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Chroniques
Les Tunisiens, ces frères ennemis
15/08/2018 | 16:59
5 min

Par Synda Tajine

 

On ne se rend pas compte de la violence du discours actuel et pourtant toute cette haine que certains éprouvent désormais les uns envers les autres trouve son essence dans ces propos que nous entendons aujourd’hui un peu partout.

Que des personnalités publiques, peu importe leur pédigrée ou ce qu’elles ont réellement dans la tête, se permettent de menacer ouvertement ceux qui ne sont pas d’accord avec elles, dépasse le manque d’élégance et d’éloquence. Ceci est tout simplement dangereux. Oui, car non seulement ce genre de discours peut diviser irrémédiablement la société tunisienne mais aussi justifier les propos tenus par les groupes terroristes qui, au fond, tiennent un discours presque identique en évoquant le « nous » et le « vous » et le « modèle de société menacé ».

Rendez-vous compte, sur la scène nationale aujourd’hui, que ce soit politique ou autre, les discours violents sont tout simplement dédramatisés, décomplexés et démocratisés. « Les propositions de la commission de la liberté ouvrent la porte à la guerre civile », « le discours de Béji Caïd Essebsi rend légitimes l’effusion de sang et les guerres familiales», « les cadavres des irréligieux pourront être jetés aux chiens », bientôt on appellera au meurtre et au lynchage public dans la rue et personne ne s’en émouvra outre-mesure. Non, mais attendez, ceci est déjà arrivé !

 

Ce genre de propos est en train d’instaurer les bases d’une profonde scission au sein de la société tunisienne. « Si tu n’es pas avec moi – comprenez si tu ne penses pas comme moi – tu es donc forcément contre moi et tu es donc un ennemi à combattre ». Dans la rue, sur les réseaux sociaux et dans les relations humaines tout simplement, cette dichotomie est nettement perceptible. La cherté de la vie, le chômage, la pénurie de l’eau, des médicaments, du lait, la crise financière, la vétusté des infrastructures publiques et tout le reste n’arrangent rien. Le Tunisien n’aime plus son concitoyen, s’il n’est pas comme lui, il est forcément un élément nuisible à éliminer pour conserver « une bonne ambiance générale ».

 

On parle aujourd’hui des citoyens du 11-août et de ceux du 13-août, comme de deux clans opposés qui sont en guerre. Des conservateurs et des progressistes. De nous et des autres.  Dans la rue, on vous demande à quel camp vous appartenez, ou alors on vous juge en fonction de vos habits et de votre allure générale. Si vous dites « assalamou alaykom » au lieu de « assléma » [bonjour], si votre barbe est bien rasée, si vous portez une cravate, si votre jupe dépasse votre genou, si vous portez un foulard, si vous sortez de la mosquée le vendredi... autant d’éléments révélateurs pour vous juger et vous jauger. L’Autre a besoin de savoir à quel camp vous appartenez pour savoir comment vous traiter. Si vous êtes un ami ou un ennemi. On vous demande si vous êtes « avec Bochra », si vous êtes de ceux qui veulent menacer l’islam et Dieu (!), si vous protégez votre religion et votre culture arabo-musulmane ou si vous êtes de ceux qui sont fascinés par l’Occident et qui avez honte de votre identité.

 

Chacun a peur que le modèle de société actuel lui échappe et ressemble à celui de l’autre camp. Les « conservateurs » ont peur de vivre dans une société où les filles sortiraient dénudées sans crainte pour leur honneur, où les hommes ne seraient plus les gardiens de la morale féminine, où ils seraient libres d’avoir des relations sexuelles hors-mariage ou avec des personnes du même sexe, où les notions de respect, d’honneur, de famille et de traditions ne voudraient plus rien dire et seraient totalement bafouées au profit d’un modèle étranger qui nous vient d’ailleurs. Dans une société où les nobles causes de pudeur, de respect de la religion, du sacré, de partage clair et net des rôles entre l’homme et la femme, pour lesquelles ils se sont battus et sur lesquelles ils ont éduqué leurs enfants, n’auraient plus aucun sens.

Les « progressistes » ont peur de vivre dans une société où les femmes porteraient des habits qui cachent la totalité de leurs corps, où leurs enfants seront endoctrinés dans les écoles, où on verrait une séparation des deux sexes dans les lieux publics, où l’homme pourrait épouser 4 femmes et où la vie des gens serait régie non en vertu des conventions internationales, mais de la chariâa et de lois liberticides et dépassées.  Ils ont peur de voir une société encore patriarcale, rétrograde et sexiste dans laquelle les libertés individuelles, les notions d’égalité et de dignité humaine n’auraient aucun sens.

