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Tunisie - Traversée vers Lampedusa, mode d'emploi
15/03/2011 |
min
Tunisie - Traversée vers Lampedusa, mode d'emploi
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Les côtes de Zarzis constituent désormais un haut lieu de la migration clandestine vers l’Europe. Plus de six mille personnes sont passées par là. Tarif : 2 000 dinars pour un autochtone et 4 000 dinars pour un journaliste. L’équipe d’une télé française aurait même payé 20 000 dinars pour filmer toutes les phases d’une traversée.
Les réseaux d’émigration clandestine n’agissent d’ailleurs pas dans la clandestinité à Zarzis. Il suffit que tu pointes dans un café et que l’on ressente ton intérêt pour ces traversées afin que des passeurs te proposent leurs services. Tout le monde est désormais passeur dans cette localité de 140.000 habitants dont près de la moitié est installée à l’étranger. Tous les citoyens connaissent les ficelles du métier et cherchent à en bénéficier en contribuant à l’une de ses phases.


« Tu veux faire partie de la traversée de ce soir ? C’est 2500 dinars ! », me demandait un jeune brun frôlant la trentaine qui vient d’entrer à ce petit café de Ogla (5 kms du centre-ville de Zarzis). Il a senti le journaliste. C’est à partir de ce petit port de mouillage avec ses belles villas mauresques louées dès mai aux touristes, que partent les sardiniers en bois chargés de clandestins, vers l’île italienne de Lampedusa.
Ce mécanicien, reconverti passeur, explique que « l’embarcation constitue le principal obstacle rencontré par les passeurs et les candidats à l’émigration ». « Les pêcheurs ne veulent certes pas se séparer de leur gagne-pain. Mais, il y a toujours des exceptions », affirme un vieux pêcheur rencontré au port de Ogla. « Les passeurs se rabattent généralement sur des propriétaires ayant des problèmes de crédits bancaires ou avides de gains rapides. Ils leur proposent des prix alléchants dépassant de 50% le coût réel du bateau. En cas d’accord, un contrat de vente dûment signé scelle ce transfert de propriété », explique-t-il.

Généralement, le passeur réunit le coût du bateau en demandant leur cotisation aux candidats au voyage. « Avec un tarif du passage de deux mille dinars, une cinquantaine de candidats est nécessaire pour réunir le prix de l’embarcation. Un bateau coûte aux environs de cent mille dinars, s’il s’agit d’un 16/17 mètres dont la puissance du moteur dépasse les 150 chevaux. De telles embarcations peuvent emporter de 80 à 120 personnes. D’autres embarcations peuvent dépasser les 400.000 dinars comme le Tayssir qui est arrivé le week-end dernier à Lampedusa avec près de 340 personnes à bord », précise encore ce passeur fier d’avoir « passé deux allemands le mercredi 2 mars ».
Un petit calcul montre clairement que le métier de passeur rapporte gros surtout si l’on parvient à ramener l’embarcation. Tout le monde parle de Raouf, le passeur ayant parvenu à faire le taxi. « Je suis arrivé avec mon embarcation au port de Lampedusa à la fin du mois de janvier. Les passagers sont descendus. Je me suis reposé pendant 24 heures et je suis reparti », explique-t-il. « Mais ceci n’est plus possible depuis car les Italiens détruisent désormais les embarcations », se reprend-il.

Raouf est capitaine de bord et mécanicien à la fois. Selon ses dires, il va s’installer en Italie après sa dernière traversée du samedi 5 mars. Il va travailler avec les Italiens. Pour lui, le passeur « ne gagne pas vraiment beaucoup d’argent. Beaucoup de monde se répartit le pactole réuni : les passeurs se mettent en groupe pour rassembler un nombre suffisant de candidats pour les grosses embarcations. Il ne faut pas, non plus, oublier les divers services offerts aux passagers. D’abord, l’hébergement dans des villas sur la côte de Zarzis jusqu’au jour du départ. Ensuite, le transport de leurs localités respectives jusqu’au lieu d’hébergement à Zarzis. Enfin, le transit via de petites embarcations de la côte jusqu’au grand bateau qui accoste au large à un kilomètre des côtes », laisse-t-il entendre.
Mais, de là à dire qu’il ne gagne pas assez d’argent, nul n’en est convaincu surtout que les calculs montrent que chaque passeur peut tirer au moins vingt mille dinars sur chaque traversée, si les passeurs se mettent à quatre pour organiser une traversée pour 100 personnes.

Fait paradoxal. Les gens à Zarzis ne parlent pas des risques encourus lors de cette traversée d’au moins 18 heures sur une embarcation de fortune. A ce propos, Sami, élève en première année âgé de 17 ans, pense que « rares sont les tentatives qui ont échoué » et que « l’enjeu vaut le jeu surtout que je vais garantir un bel avenir à l’étranger ». Il affirme pouvoir facilement dénicher un boulot. « Mes frères vont me mettre pendant deux années dans une école de formation professionnelle et mon diplôme va m’aider à trouver un bon emploi en France », souligne-t-il.
Du côté des passeurs, l’un d’eux compare son embarcation à n’importe quel autre moyen de transport. « Aucun trajet n’est exempt de risques. Il y en a toujours que l’on soit dans une voiture, un bateau ou un avion », précise-t-il. Il les trouve même moindres que les risques sur un avion : « En cas de panne, on peut nager. Alors que dans un avion, on est carrément déchiqueté ».

Par ailleurs, en dépit du risque encouru, plusieurs parents à Zarzis se permettent de vendre leurs bijoux ou leurs oliviers pour obtenir l’argent permettant à leurs enfants de partir en Europe. Ils disent « être sous la pression » et qu’ils « ont peur pour ces jeunes impatients de partir en Europe ». Lesquels jeunes le sont davantage depuis que les pays européens ne leur accordent plus de visas pour y accéder même s’ils ont des parents installés là-bas. « Mes parents sont installés en Suisse et on me refuse le droit de les rejoindre parce que j’ai dépassé les 18 ans », raconte Sami qui considère que « cette interdiction n’a rien d’humain » et affirme « sa détermination d’aller en Europe à n’importe quel prix ».
A notre interrogation sur les risques d’être intercepté en mer, les passeurs disent que : « seules quelques embarcations ont été arraisonnées depuis le 14 janvier ». « Le bateau Tayssir a été arraisonné il y a quatre semaines vers le port de Sfax et il a déjà refait sa route vers Lampedusa la semaine dernière avec plus de 300 personnes à bord. Une fois encore, les passagers ont menacé de s’immoler et le navire de l’armée nous a laissé partir », précisent-ils.

Fait insolent, les gens parlent à Zarzis d’une sorte de « service après-vente ». Il s’agit d’un remboursement en cas d’échec de la tentative. Les parents des jeunes dont le navire a percuté la vedette de l’armée le 13 février dernier ont rapporté « avoir recouvert chacun mille dinars parce que la traversée n’est pas parvenue à bon port ». Deux jeunes parmi les rescapés de ce navire affirment « leur détermination à recommencer la tentative jusqu’à la réussite », c’est dire tout l’engouement des jeunes de Zarzis de partir malgré les risques.
15/03/2011 |
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