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Location estivale, ce business qui échappe au fisc
23/06/2025 | 11:02
5 min
Location estivale, ce business qui échappe au fisc
Service IA, Business News

 

Chaque été, des milliers de logements changent de mains pour quelques jours ou semaines, dans un marché locatif en pleine effervescence. Mais derrière le boom se cache un phénomène révélateur : l'explosion d'une économie parallèle où le fisc est le grand absent.

 

Le soleil, la mer, les plages bondées… et les locations non déclarées. Chaque été en Tunisie, des milliers de logements sont mis en location sur les plateformes numériques ou par simple bouche-à-oreille. Le marché de la location estivale a pris une ampleur spectaculaire ces dernières années, porté par une forte demande locale et par la diaspora tunisienne.

Selon l'étude réalisée par le portail spécialisé Mubawab en juin 2025, les appartements représentent 67 % des recherches nationales sur le marché estival, et les villas avec piscine crèvent le plafond des prix. Le Cap Bon concentre à lui seul 67 % de la demande balnéaire, avec Hammamet Nord en tête, tandis qu'à El Kantaoui, les villas s'arrachent jusqu'à 1.750 dinars la nuitée. Djerba, Bizerte et Mahdia viennent compléter le classement des régions les plus prisées.

Cette flambée saisonnière reflète une double dynamique : d’une part, un engouement touristique mal encadré, et de l’autre, un secteur locatif entièrement déconnecté des règles fiscales. Car si les annonces affluent et que les prix grimpent, les recettes fiscales, elles, ne suivent pas.

 

Le marché estival : un eldorado pour les particuliers

Le marché est dominé par les particuliers qui mettent leur logement en location pour quelques jours ou semaines, souvent sans intermédiaire et sans aucune déclaration au fisc. C’est un business simple, sans contraintes administratives, qui rapporte gros : une villa avec piscine bien située peut générer jusqu'à 50.000 dinars en un seul été.

Les appartements de type S+1 ou S+2, plus abordables, permettent aux petits propriétaires de remplir leur logement toute la saison, avec des prix tournant autour de 135 à 450 dinars la nuit selon la localité. Hammamet, Kélibia, El Kantaoui, Midoun ou Rafraf affichent un taux de rotation élevé. La location saisonnière est ainsi devenue une activité à part entière pour des milliers de Tunisiens, souvent plus rentable que la location annuelle classique.

Mais cette rentabilité a un coût pour l’État. Les recettes ne sont pas déclarées, les revenus non imposés, et aucune réglementation ne vient encadrer ces flux. L’administration fiscale regarde ailleurs, concentrée sur les contribuables patentés qui, eux, sont tenus de justifier chaque millime.

 

Une manne qui échappe au fisc

Le décalage est flagrant. Alors que les contribuables dûment déclarés font l’objet de redressements, de contrôles et d’obligations de paiement, voire même de prison comme on l’a vu la semaine dernière avec Mehdi Ben Gharbia, une économie locative florissante se déploie en toute impunité. On paie en espèces, on signe rarement des contrats, et l’absence de trace facilite l’invisibilité fiscale.

Cette situation n’est pas marginale. Selon l’expert fiscal Mohamed Salah Ayari, membre du Conseil national de la fiscalité, le taux de fraude fiscale en Tunisie oscille autour de 50 %, ce qui représente un manque à gagner estimé à 23 milliards de dinars. Le secteur de la location estivale en constitue un segment emblématique : très rentable, mais complètement hors radar.

Dans sa récente intervention sur Diwan FM, M. Ayari a pointé l’iniquité du système : les salariés payent la majeure partie des impôts via la retenue à la source, pendant que d'autres, notamment ceux qui tirent profit d’activités parallèles comme la location touristique, passent entre les mailles du filet. Une distorsion qui creuse le déficit et alimente le sentiment d’injustice fiscale.

 

Un État impuissant ou complice ?

La tolérance des pouvoirs publics face à cette évasion fiscale soulève de nombreuses questions. Comment expliquer que l’administration fiscale n’ait mis en place aucun mécanisme de recensement ou de déclaration obligatoire des locations saisonnières, alors même que les sites et les groupes Facebook spécialisés regorgent d’offres visibles publiquement ?

La passivité est d’autant plus flagrante que l’encadrement de ce marché permettrait à l’État de diversifier ses recettes fiscales, de réguler les prix, et de protéger les locataires contre les abus. Mais rien n’est fait. Pendant ce temps, des propriétaires encaissent sans facture, sans impôts, parfois sans même déclarer l’existence du bien immobilier.

 

Un marché à deux vitesses, des prix hors sol

L’étude de Mubawab met en lumière une autre réalité : la polarisation croissante du marché locatif. Entre les appartements modestes de Mahdia ou Hammamet Sud à 135-170 DT/nuit, et les villas premium d’El Kantaoui ou Djerba Zone Touristique à 1250 voire 1750 dinars/nuit, l’écart se creuse. Le littoral tunisien devient un marché à deux vitesses, où seuls les plus aisés peuvent se permettre un confort optimal.

