
Semaine bien fournie en actualités. Sept mois après sa nomination, Kamel Maddouri est limogé sans ménagement de son poste de chef du gouvernement. Il n’a même pas encore eu le temps de bien comprendre les rouages de l’État et de ses fonctions que le voilà déjà mis à la porte. Kaïs Saïed jette ses ministres comme d’autres jettent leurs Kleenex. En l’espace de six ans, il a « consommé » six Premiers ministres, contre cinq pour Habib Bourguiba en trente ans et trois pour Zine El Abidine Ben Ali en vingt-trois ans.
En remplaçant un bleu par une bleue, il pense pouvoir sauver la situation misérable dans laquelle il a plongé la Tunisie. Kaïs Saïed ne se rend pas compte que le problème ne réside pas dans ses chefs du gouvernement, mais bien dans sa politique anachronique et éculée qu’il s’obstine à imposer.
Le syndrome du nouveau riche
Pour comprendre comment raisonne le chef de l’État, il faut connaître cette histoire très répandue dans les milieux des sciences humaines et de la psychologie.
L’histoire est celle d’un homme pauvre qui a toujours vécu avec des clopinettes — disons cinq cents dinars par mois. Du jour au lendemain, le bonhomme gagne au Promosport et empoche plusieurs millions de dinars. Formé et formaté pour vivre avec cinq cents dinars mensuels, le voilà propulsé dans un monde pour lequel il n’est pas équipé. Il dépense sans compter, jette l’argent par les fenêtres, et finit souvent dans une situation pire qu’avant.
Des études menées par la Française des Jeux et l’économiste Pierre-Yves Revol, spécialiste du jeu et des inégalités sociales, révèlent que 20 % des Français retombent dans les difficultés financières quelques années après avoir gagné une grosse somme.
Certains gagnants finissent plus mal qu’avant, à cause de dépenses inconsidérées, de mauvais choix d’investissement ou de sollicitations excessives de leur entourage.
Les mécanismes de l’échec
Les causes sont multiples. Ceux qui ont toujours vécu avec peu développent souvent des réflexes de consommation immédiate, sans réelle projection à long terme. Quand un gros pactole leur tombe dessus, ils conservent leurs schémas mentaux, mais avec un budget soudainement décuplé. Cela pourrait parfaitement s’appliquer à Kaïs Saïed.
Beaucoup veulent rattraper des années de frustration et se lancent alors dans des dépenses effrénées : voitures, voyages, cadeaux à la famille, etc. Ils compensent une dette symbolique de privation. Cela pourrait également s’appliquer à Kaïs Saïed, qui n’a jamais vraiment eu de pouvoir avant de gagner les élections.
Mais la cause la plus profonde reste l’impréparation psychologique. Gagner une fortune d’un coup est un choc identitaire. Beaucoup ne se reconnaissent plus, perdent leurs repères, s’isolent ou sombrent dans les excès. Ce que les psychologues appellent parfois un syndrome du nouveau riche non préparé. Là encore, tout cela pourrait s’appliquer à Kaïs Saïed.
Le vrai problème, ce n’est pas l’argent. C’est la capacité à le gérer — ce qui demande des compétences, une éducation financière et une stabilité psychologique. Ce n’est pas inné, surtout chez ceux qui ont toujours vécu avec peu. Gérer l’argent ou gérer un pays relève des mêmes mécanismes. Comparer un gagnant du Promosport à celui qui a gagné une élection par pur hasard n’a rien d’anodin.
Un grain de couscous qui fait exploser la tension
L’autre actualité de la semaine nous vient de Libye, avec laquelle nous avons eu de grosses tensions ayant conduit à l’arrestation d’une cinquantaine de Tunisiens.
L’affaire commence avec un contrebandier libyen lambda, qui a eu la malheureuse idée d’acheter 150 kilogrammes de couscous pour les écouler dans son pays.
Arrêté par la douane, traduit en justice, il écope de cinq ans de prison ferme. Cinq ans de prison pour quelques clopinettes… Cela en dit long sur la justice et l’esprit de certains de nos juges. Aucune clémence, aucune compassion en ce mois saint de ramadan. Ces magistrats ne se rendent même pas compte du coût que cela représente d’accueillir un prisonnier durant cinq ans, bien supérieur aux misérables centaines de dinars de couscous en jeu.
De tels juges font honte à la justice, aux juges, et à la Tunisie. Le pouvoir -ou plutôt l’administration- devrait s’en débarrasser au plus vite.
Curieusement, les partisans de Kaïs Saïed, qui ont lynché notre collègue Jamel Arfaoui il y a quelques semaines pour un malheureux article sur un dignitaire libyen, sont restés totalement silencieux, malgré les conséquences désastreuses de la condamnation du Libyen. Leur sidération et leur colère sont à géométrie variable, à la carte, selon la tête du client. Passons.
La riposte libyenne, brutale mais efficace
Dès l’annonce de la condamnation du contrebandier libyen, les réseaux sociaux se sont enflammés contre la justice tunisienne, l’État tunisien et la Tunisie en général.
