
Il y a deux jours, le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu son ministre de la Santé, Ali Mrabet. L’un des sujets évoqués entre les deux responsables était la nécessité de contrôler les médicaments importés ou fabriqués en Tunisie ainsi que la nécessité de constituer un stock stratégique surtout pour les médicaments vitaux. Le communiqué est clos par les habituelles diatribes présidentielles puisqu’on y lit que les médicaments font partie de la sûreté nationale et que le droit à la santé est un droit naturel parmi les droits de l’Homme.
Autant de belles paroles et de sincères intentions qui se heurtent à une réalité bien plus pragmatique et bien plus froide. Cela fait des mois que le chef de l’État appelle à la constitution d’un stock stratégique de médicaments. Il ignore sans doute que l’approvisionnement normal en médicaments dans le pays est entravé par le manque de liquidités de la Pharmacie centrale de Tunisie. Il ignore sans doute que plusieurs firmes internationales de fabrication de médicaments ont décidé de quitter la Tunisie car, non seulement elles ne sont pas payés par l’État, mais le climat général des affaires n’est plus assez attractif pour elles. Il ne suffit pas d’appeler à la constitution d’un stock pour que le problème des médicaments en Tunisie soit résolu, surtout si on renouvelle l’appel à plusieurs reprises. C’est par centaines que les médicaments manquent actuellement en Tunisie, et particulièrement les médicaments vitaux. Les malades du cancer en savent quelque chose. Cette pénurie dure depuis tellement longtemps que des circuits parallèles d’approvisionnement se sont créés à travers les amis et les connaissances qui vivent à l’étranger.
Qu’a fait concrètement l’État pour remédier à cette situation ? Pas grand-chose, hormis des effets d’annonce et du populisme à deux balles. L’un des principaux outils de ce populisme est le fait de limoger les responsables sans aucun égard ni pour leur compétence, ni pour le travail qu’ils ont fourni au sein de l’État. Le 6 janvier 2023, le PDG de la Pharmacie centrale de Tunisie, Béchir Yermani, est limogé sans ménagement de son poste. On ne prendra même pas la peine de le prévenir de la décision de son limogeage. En février 2023, Kaïs Saïed est allé en visite au siège de la société des industries pharmaceutiques de Tunisie (Siphat). Accompagné de l’inénarrable gouverneur de Ben Arous, Ezzedine Chelbi, il fustigeait le fait que des médicaments soient manquants alors qu’il estime qu’on pourrait produire tous nos besoins. Il avait également été scandalisé devant des cartons d’échantillons. Le Président n’a pas manqué de rappeler que le droit à la santé est un droit inaliénable contenu dans la constitution qu’il a écrite.
Huit mois plus tard, nous en sommes exactement au même point puisque le président de la République recommande, encore, la constitution d’un stock stratégique de médicaments. Il suffirait que le président aille à El Omrane pour voir de ses yeux les files d’attente des malades du cancer et des membres de leurs familles qui se constituent aux aurores dans l’espoir d’obtenir les médicaments nécessaires à leurs cures. Il suffirait que le Président s’intéresse aux refus de prise en charge, de plus en plus fréquents, prononcés par les caisses sociales, car on n’a plus les moyens de soigner les malades chroniques. Evidemment, personne ne le dira en ces mots, mais tout le monde sait de quoi il retourne.
Le président de la République et son gouvernement sont dans l’incapacité de changer les choses et de réformer pour une raison très simple : ils ne comprennent pas le problème. Ce serait tellement simple et tellement plus facile si les problèmes structurels se résolvaient en virant tel ou tel responsable. La vie serait tellement plus facile s’il suffisait de virer le PDG de la Pharmacie centrale pour résoudre le problème des médicaments, ou de virer le PDG de la Sonede pour mettre fin aux coupures d’eau. Sauf que les choses sont beaucoup plus complexes que cela. L’approvisionnement en médicaments est un problème purement financier. La Pharmacie centrale est obligée de pratiquer une pression insoutenable sur ses clients, du moins ceux qui payent, pour combler les déficits monstrueux laissés par les agents étatiques, qui ne payent pas. Le tout dans l’objectif de garder un semblant d’équilibre et un minimum de liquidités pour assurer l’approvisionnement en médicaments. Le problème structurel réel est celui du financement du système de santé en Tunisie où le médicament n’est qu’un élément. La vraie réflexion réformatrice devrait prendre cette question à bras le corps et commencerait par déterrer les dizaines de projections et d’études élaborées par cette même administration que l’on veut aujourd’hui « assainir ». Appeler un ministre à la constitution d’un stock ou limoger un responsable est très éloigné du début du commencement d’une quelconque réforme. Par contre, cela plait à la populace et donne l’image d’un président fort. Entre l’image du président et la santé des Tunisiens, le choix a apparemment été fait.



Le plus inquiétant est les signes de renoncement qu'on observe. Une grande partie des tunisiens n'ont plus ni l'envie ni la force de se battre, ils cherchent à fuir le pays ou à tirer leurs épingles du jeu.