
Il y a des années-lumière de cela, j’étais moi-même lycéenne. Dans l’un de ces lycées publics à l’ancienne où on nous contrôlait à l’entrée pour savoir si notre tenue était suffisamment « correcte » et « respectueuse du cadre enseignant ». Pourtant, à cette époque lointaine, la drogue circulait, les élèves avaient une vie sexuelle (rarement assumée) et les mineurs fréquentaient des personnes (nettement) plus âgées. Une autre époque…pas tant que ça.
Le milieu dans lequel les jeunes (aujourd’hui adultes) de la génération Y ont évolué n’est au final pas si éloigné de celui des jeunes d’aujourd’hui. Eux ont une chose (précieuse et au pouvoir incommensurable) que nous n’avions pas eue à l’époque : Internet.
Alors que du temps où nous étions lycéens, internet était une denrée rare distillée dans les espaces de « publinet » ou précieusement sauvegardée derrière le doux crépitement des lignes domestiques, aujourd’hui, elle est partout. Le contenu pornographique que l’on subtilisait, à l’insu de nos parents, dans de vieilles VHS à peine visibles et audibles, et les découvertes de la vie qu’on essayait d’acquérir dans les magazines soigneusement cachés, sont aujourd’hui accessibles aux plus jeunes. Il suffit d’effleurer l’écran de son téléphone, sa tablette ou son ordinateur pour avoir réponse à toutes ces questions que nous n’avions pas le droit de poser à nos parents.
Nous n’avions pas ce luxe, nous devions nous débrouiller avec les moyens du bord. Imiter des voix au bout d’un téléphone accroché au mur et sortir en douce pour regarder des films qui nous étaient interdits. Nos parents avaient droit à plus de répit. La vitesse à laquelle ils devaient nous expliquer des choses était celle du crépitement d’un 512 kbps.
Aujourd’hui, à l’ère du haut débit et de l’intelligence artificielle, il devient plus compliqué d’être parent d’un adolescent. Il faut savoir bien plus de choses et expliquer à des jeunes qui parfois (souvent) en savent nettement plus que vous.
Mais si les codes et les moyens ont changé, les aspirations, elles, restent les mêmes. La découverte de soi, de son corps, de ses envies, de sa sexualité, de ses limites et de toutes ces sensations fortes qui, une fois adulte, n’auront plus aucun sens.
Les adultes d’aujourd’hui ont tous été les adolescents d’hier. On pourrait penser qu’ils ont appris de leurs erreurs, qu’ils ont décidé de faire amis avec l’ennemi qu’ils veulent protéger, et qu’ils ont compris qu’ils n’ont qu’un seul pouvoir sur leurs enfants : la confiance et la communication.
Au lieu de cela, on continue à utiliser la bonne vieille méthode du « tout ce que je ne vois pas n’existe pas » et du « tout ce que tu ignores ne peut pas te faire du mal ». On préfère ignorer la vérité, la camoufler sous des tonnes de mensonge et d’hypocrisie afin de faire croire qu’elle n’existe pas. L’une des règles de notre bonne vieille société tunisienne est de commettre « ses pêchés » dans l’ombre.
En effet, ceux qui « transgressent » les codes de la société ont droit à une certaine souplesse…tant qu’ils le font dans la discrétion la plus totale et tant qu’ils le font loin de nous. Tout comme les déjeuneurs de ramadan, doivent se cacher pour boire leur café loin des regards, les adolescents doivent éviter de vivre leur vie au grand jour. Boire de l’alcool, avoir des rapports sexuels, fumer un joint…Tout ceci reste permis dans une certaine mesure (plus pour les garçons que pour les filles, mais ça c’est une autre histoire), tant que leurs actes n’influencent pas nos enfants et ne jettent pas l’opprobre sur leurs parents.
La polémique suscitée par le feuilleton ramadanesque « Fallujah » dit à elle seule tout ce qui ne va pas dans les rapports des Tunisiens à leurs adolescents.
Les indignations, appels à la censure et au boycott ont fusé à peine le premier épisode sorti. Que reproche-t-on au juste à cette production tunisienne ? Le fait qu’elle fait éclater au grand jour une partie de la vie cachée des lycéens tunisiens. Le fait qu’elle expose aux yeux de tous, la vie « non-orthodoxe » de certains de nos jeunes. Ceux qui ont choisi de briser les codes et de ne pas suivre les normes que nous avons posées pour eux. Elle le fait de manière, certes romancée et parfois exagérée, mais qui, admettons-le, n'est pas si éloignée de la réalité.
