
Lors de sa constitution, tout un chacun s’est réjouit que son président, son vice-président et son rapporteur soient des experts-comptables. Il s’agit bien sûr de la commission provisoire de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) chargée d’examiner le projet de loi de finances complémentaire 2019 et du projet de loi de finances pour l’exercice 2020. Mais à suivre les comptes-rendus des débats fournis par les médias, le constat est déjà amer.
Il était raisonnable de penser que, pour une fois et grâce à leur présence, l’examen de ces deux projets de loi susciterait un débat sérieux et approfondi, loin des formules à l’emporte-pièce, des vœux pieux ou des propos qui cachent mal de sombres intérêts. Malheureusement, ce fût le cas. On a ergoté à ne plus finir sur la loi de finances complémentaire 2019, cherchant dans le détail des ressources et des dépenses la faille qui mettrait en porte à faux le gouvernement et sa gestion budgétaire. Or celle-ci n’était pas cachée dans le détail, mais bien en évidence.
Lors de l’élaboration du budget de l’Etat, on a estimé les dépenses de subvention de l’énergie à 2,5 milliards de dinars sur la base du cours du baril de pétrole à 75 dollars et on se retrouve, à la fin de l’année, avec des dépenses de subvention de l’énergie atteignant 2,5 milliards de dinars pour un cours moyen du baril à 65 dollars. La faille ou plutôt l’énigme se situe là plus qu’ailleurs. Certes, on pourrait toujours objecter que le gouvernement n’a pas appliqué en totalité les ajustements du prix des carburants programmés durant l’année 2019. Il n’empêche, l’écart est trop important. Le plus curieux, c’est que le gouvernement semble vouloir éviter à tout prix d’en avouer les raisons parce qu’elles nécessiteraient une refonte complète de la politique de subvention à l’énergie, un réel ciblage de ses bénéficiaires et des augmentations en cascade du prix public de l’énergie.
A ce stade, deux constats méritent d’être relevés. Notre taux d'indépendance énergétique, mesurant le rapport entre ressources et consommation d’énergie ne cesse de se dégrader. Il est passé de 46% en 2018 à 42% en 2019. Et il se trouve encore des personnes qui croient que le pays est assis sur des réserves considérables de pétrole.
D’autre part, nos capacités de raffinage ont dramatiquement chuté. Nous n’arrivons même plus à raffiner notre propre pétrole. Depuis février 2019, la production de la Société tunisienne des industries du raffinage est à l’arrêt, affichant une chute d’activité de près de 70% en septembre 2019 par rapport au même mois de 2018, selon les dernières données de l’Institut national de statistique (INS). Relation de cause à effet, on importe de plus en plus de pétrole raffiné que de pétrole brut. Du coup, les prévisions de dépenses de subvention ne reposent plus uniquement sur des variations éventuelles du cours du pétrole brut et du taux de change du dollar. Il faut dorénavant y inclure les variations éventuelles du coût de raffinage. Ce que ne semble pas avoir prévu le gouvernement dans ses estimations initiales.
Après tout cela, la Commission provisoire a fini par adopter le projet de loi de finances complémentaire alors qu’il y avait probablement encore à discuter, notamment sur cette fameuse et fumeuse disposition adoptée par les députés en séance plénière instaurant une taxe exceptionnelle de 1% sur les transactions des banques à partir de 2020. Cela ne fût pas le cas, malheureusement aussi.
Se rappellera-t-elle du sujet lors de l’examen du projet de loi de finances 2020 ? Rien n’est moins sûr au vu du déroulement des débats sur le projet. On a débattu de la non-divulgation des prévisions du taux de change dans l’élaboration du budget de l’Etat. La bonne affaire. C’est par souci de transparence, a expliqué le président de la commission, oubliant que, dans ce cas de figure, le souci de transparence a ses limites dès lors qu’il peut générer des phénomènes spéculatifs autrement plus périlleux, comme ce fût le cas à la suite des propos tenus par Lamia Zribi, ministre des Finances en 2017 sur les perspectives du taux de change du dinar qui non seulement lui ont valu son limogeage mais ont également provoqué de sérieuses tensions sur le marché de change.
En tout cas, ce souci de transparence est visiblement à géométrie variable puisque la commission a rejeté deux dispositions-clés du projet de loi de finances ; dispositions qui favoriseraient la radiation de la Tunisie de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne. Il est également à géométrie variable puisque la commission a reporté la discussion de deux articles du projet de loi de finances 2020 créant une nouvelle procédure de contrôle fiscale dite « vérification ponctuelle ».


