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Ahmed Souab, un mois en prison et plus libre que jamais
22/05/2025 | 10:00
7 min
Ahmed Souab, un mois en prison et plus libre que jamais
Service IA, Business News

 

La chambre d’accusation se penche aujourd’hui sur le dossier de l’ancien juge Ahmed Souab, en prison depuis un mois. Sa libération relève du miracle, le régime n’entend pas libérer un oiseau si indépendant et si populaire.

 

 

Ce jeudi 22 mai, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis se penche enfin sur le dossier d’Ahmed Souab. Un mois après son arrestation, ses proches, ses soutiens et ses avocats attendent un miracle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’espoir d’une libération relève désormais de l’irrationnel. Le régime a tout intérêt à le maintenir enfermé, à garder sous clef un homme aussi populaire, aussi indépendant, aussi irréductible. Depuis le début, cette arrestation porte la marque du politique. Et si l’arrestation est politique, alors la libération ne peut l’être qu’autant — ce qui la rend hautement improbable. La question, posée par tous, reste suspendue à l’audience du jour : pourquoi arrêter un tel élément perturbateur si c’est pour le libérer un mois plus tard ? La symbolique est trop forte. Le pouvoir le sait. Et c’est précisément ce qui rend cette journée si lourde d’attente… et de résignation.

 

Un mois en prison pour une métaphore

Le 21 avril 2025, à l’aube, Ahmed Souab est arrêté à son domicile. Ancien magistrat, avocat de renom, militant des droits humains, figure centrale du droit administratif tunisien, il est embarqué dans une voiture banalisée, puis placé en garde à vue. Le motif ? Une déclaration métaphorique lors d’une conférence de presse improvisée, où il affirme que le juge chargé du « complot contre l’État » a « le couteau sous la gorge », tout en mimant le geste de la main. Une image. Rien de plus. Une figure de style, que le régime a choisie d’interpréter littéralement. Il s’en est servi comme prétexte pour accuser Me Souab… de terrorisme.

Dès le lendemain, la stupeur gagne l’opinion. Puis la colère. Car personne n’est dupe. Ni les magistrats révoqués, ni les intellectuels, ni les militants des droits humains, ni même les simples citoyens. Tous savent qu’il ne s’agit pas d’une affaire judiciaire, mais d’une opération politique. Ahmed Souab est arrêté parce qu’il gêne, parce qu’il dit la vérité, parce qu’il est respecté. Et cela, le régime ne le supporte pas.

 

Le parloir comme dernier souffle démocratique

Alors que la chambre d’accusation doit statuer ce jeudi 22 mai sur la légalité de son arrestation, les soutiens d’Ahmed Souab ne veulent pas rester dans l’attente passive d’un verdict qu’ils pressentent déjà comme défavorable. Pour conjurer l’impuissance, ils transforment la rue en forum, la douleur en création. Un rassemblement symbolique, baptisé “Le Parloir”, se tiendra demain, vendredi 23 mai, à 18 heures, sur la place Mohamed Brahmi, rue de Palestine. Deux noms des plus symboliques chargés de mémoire et de combat. Là, à l’air libre, ils créeront un espace de rencontre, d’expression, de résistance douce mais ferme.

L’appel lancé par ses proches est simple, presque tendre : « Ahmed aimerait que vous lui rendiez visite au parloir ». Il ne s’agira pas d’une manifestation classique, mais d’un moment suspendu, à mi-chemin entre l’acte politique et le geste artistique. Guitares, slams, poèmes, coups de pinceau ou signatures : chacun est invité à se réapproprier la parole confisquée, à faire exister symboliquement celui que l’on tente d’effacer.

Car c’est bien là l’enjeu : ne pas laisser le silence s’installer. Ne pas permettre que l’opinion publique s’habitue à la disparition des voix critiques. Ne pas céder à la résignation face à une justice qui n’a plus de robe que le nom. Le parloir devient ainsi une réponse collective à la question posée aujourd’hui à la chambre d’accusation : si le régime choisit de garder Ahmed Souab en prison, alors il devra aussi enfermer les milliers d’hommes et de femmes qui, comme lui, rêvent encore d’une Tunisie digne.

Cette veillée civile est tout sauf folklorique : c’est un sursaut citoyen, un baroud d’honneur, un dernier souffle démocratique dans un pays qui retient sa respiration depuis trop longtemps.

