
En Tunisie, la vérité ne se cherche plus dans les tribunaux, mais sur les plateaux de télévision inféodés. Le procès des détenus politiques accusés de complot contre la sûreté de l’État ne s’est pas encore ouvert que le verdict est déjà rendu.
On l'a décidé : coupables. Coupables avant même d’être jugés, coupables avant même que la défense puisse plaider, coupables avant même que le moindre élément ne soit débattu. Pourquoi s’embarrasser de la justice quand la sentence est prononcée avant l’audience ?
Le ministère des Affaires étrangères s’en est même fendu d’un communiqué balayant toute accusation d’atteinte aux libertés évoquée par l’ONU. Argument massue ? Ces gens ont comploté contre l’État. Point final. Circulez, il n’y a rien à voir ! Exit la présomption d’innocence, exit le rôle de la justice, exit même l’apparence d’un procès équitable. Une déclaration qui aurait pu être signée par un procureur aux ordres, sauf que cette fois, c’est l’appareil diplomatique lui-même qui enterre la présomption d’innocence. La séparation des pouvoirs ? Un concept désuet pour un régime qui n’en a cure.
Censure à géométrie variable
Ce n’est pas tout. Non content de prononcer le verdict avant l’heure, le pouvoir avait veillé à ce que l’affaire reste confinée dans le silence. Interdiction de traiter les détails du dossier, même après la clôture de l’instruction. Les médias doivent se taire, les journalistes doivent détourner le regard, et toute tentative de questionnement est immédiatement réprimée. Rien ne doit troubler le récit officiel. Une chape de plomb s’est abattue sur ce dossier, empêchant toute contre-enquête, tout débat, toute analyse contradictoire.
Mais, ô surprise, à la veille du procès, et comme par magie, la chaîne pro-régime annonce une "enquête exclusive" révélant "comment les accusés ont comploté contre l’État". Un coup de théâtre digne des pires scénarios autoritaires. L’interdiction de traiter l’affaire ne s’applique qu’aux contradicteurs du régime. Elle ne vaut pas pour ses partisans qui s’en donnent à cœur joie pour taper sur les accusés. Le pouvoir, lui, a le monopole de la vérité, et il la dispense à sa guise.
S’embourber dans son propre piège
Il faut dire que cette pseudo enquête tombait à point nommé puisque la machine s’était enrayée. En exigeant un procès public, les avocats et familles des accusés ont placé le pouvoir face à ses propres contradictions. Que faire ? Accepter un procès ouvert et risquer d’exposer les failles du dossier ? Permettre aux accusés de se défendre publiquement et voir s’écrouler le château de cartes de l’accusation ? Une telle perspective était impensable. Pris à son propre piège, le régime a opté pour une solution plus sûre : un procès à distance.
Les accusés, déjà privés de leur liberté, seront aussi privés d’une présence physique dans la salle d’audience. Ils parleront à travers un écran, isolés, déshumanisés, loin des regards. Une mise en scène grotesque où le pouvoir garde le contrôle total du récit.
Les propagandistes en robe de juge
Et dans ce grand théâtre de l’absurde, les propagandistes se chargent du reste. Sur les plateaux des chaînes inféodées, les soi-disant chroniqueurs jouent aux juges. Ils se pavanent, assènent leurs certitudes, condamnent avant même que le tribunal n’ait statué. Il ne s’agit plus d’informer, mais de conditionner l’opinion, de légitimer une sentence déjà écrite. Ils hurlent au complot, dénoncent les traîtres, réclament une sévérité exemplaire.
Le cirque tourne à plein régime pour fabriquer l’adhésion populaire, réduire les accusés au silence et asseoir le récit du régime.
Mais à force de manipulations, le pouvoir s’est embourbé dans son propre piège. Car en agissant de la sorte, il se fourre le doigt dans l’œil. Il révèle au grand jour qu’il craint tellement la vérité au point de la bâillonner par tous les moyens détournés et grotesques.
Le procès devant la justice s’ouvre dans quelques jours. Mais en réalité les tribunaux ont été installés bien avant que le procès ne commence.

