Par Lassaâd M’SAHLI *
* pharmacien, MD en Droit de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, membre du Laboratoire de Gouvernance. Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 1. Université de Carthage.
Il est certain que des progrès considérables en médecine ont été réalisés. Certaines découvertes datent de plusieurs milliers d’années comme l’œil en verre (4800 ans av. J-C), les sutures et les membres artificiels (3000 ans av.J-C), les analyses d’urine (2000 ans av.J-C), les préservatifs (1220 ans av.J-C), la césarienne (700 ans av. J-C). D’autres découvertes plus récentes comme la pénicilline (1928) ont permis de sauver des millions de vie. Certaines ont permis de lutter contre la cécité (2004), ou ont redonné espoir à des grands brûlés comme la greffe de visage (2005). Des techniques plus récentes comme les angioplasties coronaires et les endoprothèses vasculaires (1980-2000) ou la thrombectomie (2010) rendent possible le retrait des caillots de sang dans le cerveau et ont permis de sauver des millions de vies.
Paradoxalement, d’autres épisodes beaucoup moins glorieux ont marqué l’histoire contemporaine. Les conditions d’insalubrité des abattoirs de Chicago[1] ont été à l’origine de la création de la FDA (Food and Drug Administration) en 1906 par le Président Theodore Roosevelt. Ce même Président fût obligé d’intervenir à nouveau après le drame de l’élixir de sulfanilamide contaminé par le diéthylène glycol ayant causé la mort d’une centaine de victimes (1937). Pour pallier ce problème d’anarchie commerciale, il ordonna la mise en place d’une procédure administrative d’autorisation préalable. C’était l’acte de naissance de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) qui relevait des compétences de la FDA. Ainsi, tous les médicaments humains et vétérinaires ne pouvaient être exploités industriellement que lorsqu’ils disposaient de l’AMM, (c’est-à-dire l’accord préalablement donné par les autorités de santé à un médicament qui garantit son innocuité et son efficacité). Cette procédure administrative d’enregistrement des médicaments est encore en vigueur à ce jour.
La demande d’AMM renferme cinq modules[2] principaux :
1) un module M1, relatif aux données administratives, pour les médicaments princeps et génériques ;
2) un module M2, qui est un résumé du dossier (M3,M4,M5) pour les médicaments princeps et (M3,M5) pour les génériques ;
3) un module M3, relatif aux données chimiques et pharmaceutiques pour les princeps et les génériques ;
4) un module M4, contenant les données précliniques pour les princeps. Les génériques sont exonérés de ce module ; et
5) un module M5, qui renferme les données cliniques complètes pour les princeps. Il peut être remplacé par une Etude de Bioequivalence ou une dispense (Biowaiver), accompagnée d’une étude bibliographique obligatoire en l’absence de produit de référence commercialisé[3].
Le concept d’essais cliniques ou thérapeutiques a été formalisé par le philosophe et médecin musulman Avicenne (1025) dans son livre Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb. Les essais cliniques sont organisés en phases. La Phase 1 étudie la tolérance et l’absence d’effets indésirables et se pratique sur 20 à 80 participants sauf pour certains médicaments toxiques (anticancéreux). La Phase 2 vise à déterminer la dose optimale du médicament et éventuellement ses effets indésirables. Elle est réalisée sur 100 à 300 malades. La Phase 3 ou « étude pivot » consiste à comparer l’effet de la nouvelle molécule par rapport à un placebo et/ou une autre molécule. Elle cible un nombre supérieur de malades et conduit à la demande d’AMM. La Phase 4 ou étude post-marketing permet de surveiller la survenue probable d’effets secondaires et indésirables à moyen et long terme non identifiés lors des phases précédentes.
Les abus des essais cliniques conduits sur les prisonniers par le 3ème Reich et l’Unité 731[4],[5],[6] révèlent des crimes effroyables commis au nom de la science. Ils ont été sanctionnés après la fin de la seconde guerre mondiale par le Procès de Nuremberg (Premier procès incriminant les essais cliniques) qui a donné naissance au Code de Nuremberg, instituant des critères éthiques indispensables dans tout essai clinique et énonçant les normes de bonne pratique clinique. Plusieurs bémols et griefs sont à souligner à ce procès qui ressemble plus à une mise en scène théâtrale de châtiment des crimes abjectes commis contre l’humanité, dont l’affectation de plusieurs scientifiques criminels à certains centres de recherche militaires. D’autres médecins, pharmaciens et chimistes criminels de guerre ont repris la direction de firmes pharmaceutiques internationales.
Outre ce volet éthique, la conduite des essais cliniques est sujette à plusieurs biais pouvant se dégénérer en fraudes. Les biais financiers semblent être les plus fréquents. On parle de « méconduite de la recherche scientifique médicale ». Elle regroupe la falsification et la fabrication de données d’une part et le plagiat, d’autre part.
L’histoire moderne des drames sanitaires nous révèle que la cocaïne était donnée pour soulager les poussées dentaires chez les nourrissons. Le tabac était encouragé par les médias comme un acte d’émancipation et l’amiante était utilisée comme isolant domestique, administratif et industriel. A présent, nous connaissons bien les dégâts qu’ils ont générés. Hélas, ceci n’aurait pas été possible sans l’alliance entre les scientifiques, les industriels et les politiques. Alliance qui remonte au début de l’industrialisation (XIXème siècle) et dont le coût de son principe d’innovation est assez élevé en termes de perte en vies humaine et en dégâts environnementaux. Nous connaissons aussi que les erreurs médicales constituent la 3ème cause de mortalité aux Etats-Unis[7] dont 50% des décès serait corrélée à des effets iatrogènes.
Cependant, il est important de souligner que la science n’est pas une religion. Elle se développe, se renforce et s’affine dans la confrontation d’idées. Ce débat est vital pour les sciences et leur évolution, et en particulier les sciences médicales qui sont loin d’être des sciences exactes. Inopportunément, la survenue de la pandémie de la Covid a bloqué ce débat d’où la résurgence du fanatisme scientifique de part et d’autre et dont l’impact majeur serait l‘aggravation des fractures sociales et l’altération de la convivialité comme prérequis de la démocratie sans oublier le dommage majeur relatif au manque de confiance dans la médecine fondée sur les preuves. Plus encore, la Covid-19 a suspendu le seul acquis universel depuis la Révolution française, représenté par les droits et les libertés fondamentaux. Malheureusement, les dégâts s’étendent pour altérer d’autres principes de protection publique comme le principe de précaution sous prétexte d’urgence nationale sanitaire.
Aucune construction mentale ni stratégie n’est possible en l’absence d’une information pertinente, opportune et fiable. Une telle information donne la forme à nos idées. Elle fonde notre système de justice en construisant les éléments à charge ou à décharge et permet à nos institutions, y compris l’Etat, d’être pérennes. La qualité de cette information est proportionnellement avariée par l’importance des biais et/ou des intérêts en jeu. C’est pour cette raison que certaines informations sont manipulées soit pour en masquer l’origine frauduleuse voire criminelle soit pour en masquer les défauts et les tares. On parle alors de « blanchiment d’information ».