Le ministère de l’Éducation, qui avait toujours été aveugle face à la situation désastreuse des établissements éducatifs dans le pays, s’indigne. Le ministre se réunit avec la cheffe du gouvernement et on fait remonter l’affaire au chef de l’État. Il reproche à ce feuilleton de « porter atteinte au cadre éducatif et de menacer les valeurs familiales ». Les parents d’élèves estiment, eux, que ces scènes « menacent la société, propagent la décadence morale et portent atteinte aux mœurs ».
On avait pourtant vu plus urgent à faire pour protéger nos enfants. Certains d’entre eux sont privés de professeurs pendant des mois, d’autres n’ont pas le droit de connaitre leurs moyennes à cause de négociations interminables avec le syndicat. En dehors des conditions « exceptionnelles », dans l’état « normal » des choses, élèves et parfois même enseignants doivent faire des kilomètres à pied pour rejoindre leurs écoles, d’autres doivent étudier sans eau courante, sans équipement et sans protection. Ceci ne semble nullement indigner l’opinion publique.
Il n’est évidemment pas question ici de discuter de la qualité de cette œuvre de fiction. Chacun est libre de regarder ce qui convient à ses goûts personnels. Ce n’en est finalement qu’une parmi un océan d’autres. Il est ici question de cette hypocrisie ambiante qui veut que « la crasse » doit rester bien cachée au fond afin de ne pas entacher ceux qui n’en veulent pas. « Je ne veux pas que mes enfants soient influencés par ce genre de production » ; « je ne veux pas que mes enfants pensent que c’est la réalité », entend-on ici et là… Il est certes plus facile de cacher la réalité aux enfants que de devoir la leur expliquer. Leur expliquer les choses de la vie, les méfaits de la drogue, la sexualité, la protection, le bien, le mal et ses propres faiblesses…
On aura beau croire que nos enfants ne fumeront jamais aucune cigarette, ne seront jamais tentés de consommer un comprimé en soirée et resteront chastes jusqu’au mariage. Il n’en sera pas toujours le cas, c’est la raison pour laquelle, au lieu de se cacher et de leur faire porter des œillères jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment adultes pour que leurs erreurs ne nous éclaboussent pas, il faudrait leur expliquer les choses. Pour cela, il faut une bonne dose de courage et d’honnêteté… Ceci n’est pas donné à tout le monde…



Bien à vous
La vérité a besoin de quelqu´un pour parler (v. Lech Walesa) et merci pour l´avoir fait parler.
Un bon article !
Il faut 12 millions d'?illères et ça coute combien ?
A-t-il assez d'argent pour les acheter pour 1 population qui regarde plutôt en arrière que devant tout droit !
Si j'ai bien compris la Tunisie est devenue 1 grand champ de course de canassons boiteux par rapport à l'autre antique hippodrome des courses "Hippodrome de Ksar Saïd!
Drôle de coïncidence...
Bon ramadan
De toutes façons, les ados veulent essayer, goûter, pour voir. Pour savoir. Pour vivre. C'est NORMAL.
Ma maman :) me rappelle souvent une phrase que je lui aurais dite lorsque j'avais 17 ans: Maman, ton expérience je m'en fous!
Expliquer, oui. Encore et toujours. Le vent emporte les feuilles, mais quelque part une graine tombera et crééra un arbre nouveau...
Contrairement à d'autres pays. L'éducation nationale et les media n'aident pas.
Un article qui soulève beaucoup de point mais je me limite au fait qu'un falloujiste engendre un falloujien...
Devant l'absence du professeur de l'éducation civique une matière qui ne sert à rien...
Falloujiste, falloujien? Et la mère de Rahma? Dans la vie...
Réponse de l'auteure : Cher lecteur, "année-lumière" est en effet, par définition, une unité astronomique de mesure de longueur. Cependant, elle peut être utilisée dans le langage courant pour exprimer quelque chose de "très éloigné", comme c'est le cas dans cet article.
Merci pour votre commentaire.