
L’initiative, somme toute courageuse, de onze élus de l’Assemblée des représentants du peuple pour la tenue d’un dialogue politique entre le régime et ses opposants n’a pas eu l’impact escompté par ses auteurs. Excepté, évidemment, les réactions enflammées d’attaque, d’insulte et de diffamation des défenseurs du régime en place, incapables, apparemment, de réagir aux événements autrement que par ces moyens-là.
Les élus en question sont subitement devenus des traîtres, des vendus, des hypocrites et des infiltrés au service d’on ne sait quelle partie. La réaction du président du Parlement, Brahim Bouderbala, à l’évocation de cette initiative en séance plénière résume à elle seule le tempérament général des soutiens du pouvoir. Il avait décrété, visiblement agacé, que la question ne faisait pas partie de l’ordre du jour et est très vite passé à autre chose. Ce sont pourtant les mêmes qui, usant toujours d’insulte, de diffamation et de tromperies, s’étaient acharnés contre ceux qui remettaient en cause la légitimité de cette assemblée en se basant sur les circonstances de son élection ou sur le taux de participation historiquement bas. À ce moment-là, les élus étaient intouchables et représentaient l’âme vive du peuple tunisien. Il ne fallait surtout pas évoquer le taux de participation ni le fait que leur élection n’a pas intéressé grand-monde. Aujourd’hui, à la suite de cette initiative de dialogue, ce sont les mêmes qui remettent en question la légitimité de ces mêmes élus et qui leur rappellent qu’ils ne sont là qu’à la faveur de quelques voix. Mais bon, les porte-voix du régime ne sont pas à une contradiction près.
Les onze élus proposent donc la tenue d’un dialogue politique national assorti d’un nombre de préalables comme la concrétisation du principe d'indépendance de la justice, la libération des individus poursuivis dans des affaires d'opinion, l'accélération du traitement des affaires concernant des politiciens, et le respect du principe de la présomption d’innocence. Ils évoquent également la révision des textes répressifs, notamment pour retirer les sanctions sur des questions litigieuses telles que l'article 24 du décret 54, ainsi que la préservation du tissu politique et associatif de toute menace.
Les députés signataires exigent également la fin de la politique de deux poids et deux mesures concernant les publications sur les réseaux sociaux, l'achèvement de la création des institutions constitutionnelles, en particulier la Cour constitutionnelle, et un traitement en profondeur de la pauvreté, du chômage, des disparités régionales, de l’injustice fiscale, entre autres. Des demandes tout à fait plausibles portées depuis le 17 septembre 2021 par un nombre d’activistes et de politiciens qui se trouvent donc en prison. Il ne fait aucun doute que ces revendications sont tout à fait légitimes et qu’il ne peut y avoir de dialogue national réel sans ces préalables, surtout la libération des personnes qui n’ont rien à faire en prison et qui se comptent malheureusement par dizaines.
Par ailleurs, cette démarche peut s’inscrire dans la volonté présidentielle de construire une réelle unité nationale. La construction de cette unité ne peut s’envisager que par la levée des différentes injustices et par le fait de montrer, par les actes et non par la parole, que la justice traite tout le monde sur un pied d’égalité. Il s’agit aussi de faire comme nos voisins algériens. Le régime algérien, grand ami de Kaïs Saïed, compte aussi entamer un dialogue politique national dans l’objectif d’apaiser les tensions et de renforcer l’unité nationale devant la somme de menaces extérieures auxquelles le pays doit faire face. Les transformations profondes que connaît le monde ces derniers mois sont une menace à laquelle il faut une réponse collective et coordonnée. On ne peut prétendre à cela quand les rangs sont divisés en interne et quand on punit l’opposition et la différence par la prison et la persécution.
Si dialogue il y a, il devra également être différent des anciennes versions que l’on a vues sous la magistrature de feu Béji Caïd Essebsi, par exemple, ou les consultations sur la formation du gouvernement Jemli, que le président de la République avait adoubé d’ailleurs. Il ne s’agira pas de se partager des portefeuilles ministériels à l’aune du poids politique au sein de l’Assemblée. Il ne s’agira pas non plus de se partager les postes de PDG, de gouverneurs ou de délégués. Il s’agira d’un réel dialogue constructif qui traitera de l’avenir du pays et de la meilleure manière de faire de la Tunisie un pays où il fait bon vivre, en prenant en considération toutes les contraintes internes et externes. C’est là le génie de la politique dans le sens noble du terme et ce serait là un vrai changement.
Il reste que cette initiative de dialogue politique national se heurte à un défaut non négligeable : ceux qui la présentent. Au-delà des intentions, qui doivent être louables, des onze élus, il s’agit de députés de la République qui le sont devenus sous ce même régime qu’ils appellent aujourd’hui au dialogue. Les onze élus se sont portés candidats, ont fait leur campagne, ont défendu ensuite leur légitimité et soutenu le régime politique alors que ce dernier mettait des opposants en prison, protégeait ses porte-voix des poursuites et ne tolérait pas les opinions différentes. La liste, tout à fait légitime encore une fois, de leurs revendications aurait pu être formulée par n’importe quel opposant au régime dès décembre 2022, date à laquelle se sont tenues les élections législatives. Maintenant, après deux ans de mandat, les élus sont mal placés pour venir contester les agissements d’un régime que certains d’entre eux ont défendu bec et ongle. Ce ne sont pas les revendications qui manquent de légitimité, mais ce sont leurs auteurs. Ils vont malheureusement le payer, de la main même des aficionados du régime.




Ecrit par A4 - Tunis, le 10 Octobre 2021
Tel un maudit pécheur
Je viens vous avouer
Mon passé de tricheur
Aux actes inavoués
Tel un vil repenti
A genoux je me mets
Je me fais tout petit
Pour me faire pardonner
Car le jour du destin
Désertant les urnes
J'ai brûlé mon bulletin
Restant taciturne
J'ai voulu faire le fou
Faire semblant d'ignorer
L'immense Manitou
L'unique à adorer
Moi, minable terrien
Comptant le temps en jour
Mais ne comprenant rien
Aux éloquents discours
Je m'émeus quand j'entends
Ces mots de vérité
Qui disent que le temps
N'est qu'une éternité
Dans une éternité
Ou même peut-être deux
Nous saurons, hébétés
Les décisions du Dieu
Nous saurons que c'est lui
Qui seul peut décréter
Quand entre lui et lui
Il peut se concerter
Quant à ceux qui veulent
Entamer un dialogue
Il ordonnera seul
D'ouvrir son monologue
Il leur dira, haletant
D'un air désabusé
Quand ça sera l'instant
De lancer les fusées
En attendant cette heure
J'ai un pèlerinage
A faire loin des voyeurs
Au temple de Carthage
Je dois me prosterner
Pour rentrer dans les rangs
Prier et entonner
Que "Rabb'ocop est grand" !