L’embellissement des informations soumises aux autorités sanitaires prend de plus en plus la forme du blanchiment d’information car il emprunte le même processus que celui du blanchiment d’argent:
a) une phase de placement de l’information créée par l’industrie pharmaceutique dans le cadre d’un essai clinique commercialement orienté et non-indépendant,
b) une phase de propagation à travers un leader d’opinion (Key Opinion Leader) qui est généralement un professionnel de la santé hospitalo-universitaire et qui serait membre ou responsable d’une société savante exclusivement financée par l’industrie pharmaceutique, et
c) une phase d’intégration de l’information dans la pratique quotidienne de prescription des médicaments à travers la visite médicale et les évènements « scientifiques » qui sont beaucoup plus des évènements promotionnels et publicitaires. Plusieurs éléments concourent dans ce processus de blanchiment d’information dont les faiblesses relatives à l’information, l’institutionnalisation de la falsification de la recherche, le laxisme des pouvoirs publics, l’agressivité et la proactivité de l’industrie pharmaceutique, et la défaillance et la capture des agences sanitaires de référence.
Ces informations biaisées ou frauduleuses seraient à l’origine de l’inaction publique en matière de santé où plus de 9/10 interventions de santé ne seraient pas fondées sur un haut niveau de preuves ou auraient un niveau de dommages et d’effets indésirables sous-estimés[8]. Un grand nombre de résultats de recherche publiés sont faux[9]. Ce processus est loin d’être un épiphénomène réalisé par un nombre réduit de « brebis galeuses ». Il semble même, être un phénomène institutionnel constant et grandissant enraciné dans les institutions sanitaires et académiques et dans le processus décisionnel.
Le constat peu élogieux de la fiabilité scientifique est généré par le concours de plusieurs éléments dont les faiblesses sont inhérentes, à la nature de l’information, à l’institutionnalisation de la falsification de la recherche, à l’impunité et la redevabilité restée marginale, à la capture systémique des processus décisionnels nationaux, régionaux et internationaux, à l’agressivité et à la proactivité de l’industrie pharmaceutique, au laxisme des pouvoirs publics et à l’inefficacité des mesures de prévention comme le système de «peer review» ou celui des «lanceurs d’alerte».
I. Les faiblesses inhérentes à l’information médicale et pharmaceutique :
Ces faiblesses émanent de la nature de l’information, du brouillard informationnel, de l’asymétrie d’information, de la naïveté de la perception sociale et du mythe de sciences pures, des biais financiers de la science et de la recherche et de la science à l’épreuve de l’évidence.
1) La nature de l’information :
Il est important de comprendre les nuances entre ce qui constitue une information médicale et ce qui constitue une publicité médicale. Une information médicale est tout fait ou jugement porté à la connaissance du malade en vue d’améliorer réellement son quotidien. En revanche, une publicité médicale est tout évènement, tout jugement porté à la connaissance des professionnels de la santé principalement, et secondairement à celle du patient visant à améliorer les performances économiques des entreprises pharmaceutiques. Il se trouve que ces deux notions soient l’objet de confusion auprès des pouvoirs publics. Plus la notion de publicité médicale l’emporte sur celle d’information médicale, plus les intérêts commerciaux de l’industrie pharmaceutique se réalisent au détriment des intérêts du patient et du consommateur. Ce qui entraine une détérioration de la santé publique. Ainsi, l’information médicale devient un outil de santé publique et un instrument stratégique des politiques publiques sanitaires, totalement inexploités par les pouvoirs publics.
La protection de la santé publique est l’un des fondements de l’Etat de droit, l’une de ses missions régaliennes et le secteur stratégique de sécurité nationale par définition. Cette mission régalienne devrait être exercée tout au long des circuits des produits pharmaceutiques (médicaments, vaccins et dispositifs médicaux). D’où la nécessité de contrôler :
- les produits pharmaceutiques (efficacité thérapeutique, sécurité, stock…),
- l’information professionnelle et celle grand public (fiabilité, accessibilité et transparence)
- la formation initiale et continue des professionnels de santé pour qu’elle soit cohérente avec les orientations stratégiques sanitaires dont la défaillance constitue la faiblesse majeure de la gouvernance de la santé
Paradoxalement, l’industrie pharmaceutique a pris pleinement conscience de l’importance de l’information médicale et pharmaceutique pour en faire une arme stratégique et un outil majeur de sa politique commerciale. Elle va même l’imposer aux Etats comme une propriété privée et la protéger par les droits de propriété intellectuelle (DPI). Outre les droits classiques comme les marques de fabrique ou de commerce, les appellations d’origine, les dessins et modèles industriels et les brevets, l’industrie pharmaceutique a innové en créant le concept d’informations non divulguées ou de renseignements non divulgués et l’imposer aux Etats qui veulent adhérer à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) comme une nouvelle branche du droit de propriété intellectuelle au sein de l’Accord sur les Aspects de Droit de Propriété Intellectuelle (ADPIC/TRIPs/OMC). Ce qui reste un exploit inédit réalisé par l’industrie pharmaceutique qui par sa solidarité nationale et internationale et son réseau de lobbies a forcé la main des Etats-Nations pour changer toutes les législations nationales et les adapter aux normes à minima que cette industrie a imposées. La protection des renseignements non-divulgués constitue un renversement des rapports de force entre les Etats-Nations et les Firmes Transnationales pharmaceutiques, qui en vertu de ce nouveau de droit de propriété intellectuelle, elles bloquent :
- le développement des génériques en refusant aux autorités sanitaires de s’appuyer sur les données cliniques des princeps, en invoquant l’obligation de « data protection »,
- le développement des contrôles indépendants des données et revendications cliniques, (data protection )
- l’accès libres par les tiers (data protection) et par les juges (secrets d’affaires), aux données déposées auprès des autorités sanitaires sauf autorisation préalable des titulaires de droits de propriété intellectuelle, et
- la transparence sur les contrats d’achat de médicaments, de vaccins et de dispositifs médicaux par les pouvoirs publics en invoquant la protection des secrets d’affaires.
L’on se pose déjà la question quant à la valeur d’une information scientifique médicale inaccessible et non vérifiée et non-vérifiable.
Cette approche de domination couvre aussi les exceptions aux droits conférés par la protection de propriété intellectuelle appelées aussi « flexibilités » qui sont des mécanismes permettant aux Etats de protéger la santé publique en cas d’épidémies ou de hausse abusive des prix des médicaments essentiels. Ces exceptions aux droits de propriété intellectuelle (Accord ADPIC/TRIPs/OMC) sont l’importation parallèle des médicaments (Article 6), l’exception Bolar (Article 30), et les licences obligatoires (Article 31). Elles sont reconnues par le droit positif. Ce droit de recours à ces flexibilités a été renié aux Etats puisque le Lobby pharmaceutique, qui est le plus grand contributeur aux élections présidentielles[10], a demandé au Président Américain Biden de punir les Etats étrangers qui encouragent la production de vaccins à bas prix[11] notamment par le recours à la Section Special 301[12] qui prive des Etats tiers ayant osé commettre cette « infraction », de lignes de crédit et de coopération.
