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Tribunes
La Méditerranée par ceux qui la construisent
27/10/2009 | 1
min
La Méditerranée par ceux qui la construisent
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Par Hassen Zargouni

«Etonnante civilisation méditerranéenne qui, au fur et à mesure de son déploiement, balisa les trajectoires de notre culture, fixant l’un après l’autre les repères majeurs de notre histoire et faisant de nous les dépositaires d’un héritage où l’alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l’ingéniosité carthaginoise, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l’aventure catalane, la liberté française et l’éternité égyptienne. » Joseph Maila, Directeur du centre de recherche sur la paix

La Méditerranée existe-t-elle ? Tout le monde fait comme si la réponse était évidemment positive. Pourtant, les deux rives du Mare Nostrum se sont progressivement éloignées, c’est un fait aussi bien politique, économique que culturel. Le lancement de l’Union Pour la Méditerranée a remis la question du rapprochement nord-sud à l’ordre du jour. Mais la perception de l’UPM diffère selon qu’on soit de la rive sud ou la rive nord de Mare Nostrum.

Des incompréhensions mutuelles…

Du côté sud de la mare nostrum, l’Union Pour la Méditerranée, en tant qu’institution, est chargée de soupçons mais aussi d’espoirs. Pour certains l’UPM est une version rénovée de ce qu’on appelait jadis ‘Zone d’influence française’, une forme néocoloniale qui ne dit pas son nom. D’autres accusent l’UPM d’être un instrument dont l’objectif inavoué est la normalisation des relations entre le monde arabe et Israël, et à cet égard, la guerre sur Gaza a été à ce titre dramatique voire fatale pour le projet UPM. L’idée d’offrir à la Turquie par le biais de l’UPM une alternative à sa volonté d’intégrer l’Union Européenne est tout aussi vivace du côté sud de la Méditerranée. Certains prêtent aussi à l’UPM, par son côté volontairement pragmatique et son ‘approche par Projets’, une volonté européenne de considérer la Méditerranée uniquement sur son aspect éco-énergétique, un bassin d’eau à nettoyer, une énergie renouvelable à portée de main, … balayant ainsi les aspects humains, civilisationnels et culturels multimillénaires, privilégiés côté sud. D’autres encore accusent l’Europe, sous couvert de l’UPM et du reflexe sécuritaire, de volonté d’emmurer les peuples du sud en dressant des barrières à la circulation des hommes et des femmes et empêcher une transhumance, quasi naturelle, ancrée dans les racines méditerranéennes.

En outre, le sud de la Méditerranée perçoit des incompréhensions entre, d’un coté, des pays ‘latins’ familiers avec un voisinage imposé par la géographie et l’histoire et d’un autre coté, des pays nordiques dont l’exotisme méditerranéen relègue le projet UPM aux derniers rangs des priorités européennes. Ces pays soulèvent régulièrement des obstacles quant aux questions de financement, ou liées à la gouvernance, … L’actuelle crise financière et économique a accentué cet état de fait. Pour finir ce tableau, plutôt sombre, des clivages sont perceptibles entre pays de la rive Sud et qui oscillent entre une vision économique de ce nouvel espace (Maroc, Tunisie, …) et une vision institutionnelle et politique (Egypte, Algérie,…).

Les espoirs proviennent d’un fait simple : Le processus de Barcelone a échoué parce qu'il a placé les pays du sud de la Méditerranée dans une position de dépendance vis-à-vis de leurs voisins plus prospères du Nord en misant sur le développement du commerce et du libre-échange. Avec l'Union Pour la Méditerranée, l'ordre des facteurs est inversé, l'accent étant mis sur la base du développement économique et social, la santé, l'éducation, les transports, l'urbanisme, la politique industrielle...

