui ? C’est la question à plus de 60 millions de dinars.
Toutes les municipalités n’ont pas la chance d’avoir un Fadhel Moussa à leur tête. Certaines municipalités ont des têtes de listes, inconnues du grand public et aux discours tout aussi éloignés de ce public-là. Mais qu’importent les slogans de campagne et les discours « rassembleurs » et « passionnés », chacun sait qu’il n’en sera rien sur le terrain. C’est d’ailleurs pour cette raison que nombre de Tunisiens ont choisi, cette année, de ne pas prendre part à cette grande mascarade qu’est les élections. Désabusés, déçus, désintéressés et plus que tout dégoûtés, les électeurs ne veulent pas avoir à participer à cette nouvelle opération foutage de gueule et leur boycott a été retentissant. Ni la nouvelle identité d'Ennahdha ni le soutien assumé de Youssef Chahed à Nidaa n'ont réussi à attiser les foules.
Foutage de gueule car ceux qui ont été élus, peu importe ce qu’on aura à dire à leur sujet, ceux qui ont été choisis par le peuple, par les rares personnes qui ont fait le déplacement, bravé les files timides et glissé un bulletin dans l’urne, n’auront peut-être pas la chance d’être nommés dans les postes pour lesquels ils se sont présentés.
Contrairement aux croyances populaires largement répandues, la tête de la liste gagnante n’est pas forcément celle qui occupera la présidence du conseil municipal. Là encore, le grand et indéfectible consensus aura son mot à dire et décidera de l’issue des choses. Une réunion du conseil municipal votera pour élire le maire qui se présentera parmi les têtes de listes gagnantes (ayant plus de 3%) et en cas de blocage lors du deuxième tour, le plus jeune des deux finalistes l’emportera. Ça ne tient finalement qu’à ça. Dixit la volonté du peuple, dixit le pouvoir des urnes, le consensus est plus fort que tout. Ce même consensus qui rend légitime les alliances les plus folles, les plus improbables et les plus hypocrites.
On en est encore à la proclamation préliminaire des résultats partiels, qu’Ennahdha, Nidaa Tounes et Irada annoncent une alliance dans la municipalité de Sidi Ali Ben Aoun (gouvernorat de Sidi Bouzid). Les partis de Rached Ghannouchi, Béji Caïd Essebsi et Moncef Marzouki, que tout semble séparer pourtant, s’allient afin de se donner de la consistance face à la liste indépendante qui les a devancés.
Si les citoyens avaient déjà eu du mal à digérer le rapprochement fragile et précaire entre Ennahdha et Nidaa, ils n’étaient sans doute pas prêts à encaisser le déculottage du parti de Moncef Marzouki. Chantre de la liberté, des grandes valeurs de démocratie, de la lutte anti-corruption, qui a passé des mois à vomir et à mépriser les gouvernants actuels prétendant pouvoir faire mieux qu’eux, voilà que Irada s’allie à ses prétendus pire ennemis. Mais coup de théâtre, le lendemain, on efface tout et on recommence. Irada et Nidaa se rétractent et décident que, finalement, le morceau serait beaucoup trop gros à faire avaler aux électeurs et aux bases. Oui, car c’est comme ça que fonctionne le politique dans ce beau petit pays. L’improvisation est décomplexée et affichée comme une ligne de conduite passionnée. Au diable les électeurs qui ont voté pour un parti affichant certains principes et qui se retrouvent représentés par d’autres ayant une ligne de conduite totalement opposée.
Avec le mode d’élection des maires, et l’amateurisme politique décomplexé, les élections du 6-Mai donneront sans doute une nouvelle représentation du parlement actuel. Des mini-parlements dans chaque municipalité, dirigés par le consensus et les calculs politiques aussi vils que restreints. Le tout agrémenté d’une bonne couche d’improvisation et dans un mépris total pour ce que l’électeur pense. Enfin, les rares électeurs qui ont jugé utile d’aller voter…