2) Le brouillard d’information :
Il est certain que le domaine scientifique médical est dominé par l’industrie pharmaceutique. Ses liens commerciaux avec les journaux et les revues médicaux les plus connus lui permettent, d’une part, d’envahir le système par les publications qui sont en faveur de l’exploitation commerciale de ses produits et qu’elle produit par le ghostwriting, et d’autre part, d’évincer les voix indépendantes et dissidentes ou critiques quant à l’efficacité réelle et la véracité de la nocivité de ses produits. Ce flot de publications en faveur de l’industrie pharmaceutique s’apparente à une inondation de publications pro-industrie pharmaceutique. Il est associé à une politique d’isolement et de dénigrement des chercheurs et professionnels de santé critiques de l’industrie, et à une politique de création de doute[13],[14],[15] sur les critiques avec une renversement de la charge de la preuve rappelant les techniques de défenses adoptées par l’industrie du tabac concernant la nocivité des cigarettes et du tabagisme[16]. Des doutes sur l’arnaque qui a construit frauduleusement le bénéfice sanitaire de manger du bacon au petit déjeuner dont le chiffre d’affaires généré dépasse à ce jour les 35 millions de livres sterling en Grande Bretagne uniquement[17]. Malgré ce mensonge cette pratique alimentaire reste non contestée et représente une part importante des dépenses de la ménagère au niveau national et international.
John Ionnidis, illustre mathématicien et épidémiologiste enseignant chercheur à Stanford, évoque 17 millions d’articles référencés dans PubMed avec le terme « Human(s) », dont 700 000 articles se rapportent à des « essais cliniques », plus de 1.8 million comme « reviews »[18] et plus de 400 000 articles traitant de la seule COVID-19 entre 2020-2021. Comment faire pour dénicher l’information pertinente et solide parmi un million de nouvelles publications sur les êtres-humains « humans » chaque année[19] ? Et à quel «saint»/«sein» se vouer ?
3) La tripe asymétrie :
Une réalité notable est à relever. Elle consiste en le nombre considérable d’informations qui ne sont pas fiables et qui n’offrent ni de bénéfice au patient, ni d’utilité pour le décideur thérapeutique et sanitaire.
Il est désormais possible de constater la triple asymétrie exercée par l’industrie pharmaceutique pour protéger ses informations et maintenir sa domination du marché et sa supériorité sur ses parties-prenantes (Pouvoirs publics, professionnels de santé et malades).
En fait, elle segmente l’information et ne diffuse que les parties d’informations qui servent ses objectifs et intérêts commerciaux selon la capacité décisionnelle et mercantile de la partie-prenante. Les données des essais cliniques ne sont communiquées qu’aux autorités sanitaires.
Or, ces autorités manquent manifestement de méthodologistes et de biostatisticiens capables de déchiffrer les biais, et les falsifications possibles ainsi que les revendications cliniques de l’industrie pharmaceutique.
Les professionnels de santé n’y ont pas accès et ne peuvent pas les confirmer ou les infirmer. Ils ne disposent pas des compétences mathématiques et méthodologistes qui leur permettraient de juger convenablement leur pertinence scientifique[20].
Quant aux malades et leurs familles, ils sont considérés par l’industrie pharmaceutique comme incapables de les comprendre et encore moins de les juger. Ils les classent ainsi comme des consommateurs passifs ou inertes. Ce qui pourrait retentir négativement sur leur crédibilité en matière d’identification d’éventuels effets indésirables et sur la recevabilité de leurs réclamations d’iatrogénie. En même temps, cela retarderait la reconnaissance officielle de l’effet iatrogène du médicament incriminé et les mesures administratives de correction ainsi que la redevabilité de l’industrie pharmaceutique.
4) De la naïveté de la perception sociale et du mythe de « science pure » :
Dans le domaine scientifique, la recherche pour la recherche et pour la noblesse de la science est une perception naïve et irréaliste. Car pour bâtir un laboratoire de recherche, il faut beaucoup d’argent pour être conforme avec les normes techniques et sécuritaires des laboratoires. Il faut de l’argent aussi, pour payer les frais d’accès aux journaux et revues scientifiques qui sont excessivement chers. Faut-il rappeler que les chercheurs ne vivent pas de pain sec et d’eau. Ces chercheurs ont des responsabilités individuelles, familiales et sociales. Ils ont des ambitions et des rêves. Ils ont aussi le droit de vivre comme tout individu social. La réussite et la renommée d’un chercheur dépend de sa capacité à trouver les financements et à satisfaire les doléances de celui qui finance qu’il soit gouvernement ou industrie pharmaceutique. Ce financement revêt l’apparence d’un investissement qui aide le financeur (gouvernement et/ou industrie pharmaceutique) à atteindre son objectif stratégique et aide le chercheur à atteindre son objectif de notoriété académique et de publier pour éviter de périr scientifiquement (Publish or perish). A ce niveau de biais de financement, on parle de conflits d’intérêts organiques ou institutionnels créant de fait, l’ère du capitalisme académique.
5) La science à l’épreuve de l’évidence :
Il est à noter que les méthodologistes qui conçoivent les essais cliniques ont des compétences cliniques très réduites puisqu’ils ne sont pas en contact avec les malades au quotidien et que leurs approches sont souvent éloignées de la réalité quotidienne de la clinique telle qu’exercée par les professionnels de santé. Les critères inclusifs et exclusifs de la cohorte (échantillon d’individus et de malades) constituent des biais de sélection directs et indirects en faveur de l’essai clinique. La divergence des attentes relatives à un médicament diffère selon qu’il s’agisse d’industrie pharmaceutique, de professionnel de santé ou de patient. Leurs degrés de satisfaction respectifs diffèrent totalement les uns des autres.
II. Institutionnalisation de la falsification de la recherche médicale :
Elle prend racine dans l’acceptation d’études sur mesures proposées par l’industrie pharmaceutique, dans la complicité de l’Etat avec l’industrie pharmaceutique, son abus de faiblesse, son abus de dépendance et dans l’intégration des stratégies des firmes pharmaceutiques dans ses politiques publiques universitaires, industrielles et sanitaires.
1) Les études cliniques sur mesure :
Les exigences commerciales urgentes du marché pharmaceutique dévoient l’orientation de la recherche. Ainsi, des études artificielles sont conçues pour répondre à des remises en cause de certains produits pharmaceutiques dans certains effets indésirables comme l’autisme post-vaccinal contre le Papilloma virus, ou la mortalité Covid-19 induite par le paracétamol[21], ou encore l’effet tératogène de l’Acide valproïque. Bien entendu cette stratégie de riposte de l’industrie pharmaceutique s’accompagne d’une action massive de relations publiques orchestrée dans les médias grand public pour calmer les craintes, regrouper et renforcer les forces vives pro-industrie pharmaceutique et jeter un doute sur les informations critiques et hostiles à leurs produits pharmaceutiques. Hélas ce phénomène n’est pas rare. Bien au contraire.
