Fonction publique : Les chiffres ne mentent pas !
Les chiffres sont plus éloquents que tous les mots et une fois de plus l'Institut national des statistiques (INS) vient de le prouver en publiant un rapport intitulé "Caractéristiques des agents de la fonction publique et leurs salaires 2011-2015" qui schématise avec des données précises et claires l’évolution du nombre de fonctionnaires et de leur masse salariale durant la période 2011-2015. Focus.
Depuis la révolution, les problèmes de budget de l’Etat n’ont pas cessé d’empirer, à cause –et tout le monde est d’accord sur ce point- de la charge importante de la masse salariale de la fonction publique. 7 ans après la révolution, nous commençons tout juste à collecter les fruits de la politique publique de recrutement massif qui a été adoptée par les différents gouvernements qui se sont succédé, notamment de la Troïka, et qui se solde aujourd’hui par des augmentations des prix qui touchent absolument tout, pour justement payer les salaires de ces fonctionnaires, y compris président, députés et ministres. Des politiques populistes de l’autruche qui voulaient étouffer les clameurs du peuple et ses revendications en termes d’emploi et de vie digne, sans se casser la tête, sans de vraies solutions aux problèmes qui se posent et sans engager les réformes qui s’imposaient et s’imposent toujours. Pire, aujourd’hui le gouvernement est amené à mettre en place une stratégie de restructuration et de départ anticipé à la retraite des agents pour assainir une fonction publique malade et inefficace, et apurer les comptes de l’Etat, qui ne pourront supporter davantage un poids aussi important, sans qu’il y ait derrière un travail effectif et un service fourni.
Ainsi, et selon le document de l’INS qui exploite le fichier du Centre national de l’informatique des agents de la fonction publique, cette dernière a employé 604,2 mille salariés en 2015, contre 444,9 mille salariés en 2011. Un chiffre qui a évalué de 35,8% (159,3 mille personnes en plus).
Le nombre de recrutement le plus élevé de la période étudiée a été réalisé en 2012 (88,2 mille salariés en plus), soit plus de la moitié de l’ensemble des recrutements effectués sur l’ensemble de cette période. Il s’agit de recrutements réalisés sous le règne de la Troïka. Sans oublier, les 7.616 personnes qui ont bénéficié de recrutements exceptionnels en 2013 dans le cadre de l’amnistie générale, toujours sous la même gouvernance.
Résultat des courses, en Tunisie, le nombre de fonctionnaires dépasse les moyennes mondiales : 84 agents pour les 1.000 habitants contre 35 et même 20 agents pour les 1.000 habitants pour les autres pays du monde.
La majorité de l’effectif sont des fonctionnaires. Ils représentent 78,6% des agents de la fonction publique, pour 17,8% d’ouvriers et seulement 3,6% contractuels. La répartition des fonctionnaires selon la catégorie en 2015 montre que 259,6 mille font partie des catégories A1 (20,5%) et A2 (34,2%), ce qui donne un taux d’encadrement de 54,7%. La catégorie D ne représente que 4,9% du total des fonctionnaires. La catégorie A étant le grade le plus élevé et D le plus bas.
L’étude indique que l’effectif de la catégorie A2 a connu une remarquable augmentation, soit une amélioration de 86,12% par rapport à 2011. De même pour la catégorie A1, ce nombre a enregistré une hausse d’environ 45,22% par rapport à 2011. Alors que le nombre des fonctionnaires de la catégorie A3 a baissé de 30,70%.
Cette mauvaise gestion et ces recrutements massifs ont eu un coût très élevé, que les Tunisiens devront continuer à payer les prochaines années.
En effet, en se référant aux différentes Lois de finances (sans tenir compte des Lois de finances complémentaires), la rubrique rémunération publique est passée de 7,29 milliards de dinars en 2011 à 11,2 milliards de dinars en 2015 (+53,67% par rapport à 2011). Elle est actuellement de 14,75 milliards de dinars en 2018 (+102,44% par rapport à 2011). La masse salariale dans le budget de l’Etat a, donc, plus que doublé en 7 ans.
