
La dernière mouture de l’article 411 du Code de commerce concernant les chèques sans provision a été examinée par le président de la République et plusieurs de ses ministres lundi 27 mai 2024. C’est globalement une version équilibrée qui en est sortie, malgré quelques doutes sur la faisabilité de certaines dispositions.
Ce qui est sûr, c’est que le sujet est porteur et que des milliers d’internautes ont submergé, durant des mois, la page de la présidence de la République de commentaires et de messages incitant à la suppression de la peine de prison pour les chèques sans provision. Surfant sur la vague, certains ont même évoqué, à un moment, une sorte d’amnistie générale concernant les coupables de chèques sans provision, comme s’il ne fallait plus que ce soit un crime. Toutefois, émettre sciemment un chèque sans provision est une escroquerie en bonne et due forme qui porte préjudice au bénéficiaire du chèque qui se retrouve empêtré dans des procédures infinies pour espérer un jour recouvrer son argent. Il s’agit bien d’un crime qui engendre une ou plusieurs victimes.
Dans ce même contexte, il est important de pouvoir se faire une idée de l’ampleur du phénomène. Du côté des chiffres censés nous aider à quantifier la chose, et particulièrement concernant son aspect judiciaire, on aura entendu de tout. Des chiffres astronomiques ont été présentés sur les plateaux télé selon lesquels le problème des chèques sans provision serait à l’origine de l’emprisonnement de dizaines de milliers de personnes. Le nombre de ceux qui ont quitté, ou fui, le pays serait lui supérieur à cent mille personnes !
Des chiffres vertigineux qui suggèrent que l’on est devant un réel fléau social qui détruit des familles et qui force à l’exil ceux qui ont eu le courage d’entreprendre. On suggère aussi que le système tunisien concernant les chèques est punitif et injuste. Ceci pourrait être vrai pour ce qui est du non-cumul des peines par exemple, chose qui a été révisée, mais en aucun cas sur la nécessité, ou pas, de punir un escroc qui émet des chèques sans provision. Quoi qu’il en soit, la polémique autour de la nécessité de réviser les peines pour les chèques sans provision n’a cessé d’enfler pendant des semaines et la présidence de la République s’est saisie du sujet.
Pour en revenir aux chiffres, il faut rappeler que l’avocat et farouche défenseur du processus du 25-Juillet, Abderrazak Khallouli, affirmait en novembre 2023 que 7000 personnes sont détenues pour chèques sans provision. Il réagissait ainsi au chiffre donné par la ministre de la Justice, Leila Jaffel, en séance plénière au parlement, selon lequel seulement 427 personnes seraient détenues pour chèques sans provision. La différence entre les chiffres officiels et les chiffres donnés par d’autres intervenants est immense et pose des questions.
A l’occasion d’un conseil des ministres tenu le 22 mai à ce sujet à la Kasbah, d’autres chiffres ont été publiés. Ainsi, 496 personnes sont détenues pour des affaires de chèques sans provision dont 292 condamnés et 204 personnes arrêtées. Le nombre d’affaires de chèques sans provision est de 11.265. Ceci implique que les 496 personnes mises en examen par la justice ont émis un total de 11.265 chèques sans provision, ce qui donne une moyenne de plus de 22 chèques par personne. Cette moyenne n’est pas très « scientifique » certes, mais on n’émet pas 22 chèques sans provision parce qu’on traverse des difficultés financières suite à une conjoncture particulière. Par ailleurs, la Banque centrale de Tunisie publie régulièrement de précieuses informations sur l’utilisation des chèques. Ainsi, au premier trimestre 2024, près de 90.000 chèques ont été rejetés sur un total de plus de six millions de chèques émis pendant la même période. L’éventualité d’un chèque sans provision se pose pour uniquement 1,47% du total des chèques émis en Tunisie. C’est bien la preuve que l’on parle, quand même, d’un phénomène sporadique qui concerne une toute petite minorité et que le chèque reste un moyen de paiement fiable dans les échanges commerciaux en Tunisie. L’écrasante majorité des personnes qui utilisent le chèque en Tunisie respectent la loi et n’osent pas émettre des chèques sans provision.
L’intérêt populaire, voire populiste, induit par la question des chèques sans provision est évident. C’est un sujet porteur qui peut véhiculer une grande sympathie en faveur du régime, surtout s’il était allé dans le sens de cette proposition farfelue d’amnistie générale. Il faut garder à l’esprit que derrière les près de onze mille affaires de chèques sans provision, il y a probablement onze mille personnes, entreprises, petits commerces qui se sont faits arnaquer. La loi tunisienne, même si elle comporte des défauts, ne peut en aucun cas perdre de vue le droit des victimes. Quand on émet une vingtaine de chèques sans provision, il est tout à fait normal de se retrouver dans l’incapacité de les honorer. Il ne s’agit pas d’un simple accident, il s’agit là d’escroquerie caractérisée.
Il y a un réel problème de confiance entre les différents acteurs commerciaux dans le pays, ce qui a donné lieu à « l’invention » du chèque de garantie. Cette trouvaille vient également combler une autre lacune, qui est celle de la difficulté d’accès au financement. Tous les commerçants, grossistes, professionnels qui se trouvent obligés d’utiliser des chèques antidatés pour faire marcher leur business devraient avoir accès à des lignes de financement plus souples et plus flexibles que ce qui existe actuellement. Pour le reste, l’escroquerie ne paye jamais et doit, évidemment, être sévèrement punie par la loi.




Dans les pays qui disposent d'un bon niveau de liberté "le juge pénal n'est plus compétent en matière d'émission de chèques sans provision, hors les cas de récidive après l'interdiction bancaire qui résulte d'une première émission sans provision : cette première émission entraînant une interdiction bancaire d'autres émissions, la violation de cette interdiction reste délictueuse."
Le projet de loi doit porter sur les points suivants :
L'Etat doit prendre ses responsabilités et assainir le climat des affaires en interdisant à jamais l'exercice de l'activité commerciale ou simplement l'utilisation de chéquiers pour les escrocs récidivistes. On doit soustraire ceux de bonnes fois qui se trouvent en cessation de paiement suites à des risques sismiques dû à l'insolvabilité de leurs clients. L'exemple le plus flagrant est celui des entrepreneurs qui font face aux retards de règlement de l'administration.
La responsabilité et la solidarité des banques doit etre accentuée dans les cas suivants.
'?' Règlement des chèques portés de 20 TND actuellement à 50 TND avec le droit de refuser d'octroyer des carnets de chèque pour les mauvais payeurs.
'?' Responsabilité et solidarité totale de la Banque pour tout le montant du chèque (actuellement limité à 5000 TND) lorsque la Banque octroi un chéquier pour un interdit de chéquier.
'?' En cas de rupture abusif de crédit et rejet cheque le législateur doit permettre au médiateur d'intervenir et établir plus facilement les moyens de preuves.
'?' Dans le cas ou la banque donne un semblant de solvabilité à son client alors qu'il est en cessation de paiement. Ici aussi le médiateur bancaire doit avoir accès à tous les moyens de preuves et établir objectivement les faits.
Bref, heureusement qu'ils existent encore quelques responsables qui ne cèdent pas aux folies et caprices de la junte anarchiste.