Le pouvoir de Tripoli a réagi au quart de tour, usant d’un moyen de pression digne du Moyen Âge. Plutôt que d’opter pour les voies diplomatiques et politiques classiques — comme le font tous les pays civilisés dans de pareils cas — le régime tripolitain s’en est pris aux contrebandiers tunisiens présents en Libye.
Des arrestations brutales par dizaines, des centaines de personnes maltraitées, des véhicules tunisiens saisis.
« Vous appliquez vos lois chez vous, et vous êtes dans votre bon droit. Nous aussi, nous allons appliquer les nôtres. »
C’est ce qu’on appelle la réponse du berger à la bergère. Et cette fois, la bergère, c’est la Tunisie.
Une désescalade express
Face à la polémique et à la surenchère, où l’on ne compte que des perdants, la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, a rencontré des officiels libyens.
La situation s’est immédiatement décrispée. En 24 heures, le contrebandier libyen a été libéré, ainsi que plusieurs de ses compatriotes. De l’autre côté de la frontière, les Libyens ont fait de même avec les Tunisiens arrêtés.
Leçon n°1 : un État qui protège ses citoyens
Avec cette malheureuse histoire, la Libye nous offre plusieurs leçons. Pendant des décennies, les Tunisiens ont regardé les Libyens de haut.
Et pourtant, la réalité est là : les Libyens n’ont pas de leçons à recevoir des Tunisiens. C’est même l’inverse.
Pour une seule arrestation injuste de l’un de leurs ressortissants, les autorités tripolitaines ont réagi au quart de tour. Une méthode singulière, cavalière peut-être, mais diablement efficace.
La fin justifie les moyens à leurs yeux. Et tant pis pour les règles diplomatiques si elles ne donnent pas de résultats.
En Libye, le citoyen est roi et l’État est à son service. Lorsqu’un citoyen subit une injustice, son pays se mobilise, le défend, le protège.
De son côté, la Tunisie de Kaïs Saïed traite ses citoyens comme des sujets. Nos prisons débordent d’innocents, sans que cela n’émeuve personne. Des centaines de Tunisiens sont incarcérés en Italie dans des conditions inhumaines, mais nos autorités restent muettes, ou presque.
Vous pouvez vous moquer chaque jour des Libyens. Le fait est qu’ils ont, eux, un État. Nous, nous avons un système qui nous saigne, nous prend tout — jusqu’à notre liberté — sans jamais rien donner en retour.
Leçon n°2 : une justice à géométrie politique
La deuxième leçon de cet incident concerne l’indépendance de la justice.
Kaïs Saïed ne cesse de répéter, à ceux qui veulent bien l’écouter, qu’il ne s’immisce jamais dans les affaires judiciaires.
Alors, si le Libyen a bien été condamné à cinq ans de prison, comment expliquer sa libération dès le lendemain de la rencontre de Leïla Jaffel et des responsables libyens ?
Si la justice est réellement indépendante, elle doit le rester quelles que soient les circonstances. Le fait que le Libyen ait été libéré — heureusement — en 24 heures est un désaveu cinglant pour le juge et pour la justice dans son ensemble.
Cet incident montre, une fois encore, que notre justice n’est pas indépendante, et ne l’a presque jamais été. C’est ce que nous répétons depuis des années, et ce que confirment les magistrats eux-mêmes.
Le pouvoir de Kaïs Saïed s’immisce bel et bien dans la justice, quoi qu’en disent ses partisans.
La preuve la plus éclatante de cette non-indépendance… nous vient de la Libye.
Merci la Libye pour ces deux leçons ! Nous en avons bien besoin !
Mais malgré cela, les Tunisiens continueront à se moquer de vous et à vous prendre de haut. Ce n’est pas la preuve de votre infériorité. C’est juste la preuve de leur bêtise.

Car les deux peuvent changer le caractère de quelqu'un a 180 degrés, chose que les sociétés avancées ont découvert il y a deux siècles alors que dans notre coin on s'obstine à croire encore au mythe du 'leader juste'?' malgré les innombrables indices oculaires de son échec.
On aime accrocher notre présent et futur à une seule personne contredisant la nature elle même car ce qui est bon pour aujourd'hui peut ne pas etre bon pour demain et ce qui a été bon dans le passé n'est pas une garantie qu'il le sera dans le futur. Bref, il faut avoir cette option de changer des que le statut quo ne marche pas.
Enrober les (faibles) esprits avec des slogans comme 'la normalisation serait la haute trahison'?' ou capitaliser sur le caractère 'ndhif'?' est une route facile à l'enfer comme le dit l'adage arabe: la route vers l'enfer est souvent pavée par les bonnes intentions.
Une route qui peut être à sens unique malheureusement - chose que je ne souhaite pas dans notre cas bien sûr.
Meme si nous reussissons a reunir la tunisie libye algerie , nous ne peserons meme pas le pib de d un quart de la france ou de la baviere .
Nous sommes tous freres et il y a des genies et des abrutis partout jusqu aux ministres

