
L’atmosphère qui règne dans le pays ressemble à tout point de vue à celle que décrit Charles Baudelaire dans le poème « Spleen ». « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis, et que de l’horizon embrassant tout le cercle, il nous verse un jour noir plus sombres que les nuits ».
L’épidémie du Coronavirus a mis en évidence le retard pris par l’Etat dans le développement et la modernisation de l’infrastructure publique. Rattraper ce retard devra être la priorité absolue du nouveau gouvernement. Cet objectif devrait être déjà engagé dans le sillage de ce qui serait possible de mettre en œuvre pour atténuer les effets socioéconomiques de la pandémie.
Dans l’immédiat, le gouvernement semble ne pas vouloir engager des mesures de soutien aux opérateurs économiques pour faire face aux inéluctables difficultés de trésorerie dues à la brutale baisse d’activité qu’engendrera la pandémie. Il est fort douteux que cette attitude puisse suggérer qu’il ne serait pas convaincu de cette nécessité vitale, épousant de la sorte l’option malthusienne de Boris Johnson, le Chef du gouvernement britannique, de laisser-faire au risque de provoquer une épouvantable hécatombe et de sacrifier des dizaines de millier de personnes sur l’autel du libre marché. Option qui a été aussitôt jetée aux oubliettes au profit d’un engagement financier massif de l’Etat britannique en faveur des entreprises.
Le gouvernement d'Elyes Fakhfakh est persuadé que le soutien au tissu productif du pays est une condition sine qua non à sa survie. Cependant, c’est son urgence qui pose problème car l’Etat ne semble pas avoir les moyens immédiats pour y répondre. C’est que lui, il donne le sentiment de souffrir de sérieux problèmes de trésorerie. Les prévisions de ressources budgétaires sont loin d’être réalisées. En attendant la publication de l’état d’exécution du budget pour les deux premiers mois de l’année, on imagine fort bien la situation. Le gouvernement espérait une reprise de contact rapide avec les bailleurs de fonds traditionnels de la Tunisie, particulièrement avec le FMI, pour renflouer les caisses de l’Etat en attendant la première grosse fournée de l’année en termes de recettes fiscales, celle du mois de mars qui concentre les déclarations d’impôts sur les bénéfices. Celles-là même dont les chefs d’entreprise demandent le report en même temps que les déclarations trimestrielles à la sécurité sociale, les échéances de remboursement de crédit, ainsi que la baisse de 2 points de pourcentage du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ou encore l’élargissement des facilités de trésorerie en raison de ce cas de force majeure.
Dans la mesure où il a prévu une enveloppe de près de 770 MD pour les « dépenses imprévues » dans le budget 2020. Dans la mesure où il a la possibilité de réorienter les missions de plusieurs fonds de soutien (Fonds pour l’emploi, Foprodi, Foprodex, Famex, etc.). Dans la mesure où il a la possibilité de mobiliser la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à l’instar de la Banque publique d’investissement (BPI) en France qui, pour soutenir les entreprises dont l’activité est impactée par le coronavirus, a mis en place une série de mesures et un accès dédié pour les renseigner et les orienter pour traiter leurs problèmes de trésorerie, et bien d’autres initiatives encore de réorientations budgétaires. Les champs du possible sont nombreux. Dès lors, seul un besoin urgent de liquidités explique le refus du gouvernement de reculer les échéances de déclarations. Besoin de liquidités qui lui permettrait d’affronter l’épidémie et ses conséquences socioéconomiques.
En tout cas, l’impasse aurait été totale sans l’intervention de la BCT. Les mesures annoncées, mardi 17 mars 2020, par l’institut d’émission constituent une voie de sortie qui n’est d’ailleurs pas sans risques. Sa décision de baisser de 100 points de base son taux directeur, d’inciter les établissements de crédit à faciliter le report de remboursement des crédits échu (principal et intérêts) pour la période allant du 1er mars jusqu’à fin septembre 2020 et le cas échéant de « reprofiler » le tableau d’amortissement en fonction des capacités des bénéficiaires, de rouvrir les vannes du refinancement, d’assouplir les normes prudentielles sur les provisions et les crédits, etc. va réjouir les opérateurs et par ricochet conforter probablement les caisses de l’Etat.
Visiblement, ces mesures ne furent pas prises de gaieté de cœur par l’institut d’émission qui prend ainsi le risque d’anéantir tous les efforts consentis depuis deux ans pour contenir l’inflation, sa cible privilégiée. Surtout que certains paramètres financiers causent encore d’important souci pour la banque des banques. Exemple : l’évolution de l’encours des crédits de court terme aux professionnels, recensé par la centrale des risques de la BCT. Cet indicateur qui reflète les besoins de financement d’exploitation et de trésorerie des entreprises. a atteint 39,5 milliards de dinars fin 2019 contre 18,1 milliards de dinars en 2011. La part des crédits de court terme dans le total des crédits octroyés par les banques aux entreprises a atteint 58% en 2019 contre 49,9% en 2011. La charge d’intérêt de ces crédits sur le niveau des prix n’en a été que plus lourde.
Malgré cela, la BCT lâche du lest. Il est évident que l’autorité monétaire n’ira pas plus loin. Maintenant, c’est au gouvernement de renflouer son tiroir-caisse en imaginant d’autres formules que cette augmentation intempestive de plus de 22% du prix des cigarettes qui elle aura un effet inflationniste certain.



Tout le monde est d'accord qu'il faut soutenir l'économie mais j'aimerais bien qu'on nous explique comment partager les ressources disponibles au lieu de nous dire ce qui devrait se passer dans le meilleur des mondes
"RAJJOU LIFLOUSS"