Des Trabelsi et des terroristes
Belhassen Trabelsi, frère de l’ancienne première dame Leila Ben Ali, et l’une des figures de l’ancien régime était l’invité phare d’une émission politique à une heure de grande écoute. Appelé à s’exprimer via Skype d’une destination inconnue qu’il n’a pas souhaité divulguer, il s’est offert une tribune en or face à l’opinion publique tunisienne.
Belhassen Trabelsi serait innocent des accusations de corruption tenues contre lui. Il serait même une victime. Victime d’une ségrégation ciblant les Trabelsi, victime d’une oppression qui veut que tous les caciques de l’ancien régime doivent payer pour les autres.
Ceci à l’entendre seulement. Mais rien n’est aussi simple.
La journée du 14-Janvier et les événements qui l’entourent et qui ont fait ce qui s’est passé ce jour-là, sont toujours aussi flous et les choses sont, elles aussi, floues dans l’esprit des Tunisiens.
La question des Trabelsi a été traitée à l’époque tout comme on traite aujourd’hui celle des terroristes tunisiens combattant à l’étranger. Tous bons pour la casse. Les dossiers ne sont pas toujours bien constitués, les accusations sont floues, mais le sentiment national est le même. Il s’agit d’ennemis de l’Etat. Des ennemis à abattre sans ménagement.
Dans le collectif national, autant l’un que l’autre des deux chocs est difficile à surmonter et reste bien ancré dans les mémoires. Les terroristes qui ont tué plusieurs des nôtres et qui ont fait du mal à l’international, écorchant une image qu’on peine à reconstruire. Et les Trabelsi, et autres figures du clan Ben Ali et proches, qui ont pillé les caisses de l’Etat, persécuté plusieurs pans de la société et fait régner une corruption qui fait qu’aujourd’hui encore, le pays est au plus bas. Dans les deux cas, le sentimentalisme prime. Un sentimentalisme justifié certes et compris mais un sentimentalisme qui nous leste, qui nous tire vers le bas et nous empêche d’avancer. Des députés affichent des pancartes au lieu de voter des lois et des gens se retrouvent, des années, interdits de voyage et emprisonnés dans des conditions inhumaines en attendant leur procès.
Posons-nous les bonnes questions. Que faire de ces gens-là ? S’ils ont accusés de tous les torts et que nous ne croyons plus en une justice libre et indépendante pour nous rendre ce qui est à nous, que faut-il faire dans ce cas-là ?
La corruption qui a régné des années durant, continue encore à être l’une des habitudes auxquelles nous nous sommes gentiment accommodés. L’institution tunisienne est corrompue. La corruption règne dans plusieurs secteurs et nous l’alimentons chaque jour. Parce que c’est plus simple, parce qu’il est plus facile de donner un pot de vin que de mériter ce que l’ont reçoit. Ceci n’est pas près de changer. Pas avec la mentalité ambiante. Cette corruption alimente, elle aussi, le terrorisme qui prend racine dans la misère, la marginalisation et l’ignorance. Nous l’alimentons chaque jour.
Et pourtant, on continue à accuser ceux qui ont bien sûr gangréné l’Etat et vidé ses caisses de tous les maux. On continue aussi à considérer les terroristes construits par ce même Etat comme des sous-hommes et nous pensons qu’il suffit de les éliminer, tout simplement.
Autant l’une que l’autre des questions gagnerait à être traitée de la manière la plus réfléchie possible, loin du sentimentalisme qui n’apporte rien de bon. Ce sentimentalisme qui fait que les persécutés d’hier deviendront les persécuteurs de demain. Qui fait qu’on met tous les gens dans le même panier et que même si certains sont réellement innocents, ils doivent payer pour les autres et ils méritent d’être privés de leurs droits élémentaires.
Les deux faits sont avérés. Autant des figures de l’ancien régime se sont remplies les poches au détriment d’une classe de plus en plus marginalisée et opprimée, autant les terroristes ont tué des gens par centaines et le feraient encore si on leur en donnait l’occasion. Mais faut-il les conduire à l’exil ? Faut-il les priver de leurs droits élémentaires et humains et retomber, encore, dans le cercle vicieux de la haine et de la rancœur ? Quand sera-t-il enfin temps de poser les véritables bases de l’Etat que nous voulons construire pour demain ?