2) La recherche scientifique médicale manipulée ou falsifiée n’est pas rare :
En effet, 15% des scientifiques ont rapporté que leurs collègues avaient falsifié des résultats de recherche au moins une fois. Plus de 70% ont déclaré que leurs pairs avaient effectué d'autres activités de recherches douteuses[22].
En fait, les méthodologistes et les épidémiologistes peuvent adapter d’emblée l’ensemble de l’investigation et ses données de recherche au résultat souhaité de plusieurs manières :
- sélectionner un petit groupe de sujets à l’avance dont les données produiront le résultat souhaité ;
- sélectionner un grand groupe et exclure les sujets qui ne correspondent pas au résultat souhaité ;
- utiliser des données partielles ou non vérifiées qui correspond au résultat souhaité ;
- sélectionner spécifiquement un groupe de sujets et prétendre qu’ils ont été choisis au hasard ;
- jouer avec les critères de sélection pour changer de groupe composition… ;
- traiter et retraiter l'ensemble de données en utilisant une variété de techniques statistiques, en choisissant celle qui produit le résultat souhaité
- faire délibérément des calculs erronés ou inappropriés et puis les omettre dans l'article publié ;
- choisir de n'inclure que les calculs qui montrent des résultats favorables et exclure d'autres qui donnent moins les résultats souhaitables.
Utiliser des données non fondées, inverser la tendance des données brutes au moyen d’ajustements statistiques non divulgués dans le cas de l’autisme post-vaccinal et autres (Madsen 2002) [23], ou rejeter des conclusions gênantes sous un prétexte spéculatif ou arbitraire comme c’était le cas de l’allergie aux vaccins (Mc Keever 2004)[24], ou utiliser des données non pertinentes ou une méthode de recherche largement inadéquate, cacher la véritable source des données et ne pas répondre aux allégations d’inconduite après la publication[25] ou utiliser des calculs arbitraires dénués de sens et scientifiquement sans fondement, utiliser une méthode de recherche qui facilite la manipulation des données et de l’analyse, voire déformer le sujet de l’étude au public[26], ou mettre des données essentielles de l’article[27]. L’amplification de l’importance et de l’utilité de l’étude et de ses données est un élément constant.
Il s’agit d’un problème systémique généré par le biais de financement de la recherche où la manipulation de la recherche épidémiologique se fait principalement soit sur les données brutes, soit sur l’analyse statistique des données brutes. Ceci est appuyé par une stratégie de l’industrie pharmaceutique d’échapper au contrôle de l’Etat, à la transparence et la redevabilité notamment à travers une justice négociée via l’arbitrage. Ce qui pose la question suivante : une justice négociée est-elle une justice ?
III. Laxisme des pouvoirs publics :
Outre la faible prise en compte et le vulnérable contrôle de l’information par les pouvoirs publics, ci-dessus évoqués, l’Etat manifeste de plus en plus :
- un abus de dépendance[28] vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique en matière de formation, d’innovation et d’offre de produits pharmaceutiques;
- un abus de faiblesse par rapport aux firmes transnationales[29] notamment en termes de besoin de poste d’emploi et de disponibilité de médicaments;
- une intégration des stratégies des très grandes entreprises dans les politiques publiques[30] respectives qu’elles soient sanitaires, industrielles, sociales, fiscales, législatives (droit de propriété intellectuelle, secrets d’affaires, brevets), judiciaires voire d’éducation (enseignement universitaire et financement de la recherche scientifique);
- une vison stratégique molle qui manque de détermination chez le politique contrairement à la très forte détermination des firmes transnationales où le lobbying de l’industrie pharmaceutique pèse lourdement sur les orientations et les décisions politiques et éclipse les politiques nationales sanitaires ;
- une immunité judiciaire des firmes pharmaceutiques[31] par rapport aux risques potentiels pouvant survenir à l’occasion d’une urgence sanitaire nationale et internationale ;
- une disproportionnalité de redevabilité entre les personnes physiques et les personnes morales ou « corporates » où les amendes financières jugées par des tribunaux à l’occasion de violations règlementaires par l’industrie pharmaceutique se chiffrent en millions de dollars alors les bénéfices qui en découlent s’élèvent en centaines de milliards de dollars par an et en billions de dollars, par décennie. Ce qui montre la forte rentabilité financière des violations réglementaires. Ceci pourrait être assimilé à un blanchiment judiciaire de fonds d’origine délictueuse et criminelle. Dans d’autres activités répréhensibles par la loi, comme la prise illégale d’intérêts, la corruption ou le blanchiment de narcodollars, l’Etat a généralement recours à la saisie des biens mal acquis. Ce qui est assez paradoxal ;
- des laboratoires pharmaceutiques multirécidivistes ont été jugés 1286 fois depuis l’année 2000 totalisant des amendes d’une valeur supérieure à 62 milliards de dollars[32],[33]. Cependant, ils continuent à participer aux appels d’offres nationaux et internationaux des marchés publics et à contracter des commandes publiques et des fonds de recherche publics en dépit d’un manque de conformité de leurs essais cliniques[34]. En revanche, une personne physique peut être refusée d’accès à un poste de travail dans le secteur public si son casier judiciaire est entaché de délits mineurs. D’où l’inégalité de redevabilité sociale et judiciaire et l’amplification des violences économiques au détriment des personnes physiques et en faveur des très grandes entreprises ;
- une déification des agences réglementaires états-uniennes (FDA) dont la réputation et le pouvoir étaient institutionnalisés[35] pour servir une stratégie réglementaire extranationale visant à faciliter l’accès aux marchés étrangers aux acteurs économiques américains et asseoir la domination des Etats-Unis en la matière. Paradoxalement, les agences nationales du médicament sont restées victimes de la diplomatie pharmaceutique des grandes puissances économiques et du faible appui public aux responsables locaux. Un appui plus qu’inadéquat voire quasi absent ! L’action publique nationale a ainsi perdu une opportunité considérable de canaliser le développement économique propice à travers cette niche technico-administrative.
IV. Le financement direct des agences du médicament par l’industrie pharmaceutique : l’erreur fatale
Rappelons que la protection de la population est la mission régalienne de l’Etat qui justifie son existence. Créer une agence sanitaire pour garantir l’efficacité et la sécurité des aliments et des médicaments suppose que l’Etat doit lui garantir son indépendance financière et décisionnelle pour la protéger de l’influence politique et du lobbying d’une part et de l’influence de l’industrie pharmaceutique, d’une autre part. Substituer ce financement du budget de l’Etat par celui de l’industrie pharmaceutique revient à transformer les frais de demande d’AMM en recettes pures pour l’Etat. Ce qui amplifie l’abus de dépendance de l’Etat aux firmes pharmaceutiques qui s’ajoute à l’abus de faiblesse de l’Etat, en matière d’information. Cette relation de financement direct entre l’industrie pharmaceutique et les autorités de santé est fort problématique. Elle constitue une source dangereuse de pression sur le financement des autorités sanitaires et de conflit d’intérêt. Ce qui suppose que la loyauté des agences sanitaires est de plus en plus détournée en faveur de l’industrie pharmaceutique et non plus en faveur de la protection de la santé publique. Ce même modèle de financement direct est utilisé par l’industrie pharmaceutique pour mettre en place sa politique de marché en finançant les sociétés savantes et la formation des professionnels de santé afin d’orienter et socialiser les pratiques de prescription médicamenteuses en faveur de sa politique commerciale. D’où la naissance du second risque de conflit d’intérêt.
