
Par Hella Ben Youssef*
Il est des silences qui durent trop longtemps. Et des visages que l'on refuse obstinément de regarder. Celui des ouvrières agricoles tunisiennes appartient à cette invisibilité chronique, à ce continent oublié de la dignité. Chaque matin, dans les campagnes de Kairouan, Jendouba ou Sidi Bouzid et ailleurs, elles montent dans des camionnettes défraîchies, entassées comme des marchandises, pour aller cueillir, planter, sarcler. À l'aube, dans la poussière ou le givre. En silence. Sans contrat. Sans assurance. Sans droits.
Ces femmes nourrissent la Tunisie. Et pourtant, elles n'ont même pas de place dans ses statistiques officielles. Elles ne demandent pas la charité. Elles veulent simplement exister. La pandémie de Covid-19 a amplifié leur dénuement. La guerre en Ukraine l'a rendu plus cruel encore. Les prix ont explosé. Le blé s'est raréfié. L'eau aussi. Et avec le climat qui s'affole, ce sont elles qu'on envoie toujours plus loin chercher du bois, porter des bidons, affronter les glissements de terrain. Leur fatigue n'est plus seulement sociale, elle est devenue structurelle et climatique.
Des femmes rurales piégées
Depuis des années, les rapports s’accumulent. Les études s’enchaînent. Les stratégies se succèdent. Mais rien ne bouge vraiment. Et les femmes rurales restent piégées dans un secteur informel, sans couverture sociale, sans droits économiques réels. Les chiffres font froid dans le dos : 500.000 femmes rurales, 47 % de travailleuses occasionnelles, 76 % sans couverture sociale. Un salaire moyen de 220 dinars par mois. 1 % propriétaires d'une terre agricole. 6 % d’un logement. Et pourtant, elles continuent. Par dignité. Par nécessité, elles travaillent dans l’agriculture, l’artisanat, les circuits courts. Mais toujours sans droits, sans voix, sans perspectives. Ceci nous amène à proclamer que les droits fonciers des femmes constituent une urgence politique.
L’histoire nous apprend que les civilisations africaines ont toujours accordé une place centrale à la terre. Mais les femmes en ont été exclues, considérées comme “édificatrices de la maison des autres” mais jamais la leur. Aujourd’hui encore, cette exclusion patrimoniale persiste. Sans terre, il n’y a pas d’autonomie réelle. Elles en sont exclues, comme si leur labeur ne valait pas héritage. Il est temps de briser ce cycle féodal. De revoir le code foncier. De rendre la propriété agricole accessible. Car sans terre, il n'y a pas d'autonomie. Pas de choix. Pas d'émancipation.
C’est des réformes courageuses dont nous avons besoin et non de lois encore et encore qui finissent dans les placards et applicables au bon vouloir du ministère ou du gouvernement !
Le 7 mai 2025 : date de rupture ! Faisons de ce rendez-vous un tournant. Celui où l’on cesse d’anesthésier nos consciences. Celui où l’on choisit la vérité, l’action et la justice. Mais la terre n'est pas le seul lieu d'injustice. Le transport en est un autre. Tragique. Répété. Indigne.
Depuis 2015, plus de 60 femmes sont mortes, 500 blessées, pour avoir voulu travailler. Pour avoir eu besoin de nourrir leurs enfants. Et nous regardons ailleurs. Des camions sans ceinture, des routes sans contrôle, des employeurs sans remords, des autorités sans réponses innovatrices, applicables et courageuses. Le transport agricole n'est pas une anecdote logistique. C'est une violence institutionnelle s’ajoutant à toutes les autres violences. Rajoutant à cela, des “samsars” (intermédiaires) non encadrés. Des employeurs impunis. Des ministères en difficulté face à un système précaire, opaque, mortel. Il est temps de criminaliser les véhicules dangereux, de créer un réseau de
transport sécurisé, de professionnaliser ce secteur et de trouver un terrain d’entente avec tous les syndicats et les professionnels du transport. Trop de vies ont été perdues. STOP
De l’assistanat à la co-construction
Et pourtant, elles s'organisent. Lentement, mais fermement. Des coopératives naissent. Des syndicats locaux voient le jour. Des solidarités s'échafaudent. Quand l'État recule, elles avancent. Alors oui, nous connaissons les solutions. Nous les écrivons depuis des années. Mais qui a le courage de les appliquer ? Pour finir un changement de paradigme aiderait à passer de l’assistanat à la co-construction. Intégrer les femmes rurales dans toutes les politiques publiques. Créer pour elles des espaces de décision où leur voix compte. Revoir les lois sur le travail rural, encadrer le métier de transporteur agricole, créer un fonds d'indemnisation pour les victimes, rendre effectives les coopératives féminines, créer une base de données nationale et pourquoi pas intégrer les femmes rurales dans les politiques publiques. Ce n'est pas un luxe. C'est une dette morale. Une priorité politique. Une question de justice.
Parce que derrière chaque panier de figues, chaque bouquet de romarin vendu sur les routes, il y a une histoire de femme. De courage. De fatigue. Mais aussi d'espoir. Comme cette femme du Kef qui m'a dit, droits dans les yeux : « On ne veut plus survivre. On veut vivre. Et que nos enfants vivent mieux que nous. » Ce cri est une boussole. Il nous oblige. Il nous appelle à rompre avec l’inaction. À être solidaire de la société civile, du « Mouvement des voix des travailleuses agricoles ». Le 7 mai 2025, ne devrait pas être une journée de plus, mais le début d'un mouvement. Celui de la vérité. De la justice. Et de la dignité retrouvée.
