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Chroniques
Médecin et enceinte, ce crime
Par Synda Tajine
25/10/2022 | 16:59
4 min
Médecin et enceinte, ce crime

 

Est-ce qu’il faut informer son patron lorsque l’on est enceinte ? Cette question pourrait ne rien vous inspirer. Pourtant, elle hante de très nombreuses femmes en âge de procréer.

Une fois une grossesse confirmée, qui faut-il informer d’abord ? Le conjoint ou le patron ? Non la question n’est pas anecdotique, ni ridicule d’ailleurs. Plusieurs d’entre vous – lectrices féminines –vous l’êtes déjà posée.

 

Dans le milieu de l’entreprise, engager une femme dans la vingtaine-trentaine reste un vrai casse-tête pour l’employeur. « Que ferais-je le jour où elle sera suffisamment formée pour devenir indispensable – ou même utile – à l’entreprise et que je devrais m’en séparer pendant deux mois ? » Bonne question. Si on ne peut pas forcément en vouloir au chef d’entreprise de penser, avant tout, à la pérennité de sa boite en cette période de disette – comment pourrait-il faire autrement - il est tout de même légitime de se demander s’il est en droit de léser une femme pour avoir « commis » un enfant. Comment pourrait-elle faire autrement ?

 

Cette question concerne toutes les femmes qui travaillent, que vous soyez travailleuse agricole, ingénieure ou médecin. Si vous travaillez dans les champs, il est évident que personne ne voudra vous employer en vous voyant enceinte jusqu’aux yeux. Idem si vous êtes médecin. Pire encore si vous êtes en bas de l’échelle alimentaire des médecins. Autrement dit interne ou résidente.

En effet, ceci se pose d’autant plus dans les métiers les plus difficiles et les milieux les plus concurrentiels. Dans ce monde impitoyable, où l’humain n’a pas sa place, vous n’avez droit à aucune faveur. Oui lorsque vous êtes médecin, vous n’avez pas le doit de vous comporter comme un être humain. Avoir droit à la sécurité, travailler dans des conditions décentes ou – comble de l’horreur – tomber enceinte, tout cela vous n’y avez pas droit. Vous avez choisi ce métier, vous avez bataillé dur pour le décrocher, vous faites partie de l’élite, vous devrez souffrir en silence. Vous devrez afficher une performance sans faille mais aussi entrer dans les bonnes grâces de son chef de service,

« Je vais t’apprendre à venir travailler alors que tu es enceinte », c’est ce qu’aurait dit un chef de service à une jeune résidente qui a commis l’affront de venir travailler en étant enceinte. Un incident loin d’être isolé, nous confient plusieurs jeunes médecins qui ont déjà assisté ou subi la scène.

 

Les femmes enceintes ont toujours été personæ non gratæ dans la société. Ceci ne date pas d’hier et n’est pas propre à la Tunisie. Elles sont ignorées dans les contrats d’assurance, discriminées à l’embauche, jetées comme des malpropres pendant des siècles et incomprises encore aujourd’hui. A partir du moment où elles ont « choisi » et « prémédité » cet état, elles doivent en assumer les conséquences. A aucun moment, ne s’est-on demandé ce qu’il adviendrait de l’espèce humaine si les femmes décidaient de renoncer au crime de tomber enceintes ?

 

Chaque femme active appréhende le jour où elle devra annoncer à son patron qu’elle est enceinte. Certaines se voient contraintes de cacher leur ventre pendant des mois en attendant de ne plus avoir le choix et de ne plus pouvoir le faire. Attendre le bon moment pour annoncer cette horrible nouvelle, continuer à être la plus performante possible pour que cela ne se sente pas, ceci nombreuses d’entre vous l’ont déjà fait. Parfois plus d’une fois même.

Dans le milieu médical, où les hôpitaux tunisiens peuvent parfois se transformer en véritable jungle pour les jeunes internes et résidents, la grossesse est un droit qui n’est pas accordé à toutes. Alors que les règles définissant les stages dans les établissements médicaux universitaires restent floues, leur validation reste tributaire du bon vouloir des chefs de service. Certains d’entre eux en profitent pour être abusifs. Pas tous évidemment, mais ceux qui le font portent préjudice à ce métier aux conditions déjà bien précaires.

 

Un « incident » de plus qui ne fera qu’ajouter une nouvelle pierre à l’édifice des centaines de médecins qui quittent le pays chaque année. Près de 1000 d’entre eux choisissent de meilleurs cieux pour exercer.  Ils auront bon « dénoncer leur hôpital », militer pour des conditions plus dignes, la réalité les rattrapera toujours…

Par Synda Tajine
25/10/2022 | 16:59
4 min
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Commentaires
Lol
Les oubliées
a posté le 26-10-2022 à 15:06
Je me fais moins de soucis pour un médecin enceinte que pour une travailleuse agricole moins informée sur ses droits et plus soumise aux mâles de son entourage.
Contrairement aux bac plus 12, ces femmes, que les médias ne montrent que rarement, subissent bien pire dans l'indifférence totale...
DHEJ
Et pourtant..
a posté le 26-10-2022 à 08:43
On l'inscrit sur notices des medicamentds: non aux femmes enceintes!


Pourquoi? Est-ce une discrimination?


D'ailleurs dans quel service a exercé cette stagiaire?

Quel risque pour elle et pour le bébé?

Alors un crime ou un délit?
Mohamed Obey
Droits sous la botte de l'Etat de non-droit...
a posté le 25-10-2022 à 18:03
Le calvaire des femmes, médecins ou main d'?uvre sur les champs tunisiens, va continuer pour longtemps tant que les lois régissant le rapport de travail ne sont pas subsumés et inscrites sous le titre de la citoyenneté. Pour longtemps, je dis, puisque les constitutions rédigées nonchalamment depuis la soi-disant révolution de la Liberté sont encore floues, vagues et pernicieusement discrètes sur les droits des femmes dans le domaine professionnel... D'autre part, la question féminine est victime collatérale de la querelle politique qui pourfend le pays et et sème ma zizanie dans le débat public sur les questions pertinentes... depuis l'avènement de ce Printemps Atlantiste qui a ouvert les portes d'Armageddon depuis le 2011 , cette année de l'assaut des ténèbres....