Par ailleurs, les problèmes d’efficacité et de sécurité des médicaments sont convertibles en coûts de prise en charge des effets indésirables supportés exclusivement par le patient, sa famille et la collectivité (Caisses d’assurance maladie). Ces coûts restent bien sous-évalués et non étudiés d’un point de vue d’économie de la santé et de rentabilité Coût/Bénéfice et Risque/Bénéfice.
Jusque-là, l’idée de taxer les médicaments paraissait non-éthique voire immorale car l’image donnée est de rajouter la peine de la taxe à celle de la maladie. Mais à bien y penser, tout le système décisionnel mis en place pour protéger la santé publique a été dévoyé par le financement direct des autorités de santé et des professionnels de santé.
L’idée à préconiser serait d’arrêter ces financements directs réalisés par l’industrie pharmaceutique aux agences de santé et aux professionnels de santé, de substituer ces frais par des taxes partagées entre l’industrie et le patient, et de créer une entité administrative qui serait chargée de la formation initiale et continue du personnel de la santé selon les orientations stratégiques et les politiques publiques sanitaires arrêtées. Un tel changement de financement éliminerait du marché un grand nombre de médicaments[36] inutiles et dangereux (psychotropes, statines…) et mettrait de l’ordre dans les protocoles thérapeutiques financés et mis en place par l’industrie pharmaceutique.
V. Défaillance et capture des autorités sanitaires de référence :
Il est utile de rappeler que les autorités sanitaires ont une obligation légale de protéger le public et de s’assurer que les avantages des médicaments l’emportent sur les inconvénients avant d’être commercialisés auprès du public. En revanche, l’industrie pharmaceutique a une obligation uniquement de résultats de rentabilité envers ses actionnaires. D’où, la divergence d’objectifs et la contradiction des missions. Les autorités de santé sont créées pour contrôler l’industrie pharmaceutique. Malheureusement, c’est le contraire qui se passe, que ce soit directement à travers la pression des lobbyistes sur les politiques (le pouvoir exécutif), ou indirectement à travers les experts.
Certaines autorités sanitaires comme la FDA[37] et l’EMA[38] ont acquis un statut d’institutions supranationales puisque les Autorisations de Mise sur le Marché qu’elles délivrent sont adoptées par d’autres pays. La Tunisie par exemple exige une attestation délivrée par les autorités compétentes certifiant que le médicament est commercialisé dans le pays d’origine et une copie de la licence d’exploitation ou équivalent délivrée par les autorités compétentes du pays d’origine[39]. Ces éléments sont reportés au niveau du Guide d’Enregistrement des Médicaments[40] élaboré par la DPM[41]. Cette procédure administrative permet d’accélérer la commercialisation de médicaments innovants. Elle est fondée sur la confiance et la réputation de sérieux, de telles institutions véhiculées par leurs gouvernements respectifs.
Cependant, les dernières nouvelles ne sont guère rassurantes. Le rapport n°A-06-21-07000 publié en août 2022 par le Department of Health and Human Services, Office of Inspector General souligne des manquements du NIH (National Institutes of Health) et des non-conformités par rapport aux lois fédérales. Il faut rappeler dans ce contexte, que le NIH est le plus grand financeur au monde de recherche médicale. L’Office of Inspector General lui reproche d’avoir fermé les yeux sur des violations des bonnes pratiques de recherche cliniques ayant permis à des contrevenants de recevoir des fonds publics malgré la non-conformité de leurs pratiques[42],[43].
La FDA, pour sa part, souffre d’une dépendance croissante à l'égard de l'argent de l'industrie pharmaceutique ce qui a entraîné une baisse significative des normes de preuve de la FDA adoptées dans l'approbation des médicaments. Le besoin d’accélération de l’octroi des AMM depuis la promulgation de la loi de 1992 sur les frais d'utilisation des médicaments sur ordonnance (PDUFA), a fragilisé son indépendance et a augmenté sa vulnérabilité à la pression exercée à la fois par l’industrie pharmaceutique et par les politiques ayant bénéficié des financements idoines de leurs campagnes électorales.
Les opérations de la FDA sont maintenues à flot en grande partie par les frais de l'industrie qui ont été multipliés par plus de 30, passant d'environ 29 millions de dollars en 1993 à 884 millions de dollars en 2016.
En 1988, seuls 4 % des nouveaux médicaments introduits sur le marché mondial ont d'abord été approuvés par la FDA. Cette proportion a atteint la proportion de 66% en 1998, après le changement de sa structure de financement.
La FDA a même conçu quatre procédures pour accélérer l’octroi des AMM : Fast Track (voie rapide), Priority Review (examen prioritaire), Accelerated Approval (approbation accélérée, le cas des vaccins anti-Covid-19) et Breakthrough Therapy (thérapie révolutionnaire). En conséquence, la majorité (68 %) de tous les nouveaux médicaments sont approuvés par la FDA via ces voies accélérées[44] au détriment du niveau de preuves de sécurité et d’efficacité.
La réduction du niveau de preuve s’aggrave par :
- le recours croissant aux « résultats de substitution », et aux « études post-AMM » et
- la réduction du recours aux « essais pivots »
1) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par l’augmentation de recours aux « résultats de substitution » :
Pour les approbations accélérées de médicaments, la FDA accepte l'utilisation de résultats de substitution (comme un test de laboratoire) comme substitut aux résultats cliniques. Une sorte de règle de trois qui admet les résultats in vitro comme étant équivalents à ceux in vivo et l’on oublie que l’être humain est très différent d’une culture sur boite de pétri.
Par exemple, la FDA a récemment autorisé l'utilisation de vaccins à ARNm chez les nourrissons sur la base des niveaux d'anticorps neutralisants (un résultat de substitution), plutôt que sur des avantages cliniques significatifs tels que la prévention de cas Covid graves ou l'hospitalisation. Dans ce même contexte, la découverte d'ARNm dans le lait maternel illustre à quel point la sécurité des vaccins covid a été survendue[45].
L'année dernière également, la FDA a approuvé un médicament contre la maladie d'Alzheimer (Aducanumab) basé sur des niveaux inférieurs de protéine β-amyloïde (encore une fois, un résultat de substitution) plutôt que sur une amélioration clinique pour les patients. Un membre consultatif de la FDA qui a démissionné à la suite de la controverse et a déclaré qu'il s'agissait de la "pire décision d'approbation de médicament de l'histoire récente des États-Unis".