"Lorsque le peuple veut la vie, force est au destin de répondre."
Abou El Kacem Chebbi
- *Hella Ben Youssef est militante pour la justice sociale et l’égalité de genre
*Vice-Présidente de l’Internationale Socialiste des Femmes

'? l'aube, dans la poussière ou dans le givre, elles partent cueillir, planter, sarcler. En silence. Sans contrat. Sans assurance. Sans droits.
Honte à la Tunisie. Honte aux Tunisiens. Honte aux responsables qui n'ont même pas eu le courage de fusiller un seul de ces passeurs d'ouvrières.
Je ne suis pas un homme émotif. Mais en écrivant ces lignes, j'ai les larmes aux yeux. »
-->
moi, je dirais plutôt: pour que la stratégie nationale de l'autonomisation économique des femmes rurales réussisse, il est indispensable de donner à la femme rurale ouvrière prolétaire une formation professionnelle (couturière, infirmières, institutrice, etc., etc., etc.). C'est grâce à l'éducation et la formation professionnelle que la femme rurale prolétaire prendra conscience de sa dignité de femme et de prolétaire.
@MAdame Hella Ben Youssef, je suis de votre avis : "Ces femmes nourrissent la Tunisie. Et pourtant, elles n'ont même pas de place dans ses statistiques officielles."
-->
- il est urgent de faire rentrer la femme rurale dans les statistiques afin que la stratégie nationale de l'autonomisation économique des femmes rurales devienne/soit une réussite.
--> On ne pourrait jamais améliorer les conditions de travail de le femme rurale sans un fondement empirique / statistique concernant la femme rurale même.
--> d'où la nécessite d'engager le bureau de travail en tant qu'intermédiaire entre les ouvrières agricoles et les propriétaires des terres agricoles: afin de collecter entre autres des donnés empiriques...
Quelques idées encore:
Il est temps de permettre à chaque femme rurale d'avoir une carte d'identité nationale afin qu'elle puisse profiter de son droit de vote. Sinon à quoi ça sert l'élargissement du droit de vote aux femmes, si la femme rurale est exclue de ce privilège! Il est ainsi temps de garantir les droits politiques pour les femmes rurales, et ceci en lui donnant la possibilité de voter et de choisir les parlementaires qui créent les lois auxquelles elles doivent obéir --> afin que ces lois garantissent à la femme rurale le droit à la qualification et à la formation.
Je plaide l'égalité des salaires, la journée de huit heures, le repos hebdomadaire, un congé et des allocations de maternité et l'admission des femmes rurales dans les syndicats.
Il n'y a pas de données empiriques (et ainsi des statistiques) concernant la répartition des différents métiers de la femme rurale, il est temps de différencier entre la femme rurale paysanne et la femme rurale ouvrière prolétaire qui était auparavant paysanne et qui a quitté la terre!
il est urgent de faire rentrer la femme rurale dans les statistiques afin que la stratégie nationale de l'autonomisation économique des femmes rurales devienne/soit une réussite.
Je voudrais rappeler que la femme rurale prolétaire est surexploitée, condamnée à un travail non qualifié et sous-payé. Elle reçoit souvent un salaire inférieur de moitié à celui des hommes, elle est la première au chômage en cas de crise. Elle subit parfois le chantage sexuel des autres ouvriers et doit éventuellement, pour survivre, supporter l'humiliation.
Pour que la stratégie nationale de l'autonomisation économique des femmes rurales réussisse, il est indispensable de donner à la femme rurale ouvrière prolétaire une formation professionnelle (couturière, infirmières, institutrice, etc., etc., etc.). C'est grâce à l'éducation et la formation professionnelle que la femme rurale prolétaire prendra conscience de sa dignité de femme et de prolétaire.
Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien Résident à l'étranger
PS: la même base de calcul du salaire pour les hommes et pour les femmes pour un travail égal ou d'égale valeur
-->
Il y a quelques temps un homme d'affaires français voulait produire des chaussures à Tazarka. Il a commencé d'abord par donner une formation à ses nouveaux employés (en home-office) . Il les a réunis dans une grande salle à la commune de Tazarka et il leur a montré les techniques de la fabrication des chaussures d'une façon artisanale (j'étais parmi les présents, j'avais 17 ans en ce temps-là). Il nous a fourni la formation nécessaire pour assurer la qualité du travail. Puis, il a introduit une nouveauté dans notre monde rural, un système de salaire différentiel aux pièces. On recevait une somme fixe par pièce produite. Puis, cet homme d'affaires nous payait même plus cher car on respectait les normes qu'il nous a fixées pour la production (encore plus de motivation afin de fournir un travail de qualité). Ce Monsieur, venu de l'étranger, a révolutionné notre monde rural en introduisant la même base de calcul du salaire pour les hommes et pour les femmes pour un travail égal ou d'égale valeur. C'était un bouleversement socio-culturel dans notre petit village où les femmes gagnaient beaucoup moins et travaillaient beaucoup plus sur les champs des autres.
Quelle honte.
Et après ils viennent nous parler de l'islam. Une honte
Tous les ouvriers et encore des cadres et leur employeurs malfaiteurs et de bonne fois nul n'est en règle sur tous le territoire.
Il faut tous simplement un code de conduite général a exiger ou autres méthodes,et non pas colmater la situation a chaque incident
Parce que pendant ce temps, les hommes sont au café.
C'était le cas de ma femme, avant qu'elle épouse le francais de passage. Depuis, bizarrement la famille a un autre regard sur Elle.
L"explication a un nom: euros.
Quelle honte...