
Quel opérateur doué de raison serait tenté d’investir dans un pays qui donne d’inquiétants signes d’instabilité, d’incohérence et, parfois même, de chaos ? L’incurie de notre classe politique et gouvernante a atteint un niveau proprement stupéfiant. Et quand bien même l’une ou l’autre oserait prendre une initiative, celle-ci n’est, la plupart des fois, que la résultante d’un raisonnement qui met à nu l’absence totale de logique, si ce n’est une insoutenable absurdité.
Hier encore, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a ordonné, à la suite d’un conseil ministériel restreint, le recrutement de 500 nouveaux employés par la société de l’environnement, de la plantation et du jardinage à Tataouine. On peut légitiment se demander sur quels critères cet auguste conseil a aboutit à décider d’une telle mesure. La société concernée afficherait-elle un tel besoin ? Ses performances seraient-elle aussi spectaculaires qu’il faille entreprendre de la développer davantage par une vague de recrutement massif ? Allons donc ! Il n’est qu’à constater la situation des ainées de cette société, celles du bassin minier du sud-ouest et de Gabès, pour mesurer l’incohérence d’une telle mesure.
Comme ses prédécesseurs, le nouveau gouvernement ne semble pas avoir compris que la paix sociale ne s’achète pas à coup de création d’emplois fictifs imposés et implantés sur place ; les sociétés pétrolières à Tataouine, la Compagnie des phosphates de Gafsa pour le bassin minier et le Groupe chimique tunisien à Gabès. Cette option ne mène nulle part puisque l’instabilité sociale n’a pas cessé pour autant et l’activité des sociétés-mère de ces « pseudo-filiales » est encore en stand-by, plombant davantage leurs charges, jusqu’à ne plus pouvoir être en mesure d’honorer convenablement leurs engagements à l’échéance. Pire, cette option risque de faire naître ailleurs de nouvelles tensions. D’autres régions seraient en droit de revendiquer le même traitement. Au nord-ouest, par exemple, on créerait une société de reboisement et d’entretien des forêts, ou bien une société d’études et de réalisation de projets de désenclavement de la région. Au centre-ouest, il y aurait de la place pour la création d’une société de réhabilitation du patrimoine urbain. Et ainsi, de suite.
Arrêtons ici la plaisanterie pour passer à ce qui serait aisément qualifiable d’ubuesque : la récente saisie conservatoire des comptes de l’une des plus importantes entreprises du pays, l’Entreprise tunisienne d’activités pétroles (Etap) par son propre propriétaire. Imaginez les actionnaires d’une société privée engageant une telle procédure contre leur entreprise parce qu’elle n’a pas été capable de verser les dividendes dans les délais convenus. Le plus surprenant dans le cas de l’Etap, c’est que le ministère des Finances, initiateur de la procédure, ne pouvait pas méconnaître la situation réelle de l’entreprise et des difficultés de recouvrements des créances qu’elle détient sur d’autres entreprises qui appartiennent notamment à l’Etat. La direction générale des participations au sein du ministère des Finances et particulièrement l’Unité de tutelle sectorielle et de suivi ne pouvait pas ne pas le savoir. Cette structure est chargée certes de « suivre le recouvrement des dividendes et des excédents revenant à l’Etat au titre de ses participations au capital des entreprises et établissements publics ». Mais elle est également chargée « d’assurer le suivi des liquidités des entreprises et établissements publics » et « d’examiner et de donner son avis sur toutes questions ayant un impact financier » sur ces entreprises et établissements publics.
Manifestement, on a mis la charrue devant les bœufs. Le pire ici, c’est la logique suicidaire que suscite une telle procédure. Ainsi, ne pouvant récupérer ses dus, l’Etap aurait saisi les comptes de la Stir (Société tunisienne d’industrie du raffinage) et de la Steg (Société tunisienne de l’électricité et du gaz) en raison de leurs retards de règlement. A son tour, la Stir saisirait les comptes de la Sndp (Société nationale de distribution de pétrole) qui arrêterait de fournir l’administration publique en carburant tout en saisissant ses comptes pour non paiement de factures. De son côté, la Steg ferait de même avec ses abonnés mauvais payeurs.
Et le phénomène de boule de neige de prendre forme. La Sonede et autres entreprises saisiraient l’occasion pour engager la même procédure. En fin, les entreprises privées entreraient dans la partie. Et l’on sera en présence d’une véritable foire de saisie de comptes qui risque de paralyser un très large pan, sinon toute l’activité du pays.
Le ministère des Finances n’avait-il pas mieux à faire vis-à-vis des entreprises publiques et particulièrement celles qui sont sa tutelle ? Exemple : la MTK (Manufacture des tabacs de Kairouan) ou la RNTA (Régie nationale des tabacs et allumettes). Leur situation est inédite dans le monde. On imagine mal, en effet, qu’une société en situation de monopole puisse dégager des pertes. Du jamais vu ailleurs. C’est malheureusement le cas chez nous. A la fin de 2018, la MTK affichait un résultat d’exploitation négatif de 30 MD, un résultat net de -45 MD et un cumul de perte de 172 MD. Sa dette envers l’Etat dépassait les 250 MD. Quand à la RNTA, son résultat d’exploitation était de -34 MD, son résultat net de -45 MD environ et ses pertes cumulées culminaient à 300 MD et une dette envers l’Etat dépassant les 190 MD.
Le ministère des Finances n’aurait-il pas mieux gagné à résoudre une telle énigme économique que de mettre en difficulté l’une des dernières vaches à lait de l’Etat à qui le chef du gouvernement demande, en plus, d’augmenter de 50% sa contribution au financement de l’Union sportive de Tataouine, lors du conseil ministériel précité ? Un comble.



Les rapports de l'ETAP sont un travail d'amateurs et le ministère doit exiger mieux. L'ETAP doit produire des rapports complets et audités. L'ETAP peut améliorer sa gestion, on achète le gaz algérien indexe au pétrole, c'est beaucoup plus cher que le gaz qu'on peu acheter d'autres sources.
On a un système très fragile, des sociétés étatiques devenues des opportunités de sinécures pour des gens bien places. La population ne tolère plus cet état des choses.