 

La rue comme seule réponse

Avant cela, déjà, les mobilisations se multiplient. Le 25 avril, plus de deux mille personnes défilent du syndicat des journalistes à Lafayette jusqu’à l’avenue Habib Bourguiba au centre-ville, scandant des slogans contre la répression, contre les prisons pleines, contre le régime. Le fils d’Ahmed Souab, Saeb, s’empare du micro : « Ce sont eux qui ont peur. Aujourd’hui c’est mon père, demain ce sera vous ! ». Le cortège est stoppé au niveau du croisement de la rue de Marseille et de l’avenue Habib Bourguiba, à quelques mètres du ministère de l’Intérieur. Mais l’essentiel est dit : la peur a changé de camp.

Le 1er mai, une autre marche démarre devant le Tribunal administratif, en présence de la famille, d’anciens collègues, de syndicalistes de l’UGTT. C’est une marche sur les pas du juge juste, du militant intransigeant, de l’homme qui a toujours défendu l’État de droit. Les lieux ne sont pas choisis au hasard : ils racontent la Tunisie qu’Ahmed Souab a servie toute sa vie, avec rigueur, humanité et courage.

 

Depuis sa cellule, une parole plus libre que jamais

Deux lettres d’Ahmed Souab adressées depuis la prison ont circulé durant ce mois de détention. La première, datée du 24 avril, est un chef-d’œuvre de lucidité et de dignité. Il y écrit qu’il n’a jamais appelé à la violence, qu’il paie le prix de ses convictions, et qu’il refuse toute forme de compromission : « Je ne me suis jamais connu autrement que ferme dans mes positions. » Il y tourne en dérision, avec une ironie raffinée, ceux qui ne comprennent ni l’allégorie ni le second degré, qu’il décrit comme « une bande à peine capable de lire ». Il remercie les journalistes, les avocats, les syndicalistes. Et même les supporters du Stade Tunisien, son club de cœur.

Sa seconde lettre, transmise par son fils le 14 mai, est encore plus cinglante : « Ce sont eux qui ont peur, pas nous ! Leur prison ne pourra jamais contenir les trois mille personnes qui ont manifesté ». Il appelle chacun à résister, à sa manière, pour sortir de la grande prison qu’est devenue la Tunisie.

 

L’affaire qui scandalise les défenseurs des droits humains

Sur la scène internationale, la mobilisation prend aussi forme. Avocats sans frontières exprime sa vive inquiétude et demande sa libération immédiate, dénonçant le ciblage systématique des avocats militants. Puis vient Amnesty International, qui parle de « violation flagrante de la liberté d’expression ». Pour l’organisation, le message du pouvoir est limpide : toute voix critique est une cible légitime, et exprimer une opinion devient, en Tunisie, un motif d’incarcération.

Amnesty appelle les autorités tunisiennes à respecter leurs engagements, notamment ceux du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mais au sommet de l’État, ces engagements n’ont plus qu’une valeur décorative.

 

Un homme, une conscience, un symbole

Ahmed Souab n’est pas un opposant classique. Il n’est même pas un militant au sens partisan du terme. Il est une voix morale, un juriste rigoureux, un homme au verbe rare, dont les tribunes publiées dans Business News ont toujours tranché par leur finesse, leur modération, leur clarté.

Son arrestation est une opération improvisée, désastreuse, grotesque. Le pouvoir a cédé à ses partisans les plus zélés, qui ont crié au crime sur les réseaux sociaux. Il a envoyé la police, perquisitionné illégalement son étude, arrêté son fils, confisqué les téléphones de la famille. Tout cela pour un geste. Tout cela pour une image. Tout cela pour faire taire ce que la Tunisie a enfanté de plus beau.

 

Une arrestation de trop

Mais au lieu d’effrayer, cette arrestation a rassemblé. Au lieu de faire taire, elle a révélé. Au lieu de dissimuler les échecs du pouvoir, elle les a éclairés. Le régime a cru détourner l’attention des scandales de Mezzouna et du procès du complot. Il n’a réussi qu’à exposer sa fébrilité. Il a pensé que la page Facebook d’un chroniqueur suffirait à représenter le peuple. Il s’est trompé. Le peuple, ce sont ceux qui signent la toile du Parloir, ceux qui marchent sur l’avenue Bourguiba, ceux qui crient sans haine mais avec fermeté : « Libérez Ahmed Souab ».

Avec cette arrestation, le pouvoir a franchi une ligne rouge. Il ne s’en prend plus seulement aux opposants. Il enferme le droit, piétine l’intelligence, emprisonne la morale. Il oublie une chose : à force de frapper ceux qui éclairent le chemin, on finit par dévoiler sa propre obscurité.

Rendez-vous demain au parloir symbolique pour dire non à l’arbitraire et l’injustice !

 

Maya Bouallégui

22/05/2025 | 10:00
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