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Tunisie – Les médias publics, entre les griffes du nouveau pouvoir
15/03/2012 | 1
min
Tunisie – Les médias publics, entre les griffes du nouveau pouvoir
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L’affaire Nasreddine Ben Saïda, journaliste et directeur de journal, immédiatement arrêté comme un vulgaire criminel, pour une simple affaire de photo, n’en finit pas de défrayer la chronique. Le quatrième «pouvoir» semble agacer, voire même choquer, les âmes les plus sensibles et le nouveau pouvoir en place qui se prête à une attaque en règle contre l’ensemble des médias «non alignés» et «non objectifs», dans une croisade sans précédent.
Dans la ligne de mire, la télévision nationale, média public proche du peuple et des masses, sur laquelle le nouveau gouvernement souhaiterait avoir la mainmise.

Les médias tunisiens n’ont pas toujours été aussi fiers qu’ils le sont aujourd’hui. Plusieurs d’entre eux (la plupart, iront jusqu’à dire certains) étaient même de connivence avec l’ancien régime et s’en faisaient porte-paroles. Alors que le pays était opprimé sous une dictature des plus totalitaires, les médias arboraient une tragique loi du silence. Une omerta qui régnait sur le secteur de la presse censé informer et dénoncer. Mais nul ne peut ignorer que toute critique en direction de l’ancien pouvoir ou du clan présidentiel valait des réprimandes, et était passible des pires humiliations et autres exactions.
Aujourd’hui, alors que les journalistes découvrent, non sans joie, l’ère des libertés de la presse et de l’opinion, certaines forces cherchent, à tout prix, à les faire replonger de nouveau. Les pressions qui pèsent sur le secteur des médias ne semblent pas se dissiper. Les journalistes ont acquis le luxe inespéré de la recherche et des commentaires libres de l’information. Mais les contraintes à une simple exposition glorieuse et pompeuse de l’agenda officiel de la présidence, semblent de nouveau pointer leur nez.

Pour les journalistes, le défi est grand: il va désormais falloir redonner ses lettres de noblesse à un métier dont le régime a bafoué jusqu’aux principes élémentaires. Pour le gouvernement, l’enjeu est capital: museler un pouvoir fraîchement libéré, qui peut mettre en doute sa nouvelle ascension, et en faire un allié.
Pour l’instant, la répression se porte bien, merci!

Les journaux papier et autre presse électronique, peu lus par les masses, intéressent peu. C’est la télévision nationale, premier média tunisien et source d'information des masses, qui semble faire l’objet de la convoitise du gouvernement. Un média, désormais, dans le collimateur du nouveau pouvoir.
Plus ce premier média est convoité, plus il est critiqué. Ceux qui veulent en faire un nouveau papelard, n’arrêtent pas de le discréditer pour mieux justifier son « assainissement ».

A entendre le nouveau pouvoir en place, tout baignerait dans l’huile et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le gouvernement est en train de faire de son mieux pour sauver le pays du naufrage, pour nouer des relations durables avec les pays «amis» et «alliés», pour instaurer les bonnes mœurs et trouver des réponses urgentes aux revendications citoyennes.
Deux ministres affichent deux versions contradictoires d’un même fait? Qu’à cela ne tienne! C’est de la démocratie pure et dure, une véritable liberté d’échange et d’opinion.
Le drapeau violé et abusé, les actes de violence ne seraient que des faits isolés, du grabuge causé par des minorités sans grande incidence. Tout est sous contrôle, si ce n’étaient ces journalistes fouineurs qui transforment de petits faits divers en énormes cataclysmes et qui font fuir les rares touristes visitant notre paisible pays. Journalistes islamophobes et fadas des nouveaux «salafistes» qu’ils marient à toutes les sauces et utilisent comme épouvantail pour justifier leur stratégie destructrice qui conduira le pays vers un chaos inévitable.
Honte à eux!

La télévision «mauve» n’échappe pas à la règle. L’argument du «média pro-régime et qui ne s’en cachait pas», le nouveau pouvoir veut l’utiliser contre lui pour le tenir en otage.
La TV nationale est, contrairement à ce qu’on pourrait croire, une chaîne à petit budget qui peine à se faire une place. Média aux méthodes journalistiques laissant parfois à désirer, aux présentateurs voulant donner l’impression d’être naturels et dispos mais partageant les temps de parole avec une gêne évidente et un chronométrage des plus ratés. L’ex-TV7 a certes fait son mea culpa au peuple tunisien et veut se racheter en rejoignant le crédo révolutionnaire.
Pour peu qu’on la laisse faire…
Alors que les sit-in devant le siège de la télévision nationale continuent de plus belle, plongeant le local dans une ambiance des plus tendues et empêchant les journalistes de faire correctement leur travail, voila que le nouveau pouvoir semble vouloir resserrer son étreinte.