 

Les deux camps seraient des traitres, l'un pour l'autre. Ceux qui veulent que la société change et veulent tout déstabiliser et ceux qui veulent que les choses restent telles qu’elles sont. En réalité, tous les deux veulent la même chose. Les deux camps ont peur que leurs libertés actuelles, si chèrement acquises, leurs soient retirées. Les deux camps aussi veulent que les libertés auxquelles ils aspirent tant soient enfin consacrées. Les deux camps veulent avoir les conditions d’une vie humaine, digne, décente pour eux et pour les générations à venir. Et c’est ce que la loi doit garantir. Les libertés de la majorité et des minorités, peu importe dans quel camp cette majorité se situe. Oui, car il est faux de dire que le Tunisien est par essence musulman si tous les Tunisiens ne le sont pas et ne sont nullement dans l’obligation de l’être. Le Tunisien a une tradition et une culture arabo-musulmane, d’accord, mais cette tradition ne doit ni constituer un frein au progrès ni être bafouée au détriment de libertés qui ne sont pas forcément celles de tout le monde. Ce n’est qu’en comprenant cela et en respectant parfaitement la loi, que l’on pourra enfin vivre en paix, les uns avec les autres. La loi de l’égalité de l’héritage s’inscrit dans cette logique. Si elle fait de l’égalité entre les citoyens la base, puisqu’inspirée de la constitution, elle ne touche en rien les croyances et libertés de ceux qui ne veulent pas de cette égalité…

 

 

 

15/08/2018 | 16:59
5 min
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Commentaires (23)

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safari72
| 16-08-2018 15:45
La phrase-clé de votre éditorial est, me semble-t-il, à contours variables qui lui donnent une signification qui tranche avec celle de l'ensemble du texte. Vous dites : "...cette tradition (arabo-musulmane) ne doit ni constituer un frein au progrès ni être bafouée au détriment de libertés qui ne sont pas forcément celles de tout le monde". Le nouveau maire du Kram doit se réjouir d'entendre cette affirmation qui, à la limite, légitime sa liberté (oui, la sienne, en tout cas celle qu'il prend) de tout simplement bafouer la loi découlant de la constitution.

Hanni2
| 16-08-2018 10:13
Vous ommetez comme par hasard l'article de la constitution qui consacre la liberté de conscience (qui je l'imagine vous intéresse moins), Vous vous focalisez sur l'homosexualié alors que la colibe à fait des centaines de propositions, vous parlez d'imitation de l'Europe alors que pour ma part j'observe surtout une immitation (icomplètement débile) des pratiques des pays du golf avec ces kamis et ses nikabs qui poussent comme des champigions un peu partout et cette manière de se voiler typique des frères musulmans...Vous ne vous intéressez pas au sort des femmes célibataires, vous préfereriez seulement que le sujet soit caché et redevienne tabout...si on devait suivre la religion en la matière, le mari pourrait répudier sa femme pour un oui et pour un non et la situation serait pire encore, on a vu les ravages du jihad nikah qui produit autant si ce n'est plus de femmes célibataires...mais du moment que c'est caché et qu'on ne voit rien alors tout va bien! En fait ce que vous promulguez, c'est la continuation des l'hypocrisie des sociétés arabo-musulmanes qui détraque nos jeunes et produisent des bataillons de scyzophrènes...il ne me semble pas que notre identité ait été si problématique avant la révolution, celui qui voulait prier était libre de le faire et celui qui ne veut pas aussi, sans voir besoin de se cacher, sans hypocrisie, sans vrai et faux musulmans, sans charlatans de la religion, sans fossoyeurs de la nation...

Cordialement,

Hannibal

zamharir
| 16-08-2018 09:37
A l'origine de la poussée de fièvre actuelle dans la société, on trouve la Colibe. Derrière le paravent bien commode des droits des femmes, elle a voulu imposer au forceps des "libertés individuelles" que les Tunisiens ne peuvent accepter. Il s'agit en particulier du droit à la "libre orientation sexuelle" qui déboucherait tôt ou tard sur une autre revendication minoritaire : le mariage homosexuel, comme on l'a vu récemment dans plusieurs pays d'Europe; ou du droit à la famille dite monoparentale (la femme qui fait un bébé toute seule , qui se résume la plupart du temps en une femme engrossée en dehors de tout encadrement juridique et abandonnée avec son enfant à tous les vents mauvais de la société. Il suffit de tourner le regard vers l'Amérique du sud où cette pratique est courante, pour se rendre compte des ravages qu'elle occasionne (enfants des rues, prostitution etc..) La France est en train d'éprouver les méfaits du même fléau, sauf qu'ayant plus de moyens, elle n'en laisse voir que peu de choses. Il y a bien d'autres propositions de la Colibe qui sont insupportables pour la société tunisienne. elles sont aussi contraires à la constitution en vigueur qui, tout en garantissant les libertés démocratiques, collectives et individuelles, stipule aussi en son article 1er que l'islam est la religion de l'état, qui doit, selon d'autre articles, promouvoir les valeurs de la religion de la grande majorité des Tunisiens. Concernant les droits de la femme, cyniquement utilisées comme un cheval de Troie par la Colibe pour faire passer en catimini ses autres propositions plus contestables, aucun Tunisien ne s'y oppose sur le fond. La pédagogie introduite par le CSP de 1956 a déjà fait ses effets et porté ses fruits. L'égalité devant l'héritage aménagée de telle sorte qu'elle ne heurte pas les plus croyants d'entre nous -- comme ce fut d'ailleurs le cas pour la polygamie -- ne manquera pas de trouver sa voie au l'ARP. Les relations sexuelles hors mariage relèvent de la sphère privée. Il ne faut tout de même pas réclamer une loi pour les imposer à tous. Soumise à un "effet d'imitation" découlant de sa proximité de l'Europe, la société tunisienne est très fragilisée. Elle a besoin de reprendre son souffle après quatre ans de confusion, au cours desquelles elle a été tirée à hue et à dia.