Cette inflation des prix ne semble rencontrer aucun frein. Pis, elle est encouragée par la rareté des biens, la forte demande des Tunisiens résidant à l’étranger, et l’absence de plafonnement. Le segment des villas avec piscine est devenu un véritable produit de luxe, prisé non seulement pour les vacances, mais aussi pour les locations d’événements privés (mariages, anniversaires, etc.).

 

Une dynamique hors sol, un encadrement absent

Le caractère informel du marché empêche toute tentative de planification territoriale ou d’intervention publique. Aucune norme ne régule les prix, la qualité des biens, ni la sécurité des locataires. Les abus sont légion : promesses non tenues, logements défraîchis, arnaques, dépôts de garantie non restitués. Les victimes n’ont souvent aucun recours, faute de cadre légal.

Le développement du tourisme interne et l’essor des réseaux sociaux ont rendu ce marché encore plus chaotique, et paradoxalement, encore plus toléré. Le fisc, pourtant omniprésent quand il s’agit d’entrepreneurs dûment enregistrés, semble soudain aveugle face à cette économie de l’été.

 

Une fuite de recettes, un défi pour demain

Dans un pays où l’État peine à réduire son déficit et où les recettes fiscales stagnent, laisser un pan entier de l’activité économique se développer sans aucune captation fiscale relève au mieux de la négligence, au pire de la complaisance.

 

L'encadrement du marché locatif saisonnier ne relève pas d'une utopie technocratique. Il est non seulement possible, mais nécessaire. Il suppose une volonté politique, un minimum de contrôles, et une réforme de l’assiette fiscale qui ne repose plus uniquement sur les revenus salariaux et l’imposition désarmante des PME.

Car à défaut de gouverner, faut-il encore observer, réguler, et surtout, prélever.

 

Maya Bouallégui

 

Cliquer ici pour lire l’intégralité de l’étude de Mubawab

23/06/2025 | 11:02
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Commentaires
BOUSS KHOUK
POISSONS MORTS REJET'?S PAR LA MER (( SOLIMAN ))
a posté le 23-06-2025 à 16:35
ça a commencé dans la région de MONASTIR , voilà maintenant à SOLIMAN , et encore une fois V'?RIFIER L'ORIGINE DE CETTE POLUTION D'ORIGINE INDUSTRIELLE , il suffit de suivre la trace !! ET SANCTIONS IMM'?DIATES CONTRE SES ASSASSINS !!!! et épargnez nous ==== l'augmentation de la température et les autres excuses ==== , les pollueurs doivent payés le maximum
Sherlock Homss
Indics ! A vos marques !
a posté le 23-06-2025 à 16:11
Eh bien, le fisc peut trouver la parade et rémunérer des indicateurs qui lui rapporteraient des informations "sonnantes et trébuchantes" avec possibilité, cerise sur le gâteau, de confiscation totale de la propriété concernée en cas de non déclaration grosse comme une maison (chèrement louée)
Notre chère police, notamment celle des m'?urs et de la lutte contre le trafic de stupéfiants devraient également s'intéresser aux "locations sauvages" prétextes à des "virées" en week-ends ou hebdomadaires pour organisations de "partouzes" assaisonnées de "pilules roses"...
Parce que, dès que l'on part du principe que "qui vole le fisc, vole un b'?uf", tout est permis dans cette nouvelle "zone d'ombres"...
Alya
Que peut faire ' état
a posté le 23-06-2025 à 13:58
Oui peut faire l état face à un état ou la culture fiscale n existe pas .Dans d autres pays civilisés, tout ce marche est contrôle . En Tunisie, tout se paye en liquide . Même, les CB ne sont acceptés que pour des sommes modestes justifiant l existence d une patente . Pour des sommes supérieures, vous êtes pries de traverser la rue , de trouver un distributeur et de revenir avec le liquide de 500dt
Ben Haffa Hamadi
Idem pour les maisons d'hôtes et gites ruraux
a posté le 23-06-2025 à 11:56
Le même phénomène est aussi vrai pour l'hébergement alternatif touristique : surtout chambres d'hôtes et gites ruraux.
Près de 2500 établissements opèrent sur le marché (tous présents sur le net) alors que 110 seulement sont agrées par l'Office National du Tourisme Tunisien. Cela est surtout dû aux contraintes législatives, bureaucratiques, fiscales...
Cela crée bien sûr une concurrence très déloyale pour les établissements agrées qui ont des charges plus élevés. Les hébergements illégaux bradent souvent les prix
L'Etat dépassé fait dodo et laisse faire comme d'habitude