Les sit-inneurs, en majorité appartenant au courant islamiste, dressent leurs tentes depuis des jours devant le local de la télévision nationale appelant à assainir le secteur de l’information, «encore sous l’emprise des résidus de l’ancien régime». Une grande campagne de dénigrement prend place un peu partout sur la toile.
Aujourd’hui même, le comité d’organisation de la manifestation contre les médias, a intenté un procès en justice contre la TV nationale, l’accusant d’avoir «entaché l’image des manifestants devant son local» à travers la propagation de nombreuses fausses rumeurs «visant à les discréditer». D’autres affaires sont également soulevées à l’encontre de divers médias et journalistes.

Fait des plus notables, les visites et cérémonies présidentielles sont présentées en première partie du journal télévisé de 20h, émission la plus regardée de la journée. Sans oublier cette fastidieuse retransmission intégrale du discours du président provisoire de la République, lequel discours peut dépasser, parfois, la demi-heure. Une amère impression de déjà-vu.
Revirement de bord?
Cela rappelle étrangement les rencontres avec des ministres et de hauts cadres du gouvernement qui donnent l’impression de répondre parfaitement aux questions et de maîtriser leurs sujets sur le bout des doigts lors d’interviews élogieuses, souvent préparées à l’avance.
On reproche aux journalistes de la Nationale 1, une certaine «complaisance» et un effacement à travers le manque de questions pertinentes. Certains n’hésitent pas à répondre le plus naturellement du monde : «que puis-je dire face à un ministre?».
Les vieux réflexes ont la vie dure, mais l’intimidation l’est sûrement beaucoup plus…

Dans les plus grandes démocraties du monde, les faits et gestes du président de la République et autres membres du pouvoir sont certes relatés par la presse publique, mais ne font pas objet d’une première partie et ne monopolisent pas le temps d’antenne.
La TV nationale est aujourd’hui contrainte à reprendre ses anciennes pratiques et à faire des moindres faits et gestes du pouvoir, son axe de prédilection… sous la pression.
En mettant la télévision nationale dans sa poche, le nouveau pouvoir ferait d’une pierre deux coups: s’approprier le média des masses et contrecarrer le reste de la presse, «malhonnête» et «non objective».
Quoi de plus naturel, dans ce cas-là, que de taxer les journaux qui rapportent les gaffes et les contradictions, non de «contre-pouvoir», mais d’«anti-pouvoir».
Supputations diriez-vous?

Ce n’est peut-être pas un hasard si Lotfi Zitoun, ministre conseiller auprès du chef du gouvernement provisoire chargé du dossier politique, a récemment déclaré, sur le plateau télé de la chaîne Attounissia, que le PDG de la télévision nationale serait «son ami», ce qui lui laissait le champ libre pour interférer dans les programmes diffusés par la chaîne.
Une déclaration et non des moindres sur laquelle il désire ne pas être pris au mot, certainement à l’instar de ses déclarations prédisant un complot menaçant le gouvernement… déclarations sur lesquelles il ne manquera pas de se rétracter par la suite. Classique…

En définitive, le nouveau gouvernement ne souhaite visiblement pas d’émancipation des médias, mais les voir, encore et toujours, perpétuer leurs erreurs passées, tout en continuant à les critiquer.
La presse fait aujourd’hui l’objet de nombreuses pressions pour épouser une ligne éditoriale qui sied à son nouveau rôle de porte-parole du pouvoir.
La particularité du journalisme tunisien, est que le pouvoir n’en est jamais bien loin. Mais le journalisme n’est-il pas le banc d’école de la démocratie? Ceux qui veulent voir les journalistes d’aujourd’hui ressortir leurs tambours et leurs tenues de fous du roi, pendant que les autorités se la coulent douce et cumulent bourde sur bourde, ne sont-ils pas, eux-mêmes, les véritables ennemis de la démocratie ?
Le métier de journaliste est-il condamné à rester au ras des pâquerettes et à servir une mode guimauve…à la violette?


15/03/2012 | 1
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