Mounir H.
| 16-08-2018 09:30
*se donnent même

Hanni2
| 16-08-2018 09:21
...voir une femme portant le nikab me révulse au plus haut point tant ce bout de tissu est une négation de l'identité humaine...mais si tant est qu'une femme veut le porter volontairement, je l'accepte...je m'intérroge sur sa santé mentale mais je l'accepte...maintenant pensons au cas de figure ou je veux manger un sandwich pendant ramadan, un geste somme toute banal mais aussi et surotut vital...et bien en Tunisie, je risque de me faire arrêter pour trouble à l'odre publique comme si je me baladais à poil sur l'avenue Bourguiba, et dans ceratins terriroire de la "république", se seront carrément mon intégrité physique voir ma vie qui seront menacée..donc même si je comprends l'effort, louable, de conciliation auquel s'essaye Synda, elle fait malgré tout une comparaison qui manque de pertinence car des deux groupes il n'y en a qu'un seul qui est dors et déjà près à la violence et tout autre moyens de coercition pour imposer ses vues! Et tout le monde sait de qui il s'agit...

Hannibal

Mounir H.
| 16-08-2018 09:17
Je vous propose l'idée de faire un article sur l'identité des différents points de vue (sociologique, psychologique, génétique...)

La raison est que ce sujet refait surface à toutes les occasions et détourne l'attention des problèmes abordés.
Certains commentateurs se même donnent le droit d'accorder ou de refuser aux autres l'identité Arabe, voire même Tunisienne...
Personnellement je n'ai jamais remis en doute mon identité et leur soit disant "argument" génétique m'importe peu.

Merci

J.trad
| 16-08-2018 08:24
Je crois qu'il faut attendre ,que la sauce de (mloukhiyya t9irr zithâ) signe que la cuisson a atteint l'accomplissement biologique ,le feu arrive à bout ,il accompli la besogne '?la sagesse va t-elle ,l'emporter sur la crudité abjecte de l'entêtement des opposants ,qui s'obstinent comme béni isrâïl ,moyennant un facteur commun d'arrogance ,ils disent que c'est contre l'obscurantisme des intégristes ,mais en chemin ,ils fracassent la paix et l'identité solide du peuple ,qui ne lâchera pas sa foi .avec un grand point à la ligne .ceux qui veulent jouer avec le feu ,ce feu s'indigne .

Docteur_x
| 16-08-2018 08:02
Il serait intéressant de s'interroger sur l'origine géographique de ses dissensions...

Les saheliens sont majoritairement porteurs des valeurs progressistes.... Les sudistes d'ennahda et consorts du conservatisme ou plutôt je dirais d'arrierisme et de clanisme..

La différence n'est pas entre progressistes et conservatisme.... Mais plutôt entre saheliens et sudistes...

Ali Baba au Rhum
| 16-08-2018 04:23
on a remis en question l'intrusion de Dieu , c'est à dire de ceux qui l'ont mis sous tutelle, dans la question de l'héritage; c'est sans doute une bonne chose ! mais par quoi l'a t on remplacée? par l'intrusion bien plus grave du Leviathan, cuirassé et armé ,qu'est l'Etat prédateur, qui , à sa qualité de co héritier par le biais des droits de succession, s'est adjoint celle du partage des parts. Ce n'est pas à l'Etat de dire qui doit hériter , et de combien, mais au propriétaire des biens, de le faire comme il veut et comme il l'entend, par le biais d'un acte juridique appelé Testament. Comment en vouloir à tous ceux qui pensent que la cause des femmes n'est qu'une manoeuvre visant à réaliser des bénéfices politiques?

l'etrangère
| 15-08-2018 23:25
"La distribution de l'héritage est une ligne rouge qu'aucun chretien n'a le droit de modifier" disait l'église catholique.....