Cette norme de preuve inférieure devient de plus en plus courante. Une analyse du JAMA[46] a révélé que 44 % des médicaments approuvés entre 2005 et 2012 étaient soutenus par des résultats de substitution (inférieurs), mais que ce chiffre est passé à 60 % entre 2015 et 2017.
Ce qui représente un énorme avantage pour l'industrie pharmaceutique, car les approbations de médicaments peuvent être basées sur des essais cliniques moins nombreux, plus petits et moins rigoureux.
2) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par l’augmentation de recours aux « les études post-AMM » :
Du fait de l’approbation accélérée, la FDA autorise la mise sur le marché des médicaments avant que l'efficacité n'ait été prouvée à condition que les fabricants doivent accepter de mener des études «post-autorisation » (ou des essais de confirmation de phase IV) pour confirmer les bénéfices attendus du médicament. S'il s'avère qu'il n'y a aucun avantage, l'approbation du médicament peut être annulée.
Malheureusement, de nombreux essais de confirmation n’ont jamais été réalisés[47], ou prennent des années à se terminer et certains ne parviennent pas à confirmer que le médicament est bénéfique.
Cependant, la FDA impose rarement des sanctions aux entreprises pour non-respect des règles, les médicaments sont rarement retirés et lorsque des sanctions sont appliquées, elles sont minimes.
3) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par la baisse de recours aux « essais pivots » :
Traditionnellement, la FDA exigeait au moins deux « essais pivots » pour l'approbation du médicament, qui sont généralement des essais cliniques de phase III avec environ 30 000 sujets destinés à confirmer l'innocuité et l'efficacité du médicament.
Mais une étude récente[48] a révélé que le nombre d'approbations de médicaments appuyées par deux essais pivots ou plus est passé de 81 % en 1995-1997 à 53 % en 2015-2017.
D'autres aspects importants de la conception des essais pivots tels que le « double aveugle » sont passés de 80% en 1995-1997 à 68% en 2015-2017 et la « randomisation[49]» est passée de 94% à 82% au cours de cette période.
De même, une autre étude[50] a révélé que sur les 49 nouvelles thérapies approuvées en 2020, plus de la moitié (57 %) étaient basées sur un seul essai pivot, 24 % n'avaient pas de composante de randomisation et près de 40 % n'étaient pas en double aveugle.
Tous ces aspects fragilisent la confiance, le pouvoir et la notoriété construite sur plus de soixante ans de ces institutions sanitaires à vocation supranationale. Paradoxalement, elle alimente la méfiance non seulement à l’égard de l’agence du médicament mais aussi à l’égard de la sécurité et de l’efficacité du médicament, en général.
VI. Conclusion :
Ces agences sanitaires de référence ressemblent beaucoup plus à des géants aux pieds d’argile. L’ampleur des dégâts causés par la désinformation[51] réalisée par l’industrie pharmaceutique, et la mésinformation relayée par les professionnels de la santé et les sociétés savantes explique l’inefficacité et l’inaction publique en matière de santé.
La survenue de la pandémie de la Covid-19 a cristallisé le degré de capture des scientifiques médicaux et a montré leur niveau d’ignorance ce qui met en doute leur expertise. Il en résulte une altération des décisions politiques et du comportement des médias.
Ce papier ne constitue en aucun cas une expression de la culture du blâme. Au contraire, il vise à :
- consolider les acquis et les progrès réalisés en termes d’indicateurs de santé ;
- disséquer ce que nous avons appris des dernières décennies sans le perpétuer;
- apprendre à mieux gouverner la santé publique dans un brouillard d’information et
- corriger le désordre de l’information médicale et ses lourds dégâts en termes de santé et de finances publiques.
Upton Sinclair, La Jungle (New York: GROSSET & DUNLAP PUBLISHERS, 1906).
[2] https://www.ema.europa.eu/en/documents/scientific-guideline/ich-guideline-m4-r4-common-technical-document-ctd-registration-pharmaceuticals-human-use_en.pdf
[3] http://www.dpm.tn/images/pdf/guide_dpm.pdf
[4] Derek Pua et al., Unit 731: The Forgotten Asian Auschwitz, 2e édition (Pacific Atrocities Education, 2019).
[5] Hal Gold, Unit 731 Testimony (Tokyo: Yenbooks,Japan, 1995).
[6] Zhaohui Su et al., « The Promise and Perils of Unit 731 Data to Advance COVID-19 Research », BMJ Global Health 6, no 5 (1 mai 2021): e004772, https://doi.org/10.1136/bmjgh-2020-004772.
[7] Martin A. Makary et Michael Daniel, « Medical Error—the Third Leading Cause of Death in the US », BMJ 353 (3 mai 2016): i2139, https://doi.org/10.1136/bmj.i2139.
[8] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0895435622001007
[9] https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.0020124
[10] https://www.opensecrets.org/industries/indus.php?ind=H04
[11] Lee Fang March 3 2021 et 7:06 P.m, « Drug Lobby Asks Biden to Punish Foreign Countries Pushing for Low-Cost Vaccines », The Intercept, consulté le 20 janvier 2023, https://theintercept.com/2021/03/03/vaccine-coronavirus-big-pharma-biden/.
[12] « Special 301 », United States Trade Representative, consulté le 20 janvier 2023, http://ustr.gov/issue-areas/intellectual-property/special-301.
[13] Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Climate Change, Reprint edition (New York, NY: Bloomsbury Publishing, 2011).
[14] David Michaels, Doubt Is Their Product: How Industry’s Assault on Science Threatens Your Health (Oxford University Press, 2008).
[15] David Michaels, The Triumph of Doubt: Dark Money and the Science of Deception, 1st edition (New York, NY: Oxford University Press, 2020).
[16] https://www.statnews.com/2018/01/30/pharmaceutical-industry-fake-news-tobacco/
Par Lassaâd M’SAHLI *
* pharmacien, MD en Droit de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, membre du Laboratoire de Gouvernance. Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 1. Université de Carthage.
Il est certain que des progrès considérables en médecine ont été réalisés. Certaines découvertes datent de plusieurs milliers d’années comme l’œil en verre (4800 ans av. J-C), les sutures et les membres artificiels (3000 ans av.J-C), les analyses d’urine (2000 ans av.J-C), les préservatifs (1220 ans av.J-C), la césarienne (700 ans av. J-C). D’autres découvertes plus récentes comme la pénicilline (1928) ont permis de sauver des millions de vie. Certaines ont permis de lutter contre la cécité (2004), ou ont redonné espoir à des grands brûlés comme la greffe de visage (2005). Des techniques plus récentes comme les angioplasties coronaires et les endoprothèses vasculaires (1980-2000) ou la thrombectomie (2010) rendent possible le retrait des caillots de sang dans le cerveau et ont permis de sauver des millions de vies.