Ce recrutement a été accompagné, sous la pression de l’UGTT et celle de la rue, d’augmentations salariales, alors qu’en parallèle, la productivité baissait à vue d’œil ! Les grèves se sont enchainées pendant ces 7 ans et le plus souvent pour revendiquer des augmentations, des primes, des avantages, et … moins de travail. Oui, depuis la révolution, les fonctionnaires travaillent moins. Outre les retards, l’absentéisme et les arrêts de travail pour maladie qui ont augmenté, on est passé de la semaine à 6 jours à la semaine de 5 jours, donc à moins d’efficacité, en plus de la séance unique qui s'est rallongée depuis que l’été et ramadan se succèdent. D’ailleurs, une étude statistique réalisée par l’Association tunisienne de lutte contre la corruption affirme que le temps réel de travail passé par un fonctionnaire tunisien ne dépasse pas les 8 minutes par jour, soit 105 jours de travail par an.
Or, les salaires du public ont fortement augmenté ces dernières années, les chiffres publiés par l’INS à l’appui. Le salaire brut moyen mensuel a atteint 1.388,9 dinars en 2015 contre 1.127,5 dinars en 2011, une augmentation de 23,18% en 5 ans (+261,4 dinars). L’augmentation moyenne la plus importante a été effectuée en 2013, toujours sous la Troïka !
Le salaire brut moyen mensuel des fonctionnaires a progressé pour atteindre 1.545,4 dinars en 2015 contre 1.275,9 dinars en 2011 (+21,12%). Il a évolué beaucoup plus pour les ouvriers (+33,68). Leur salaire brut moyen mensuel passant de 660 dinars en 2011 à 882,3 dinars en 2015.
L’analyse détaillée des salaires par catégorie permet de constater que le salaire brut moyen de la catégorie C a enregistré en 2015 l’évolution la plus favorable par rapport à 2011 (+40,45%, soit 306,8 dinars en plus), suivi par la catégorie B (+33%, soit 292,5 dinars en plus), la catégorie C (+29,92%, soit 244,9 dinars en plus), la catégorie A2 (+17,67%, soit 230,1 dinars en plus), la catégorie A3 (+16,65%, soit 186,7 dinars en plus) et la catégorie A1 (14,38%, soit 296 dinars en plus).
Par tranche de salaire, le salaire mensuel brut a bien évolué depuis 2011. En effet, seul 0,3% des fonctionnaires touchent moins de 700 dinars (contre 3,2% en 2011). 60,2% des fonctionnaires sont rémunérés entre 1.100 et 1.700 dinars (contre 45,5% en 2011) et 23,4% touchent plus de 1.700 dinars (contre 15% en 2011).
Pour les ouvriers, 50,1% sont rémunéré entre 800 et 1.100 dinars (contre 5,7% en 2011) et 44,3% entre 600 et 800 dinars (contre 62,7% en 2011). 4,3% touchent plus de 1.100 dinars (contre 0,9% en 2011).
Ces chiffres très éloquents prouvent le gap entre la théorie et la pratique. Depuis la révolution, l’effectif a fortement augmenté. Il en est de même pour les salaires. En parallèle, l’inflation est aussi montée en flèche, contre un pouvoir d’achat qui a dégringolé, en partie à cause de ces augmentations salariales non justifiées, la productivité ayant baissé au lieu de s’améliorer. Le résultat a été constaté dans la Loi de finances 2018 : hausse des divers droits, impôts et taxes qui s’est soldée par une augmentation générale des niveaux des prix.
Des réformes structurelles s’imposent et le chantier de la fonction publique devient le plus urgent, pour arrêter cette hémorragie du budget de l’Etat et mettre fin aux pressions fiscales subies par les salariés et les entreprises, qui sont en train de tuer à petit feu notre économie nationale.
Imen NOUIRA