Par Synda Tajine
On ne se rend pas compte de la violence du discours actuel et pourtant toute cette haine que certains éprouvent désormais les uns envers les autres trouve son essence dans ces propos que nous entendons aujourd’hui un peu partout.
Que des personnalités publiques, peu importe leur pédigrée ou ce qu’elles ont réellement dans la tête, se permettent de menacer ouvertement ceux qui ne sont pas d’accord avec elles, dépasse le manque d’élégance et d’éloquence. Ceci est tout simplement dangereux. Oui, car non seulement ce genre de discours peut diviser irrémédiablement la société tunisienne mais aussi justifier les propos tenus par les groupes terroristes qui, au fond, tiennent un discours presque identique en évoquant le « nous » et le « vous » et le « modèle de société menacé ».
Rendez-vous compte, sur la scène nationale aujourd’hui, que ce soit politique ou autre, les discours violents sont tout simplement dédramatisés, décomplexés et démocratisés. « Les propositions de la commission de la liberté ouvrent la porte à la guerre civile », « le discours de Béji Caïd Essebsi rend légitimes l’effusion de sang et les guerres familiales», « les cadavres des irréligieux pourront être jetés aux chiens », bientôt on appellera au meurtre et au lynchage public dans la rue et personne ne s’en émouvra outre-mesure. Non, mais attendez, ceci est déjà arrivé !
Ce genre de propos est en train d’instaurer les bases d’une profonde scission au sein de la société tunisienne. « Si tu n’es pas avec moi – comprenez si tu ne penses pas comme moi – tu es donc forcément contre moi et tu es donc un ennemi à combattre ». Dans la rue, sur les réseaux sociaux et dans les relations humaines tout simplement, cette dichotomie est nettement perceptible. La cherté de la vie, le chômage, la pénurie de l’eau, des médicaments, du lait, la crise financière, la vétusté des infrastructures publiques et tout le reste n’arrangent rien. Le Tunisien n’aime plus son concitoyen, s’il n’est pas comme lui, il est forcément un élément nuisible à éliminer pour conserver « une bonne ambiance générale ».
On parle aujourd’hui des citoyens du 11-août et de ceux du 13-août, comme de deux clans opposés qui sont en guerre. Des conservateurs et des progressistes. De nous et des autres. Dans la rue, on vous demande à quel camp vous appartenez, ou alors on vous juge en fonction de vos habits et de votre allure générale. Si vous dites « assalamou alaykom » au lieu de « assléma » [bonjour], si votre barbe est bien rasée, si vous portez une cravate, si votre jupe dépasse votre genou, si vous portez un foulard, si vous sortez de la mosquée le vendredi... autant d’éléments révélateurs pour vous juger et vous jauger. L’Autre a besoin de savoir à quel camp vous appartenez pour savoir comment vous traiter. Si vous êtes un ami ou un ennemi. On vous demande si vous êtes « avec Bochra », si vous êtes de ceux qui veulent menacer l’islam et Dieu (!), si vous protégez votre religion et votre culture arabo-musulmane ou si vous êtes de ceux qui sont fascinés par l’Occident et qui avez honte de votre identité.
Chacun a peur que le modèle de société actuel lui échappe et ressemble à celui de l’autre camp. Les « conservateurs » ont peur de vivre dans une société où les filles sortiraient dénudées sans crainte pour leur honneur, où les hommes ne seraient plus les gardiens de la morale féminine, où ils seraient libres d’avoir des relations sexuelles hors-mariage ou avec des personnes du même sexe, où les notions de respect, d’honneur, de famille et de traditions ne voudraient plus rien dire et seraient totalement bafouées au profit d’un modèle étranger qui nous vient d’ailleurs. Dans une société où les nobles causes de pudeur, de respect de la religion, du sacré, de partage clair et net des rôles entre l’homme et la femme, pour lesquelles ils se sont battus et sur lesquelles ils ont éduqué leurs enfants, n’auraient plus aucun sens.
Les « progressistes » ont peur de vivre dans une société où les femmes porteraient des habits qui cachent la totalité de leurs corps, où leurs enfants seront endoctrinés dans les écoles, où on verrait une séparation des deux sexes dans les lieux publics, où l’homme pourrait épouser 4 femmes et où la vie des gens serait régie non en vertu des conventions internationales, mais de la chariâa et de lois liberticides et dépassées. Ils ont peur de voir une société encore patriarcale, rétrograde et sexiste dans laquelle les libertés individuelles, les notions d’égalité et de dignité humaine n’auraient aucun sens.
Les deux camps seraient des traitres, l'un pour l'autre. Ceux qui veulent que la société change et veulent tout déstabiliser et ceux qui veulent que les choses restent telles qu’elles sont. En réalité, tous les deux veulent la même chose. Les deux camps ont peur que leurs libertés actuelles, si chèrement acquises, leurs soient retirées. Les deux camps aussi veulent que les libertés auxquelles ils aspirent tant soient enfin consacrées. Les deux camps veulent avoir les conditions d’une vie humaine, digne, décente pour eux et pour les générations à venir. Et c’est ce que la loi doit garantir. Les libertés de la majorité et des minorités, peu importe dans quel camp cette majorité se situe. Oui, car il est faux de dire que le Tunisien est par essence musulman si tous les Tunisiens ne le sont pas et ne sont nullement dans l’obligation de l’être. Le Tunisien a une tradition et une culture arabo-musulmane, d’accord, mais cette tradition ne doit ni constituer un frein au progrès ni être bafouée au détriment de libertés qui ne sont pas forcément celles de tout le monde. Ce n’est qu’en comprenant cela et en respectant parfaitement la loi, que l’on pourra enfin vivre en paix, les uns avec les autres. La loi de l’égalité de l’héritage s’inscrit dans cette logique. Si elle fait de l’égalité entre les citoyens la base, puisqu’inspirée de la constitution, elle ne touche en rien les croyances et libertés de ceux qui ne veulent pas de cette égalité…




Commentaires (23)
CommenterOn marche sur des oeufs
@zamharir
Cordialement,
Hannibal
Droits des femmes, cheval de Troie de la Colibe
correction
Pour ma part...
Hannibal
@BN, L'IDENTITE
La raison est que ce sujet refait surface à toutes les occasions et détourne l'attention des problèmes abordés.
Certains commentateurs se même donnent le droit d'accorder ou de refuser aux autres l'identité Arabe, voire même Tunisienne...
Personnellement je n'ai jamais remis en doute mon identité et leur soit disant "argument" génétique m'importe peu.
Merci
Tu as voulu donner l'impression d'impartialité mais , tu as finis par t'aligner....
Juste mais manque de profondeur...
Les saheliens sont majoritairement porteurs des valeurs progressistes.... Les sudistes d'ennahda et consorts du conservatisme ou plutôt je dirais d'arrierisme et de clanisme..
La différence n'est pas entre progressistes et conservatisme.... Mais plutôt entre saheliens et sudistes...