Paradoxalement, d’autres épisodes beaucoup moins glorieux ont marqué l’histoire contemporaine. Les conditions d’insalubrité des abattoirs de Chicago[1] ont été à l’origine de la création de la FDA (Food and Drug Administration) en 1906 par le Président Theodore Roosevelt. Ce même Président fût obligé d’intervenir à nouveau après le drame de l’élixir de sulfanilamide contaminé par le diéthylène glycol ayant causé la mort d’une centaine de victimes (1937). Pour pallier ce problème d’anarchie commerciale, il ordonna la mise en place d’une procédure administrative d’autorisation préalable. C’était l’acte de naissance de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) qui relevait des compétences de la FDA. Ainsi, tous les médicaments humains et vétérinaires ne pouvaient être exploités industriellement que lorsqu’ils disposaient de l’AMM, (c’est-à-dire l’accord préalablement donné par les autorités de santé à un médicament qui garantit son innocuité et son efficacité). Cette procédure administrative d’enregistrement des médicaments est encore en vigueur à ce jour.
La demande d’AMM renferme cinq modules[2] principaux :
1) un module M1, relatif aux données administratives, pour les médicaments princeps et génériques ;
2) un module M2, qui est un résumé du dossier (M3,M4,M5) pour les médicaments princeps et (M3,M5) pour les génériques ;
3) un module M3, relatif aux données chimiques et pharmaceutiques pour les princeps et les génériques ;
4) un module M4, contenant les données précliniques pour les princeps. Les génériques sont exonérés de ce module ; et
5) un module M5, qui renferme les données cliniques complètes pour les princeps. Il peut être remplacé par une Etude de Bioequivalence ou une dispense (Biowaiver), accompagnée d’une étude bibliographique obligatoire en l’absence de produit de référence commercialisé[3].
Le concept d’essais cliniques ou thérapeutiques a été formalisé par le philosophe et médecin musulman Avicenne (1025) dans son livre Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb. Les essais cliniques sont organisés en phases. La Phase 1 étudie la tolérance et l’absence d’effets indésirables et se pratique sur 20 à 80 participants sauf pour certains médicaments toxiques (anticancéreux). La Phase 2 vise à déterminer la dose optimale du médicament et éventuellement ses effets indésirables. Elle est réalisée sur 100 à 300 malades. La Phase 3 ou « étude pivot » consiste à comparer l’effet de la nouvelle molécule par rapport à un placebo et/ou une autre molécule. Elle cible un nombre supérieur de malades et conduit à la demande d’AMM. La Phase 4 ou étude post-marketing permet de surveiller la survenue probable d’effets secondaires et indésirables à moyen et long terme non identifiés lors des phases précédentes.
Les abus des essais cliniques conduits sur les prisonniers par le 3ème Reich et l’Unité 731[4],[5],[6] révèlent des crimes effroyables commis au nom de la science. Ils ont été sanctionnés après la fin de la seconde guerre mondiale par le Procès de Nuremberg (Premier procès incriminant les essais cliniques) qui a donné naissance au Code de Nuremberg, instituant des critères éthiques indispensables dans tout essai clinique et énonçant les normes de bonne pratique clinique. Plusieurs bémols et griefs sont à souligner à ce procès qui ressemble plus à une mise en scène théâtrale de châtiment des crimes abjectes commis contre l’humanité, dont l’affectation de plusieurs scientifiques criminels à certains centres de recherche militaires. D’autres médecins, pharmaciens et chimistes criminels de guerre ont repris la direction de firmes pharmaceutiques internationales.
Outre ce volet éthique, la conduite des essais cliniques est sujette à plusieurs biais pouvant se dégénérer en fraudes. Les biais financiers semblent être les plus fréquents. On parle de « méconduite de la recherche scientifique médicale ». Elle regroupe la falsification et la fabrication de données d’une part et le plagiat, d’autre part.
L’histoire moderne des drames sanitaires nous révèle que la cocaïne était donnée pour soulager les poussées dentaires chez les nourrissons. Le tabac était encouragé par les médias comme un acte d’émancipation et l’amiante était utilisée comme isolant domestique, administratif et industriel. A présent, nous connaissons bien les dégâts qu’ils ont générés. Hélas, ceci n’aurait pas été possible sans l’alliance entre les scientifiques, les industriels et les politiques. Alliance qui remonte au début de l’industrialisation (XIXème siècle) et dont le coût de son principe d’innovation est assez élevé en termes de perte en vies humaine et en dégâts environnementaux. Nous connaissons aussi que les erreurs médicales constituent la 3ème cause de mortalité aux Etats-Unis[7] dont 50% des décès serait corrélée à des effets iatrogènes.
Cependant, il est important de souligner que la science n’est pas une religion. Elle se développe, se renforce et s’affine dans la confrontation d’idées. Ce débat est vital pour les sciences et leur évolution, et en particulier les sciences médicales qui sont loin d’être des sciences exactes. Inopportunément, la survenue de la pandémie de la Covid a bloqué ce débat d’où la résurgence du fanatisme scientifique de part et d’autre et dont l’impact majeur serait l‘aggravation des fractures sociales et l’altération de la convivialité comme prérequis de la démocratie sans oublier le dommage majeur relatif au manque de confiance dans la médecine fondée sur les preuves. Plus encore, la Covid-19 a suspendu le seul acquis universel depuis la Révolution française, représenté par les droits et les libertés fondamentaux. Malheureusement, les dégâts s’étendent pour altérer d’autres principes de protection publique comme le principe de précaution sous prétexte d’urgence nationale sanitaire.
Aucune construction mentale ni stratégie n’est possible en l’absence d’une information pertinente, opportune et fiable. Une telle information donne la forme à nos idées. Elle fonde notre système de justice en construisant les éléments à charge ou à décharge et permet à nos institutions, y compris l’Etat, d’être pérennes. La qualité de cette information est proportionnellement avariée par l’importance des biais et/ou des intérêts en jeu. C’est pour cette raison que certaines informations sont manipulées soit pour en masquer l’origine frauduleuse voire criminelle soit pour en masquer les défauts et les tares. On parle alors de « blanchiment d’information ».
L’embellissement des informations soumises aux autorités sanitaires prend de plus en plus la forme du blanchiment d’information car il emprunte le même processus que celui du blanchiment d’argent:
a) une phase de placement de l’information créée par l’industrie pharmaceutique dans le cadre d’un essai clinique commercialement orienté et non-indépendant,
b) une phase de propagation à travers un leader d’opinion (Key Opinion Leader) qui est généralement un professionnel de la santé hospitalo-universitaire et qui serait membre ou responsable d’une société savante exclusivement financée par l’industrie pharmaceutique, et
c) une phase d’intégration de l’information dans la pratique quotidienne de prescription des médicaments à travers la visite médicale et les évènements « scientifiques » qui sont beaucoup plus des évènements promotionnels et publicitaires. Plusieurs éléments concourent dans ce processus de blanchiment d’information dont les faiblesses relatives à l’information, l’institutionnalisation de la falsification de la recherche, le laxisme des pouvoirs publics, l’agressivité et la proactivité de l’industrie pharmaceutique, et la défaillance et la capture des agences sanitaires de référence.