Responsabilité des nouvelles générations et valeurs partagées…

A l’heure de la généralisation auprès des jeunes générations méditerranéennes de l’usage des technologies de l’information, à l’heure où la Chine est en passe de devenir leader économique mondial, à l’heure où Barak Obama accède à la première magistrature du géant américain et à l’heure où la prise en charge d’une épidémie de grippe aviaire, porcine ou autre, est standardisée de par le monde, décidément les choses ne doivent plus être perçues par un regard dont le référentiel se situe majoritairement dans le XXème siècle.
La spécificité méditerranéenne réside d’une part dans la charge historique, spirituelle, philosophique, littéraire et scientifique que représente la zone et son apport à la civilisation mondiale, et d’autre part au fossé économique actuel sans précédent qui sépare les populations des deux rives de la mare nostrum.

Le concept d’une ‘Jeunesse Méditerranéenne’ peut paraitre théorique tant les trajectoires des pays du Nord et du Sud paraissent éloignées, tant les droits politiques, économiques et sociaux des jeunes des deux rives paraissent contrastés. Mais une lecture approfondie à travers les réalités individuelles, dans certains groupes professionnels et au niveau des réseaux sociaux sur le net, on se rend compte très vite que cette Jeunesse méditerranéenne existe, elle se connaît, elle se reconnaît, elle communique, elle voyage, elle étudie ensemble, elle fait de la recherche dans des laboratoires communs, elle se rencontre lors de joutes culturelles et artistiques, elle se met en réseaux amicaux. Certes ces cercles sont restreints, mais ils sont nombreux. L’enjeu aujourd’hui et plus que jamais est de les mettre en boucles, de divers origines culturelles, académiques, économiques pour une prise de conscience massive, globale pour une nouvelle ère méditerranéenne, une ère de prospérité pour tous, de développement partagé, de mise en commun des ressources qui font la richesse éternelle de cette région : les hommes et femmes, l’eau, l’énergie, les particularismes culturels, l’art de vivre à la méditerranéenne au niveau de l’architecture, des arts culinaires, …

Il est de la responsabilité de la nouvelle génération et notamment de son élite de se révéler méditerranéenne par essence, de prendre en main sa destinée commune, de construire une Université méditerranéenne comme ce fut le cas à Byblos, à Athènes, en Alexandrie, à Carthage, à Rome, à Kairouan, à Marrakech, à Séville, à Montpellier, à Trieste, à Vukovar ou à Istanbul. Comme il est de sa responsabilité de concevoir un bassin assaini, avec l’émergence de cités durables, de l’énergie renouvelable et propre, et un cadre institutionnel permettant une immigration co-choisie.

L’histoire contemporaine impose une avancée par groupes cohérents de pays. L’espace Euro-Maghreb est une priorité. Sa fragilité réside dans la faiblesse institutionnelle de l’UMA, mais il est une réalité évidente pour les jeunes de la Méditerranée de l’ouest : Le Maghreb se fera à travers sa projection dans l’Euro-Maghreb, l’espace 5+5, particulièrement, parait pertinent et productif. Un axe de travail prioritaire : la Culture. En effet, la création artistique, l’imagination créative sont tout autant de valeurs partagées par la nouvelle génération méditerranéenne à travers un creuset civilisationnel commun et qui ne connaissent pas de frontières, au sens postcolonial. D’autres axes peuvent suivre : Mise en commun des ressources humaines, énergétiques, …. Des sujets concernant le dialogue interreligieux sont susceptibles à terme d’apaiser les tentions, qui hélas subsistent encore, …

Le cadre de débats et de travail offert par l’YML-Forum, fut-il élitiste dans sa conception de base, il représente, tout de même, la matérialisation d’une attente forte d’une jeunesse méditerranéenne s’accordant sur l’essentiel : Entente entre les peuples du pourtour méditerranéen, paix durable et prospérité partagées pour les générations futures d’une seule et même rive, ni nord, ni sud, celle de la mare nostrum.

* Hassen Zargouni est Membre du board exécutif YML. Il est également directeur de l'agence Sigma Conseil et ex président de l'ATUGE
27/10/2009 | 1
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