Ces informations biaisées ou frauduleuses seraient à l’origine de l’inaction publique en matière de santé où plus de 9/10 interventions de santé ne seraient pas fondées sur un haut niveau de preuves ou auraient un niveau de dommages et d’effets indésirables sous-estimés[8]. Un grand nombre de résultats de recherche publiés sont faux[9]. Ce processus est loin d’être un épiphénomène réalisé par un nombre réduit de « brebis galeuses ». Il semble même, être un phénomène institutionnel constant et grandissant enraciné dans les institutions sanitaires et académiques et dans le processus décisionnel.
Le constat peu élogieux de la fiabilité scientifique est généré par le concours de plusieurs éléments dont les faiblesses sont inhérentes, à la nature de l’information, à l’institutionnalisation de la falsification de la recherche, à l’impunité et la redevabilité restée marginale, à la capture systémique des processus décisionnels nationaux, régionaux et internationaux, à l’agressivité et à la proactivité de l’industrie pharmaceutique, au laxisme des pouvoirs publics et à l’inefficacité des mesures de prévention comme le système de «peer review» ou celui des «lanceurs d’alerte».
I. Les faiblesses inhérentes à l’information médicale et pharmaceutique :
Ces faiblesses émanent de la nature de l’information, du brouillard informationnel, de l’asymétrie d’information, de la naïveté de la perception sociale et du mythe de sciences pures, des biais financiers de la science et de la recherche et de la science à l’épreuve de l’évidence.
1) La nature de l’information :
Il est important de comprendre les nuances entre ce qui constitue une information médicale et ce qui constitue une publicité médicale. Une information médicale est tout fait ou jugement porté à la connaissance du malade en vue d’améliorer réellement son quotidien. En revanche, une publicité médicale est tout évènement, tout jugement porté à la connaissance des professionnels de la santé principalement, et secondairement à celle du patient visant à améliorer les performances économiques des entreprises pharmaceutiques. Il se trouve que ces deux notions soient l’objet de confusion auprès des pouvoirs publics. Plus la notion de publicité médicale l’emporte sur celle d’information médicale, plus les intérêts commerciaux de l’industrie pharmaceutique se réalisent au détriment des intérêts du patient et du consommateur. Ce qui entraine une détérioration de la santé publique. Ainsi, l’information médicale devient un outil de santé publique et un instrument stratégique des politiques publiques sanitaires, totalement inexploités par les pouvoirs publics.
La protection de la santé publique est l’un des fondements de l’Etat de droit, l’une de ses missions régaliennes et le secteur stratégique de sécurité nationale par définition. Cette mission régalienne devrait être exercée tout au long des circuits des produits pharmaceutiques (médicaments, vaccins et dispositifs médicaux). D’où la nécessité de contrôler :
- les produits pharmaceutiques (efficacité thérapeutique, sécurité, stock…),
- l’information professionnelle et celle grand public (fiabilité, accessibilité et transparence)
- la formation initiale et continue des professionnels de santé pour qu’elle soit cohérente avec les orientations stratégiques sanitaires dont la défaillance constitue la faiblesse majeure de la gouvernance de la santé
Paradoxalement, l’industrie pharmaceutique a pris pleinement conscience de l’importance de l’information médicale et pharmaceutique pour en faire une arme stratégique et un outil majeur de sa politique commerciale. Elle va même l’imposer aux Etats comme une propriété privée et la protéger par les droits de propriété intellectuelle (DPI). Outre les droits classiques comme les marques de fabrique ou de commerce, les appellations d’origine, les dessins et modèles industriels et les brevets, l’industrie pharmaceutique a innové en créant le concept d’informations non divulguées ou de renseignements non divulgués et l’imposer aux Etats qui veulent adhérer à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) comme une nouvelle branche du droit de propriété intellectuelle au sein de l’Accord sur les Aspects de Droit de Propriété Intellectuelle (ADPIC/TRIPs/OMC). Ce qui reste un exploit inédit réalisé par l’industrie pharmaceutique qui par sa solidarité nationale et internationale et son réseau de lobbies a forcé la main des Etats-Nations pour changer toutes les législations nationales et les adapter aux normes à minima que cette industrie a imposées. La protection des renseignements non-divulgués constitue un renversement des rapports de force entre les Etats-Nations et les Firmes Transnationales pharmaceutiques, qui en vertu de ce nouveau de droit de propriété intellectuelle, elles bloquent :
- le développement des génériques en refusant aux autorités sanitaires de s’appuyer sur les données cliniques des princeps, en invoquant l’obligation de « data protection »,
- le développement des contrôles indépendants des données et revendications cliniques, (data protection )
- l’accès libres par les tiers (data protection) et par les juges (secrets d’affaires), aux données déposées auprès des autorités sanitaires sauf autorisation préalable des titulaires de droits de propriété intellectuelle, et
- la transparence sur les contrats d’achat de médicaments, de vaccins et de dispositifs médicaux par les pouvoirs publics en invoquant la protection des secrets d’affaires.
L’on se pose déjà la question quant à la valeur d’une information scientifique médicale inaccessible et non vérifiée et non-vérifiable.
Cette approche de domination couvre aussi les exceptions aux droits conférés par la protection de propriété intellectuelle appelées aussi « flexibilités » qui sont des mécanismes permettant aux Etats de protéger la santé publique en cas d’épidémies ou de hausse abusive des prix des médicaments essentiels. Ces exceptions aux droits de propriété intellectuelle (Accord ADPIC/TRIPs/OMC) sont l’importation parallèle des médicaments (Article 6), l’exception Bolar (Article 30), et les licences obligatoires (Article 31). Elles sont reconnues par le droit positif. Ce droit de recours à ces flexibilités a été renié aux Etats puisque le Lobby pharmaceutique, qui est le plus grand contributeur aux élections présidentielles[10], a demandé au Président Américain Biden de punir les Etats étrangers qui encouragent la production de vaccins à bas prix[11] notamment par le recours à la Section Special 301[12] qui prive des Etats tiers ayant osé commettre cette « infraction », de lignes de crédit et de coopération.
2) Le brouillard d’information :
Il est certain que le domaine scientifique médical est dominé par l’industrie pharmaceutique. Ses liens commerciaux avec les journaux et les revues médicaux les plus connus lui permettent, d’une part, d’envahir le système par les publications qui sont en faveur de l’exploitation commerciale de ses produits et qu’elle produit par le ghostwriting, et d’autre part, d’évincer les voix indépendantes et dissidentes ou critiques quant à l’efficacité réelle et la véracité de la nocivité de ses produits. Ce flot de publications en faveur de l’industrie pharmaceutique s’apparente à une inondation de publications pro-industrie pharmaceutique. Il est associé à une politique d’isolement et de dénigrement des chercheurs et professionnels de santé critiques de l’industrie, et à une politique de création de doute[13],[14],[15] sur les critiques avec une renversement de la charge de la preuve rappelant les techniques de défenses adoptées par l’industrie du tabac concernant la nocivité des cigarettes et du tabagisme[16]. Des doutes sur l’arnaque qui a construit frauduleusement le bénéfice sanitaire de manger du bacon au petit déjeuner dont le chiffre d’affaires généré dépasse à ce jour les 35 millions de livres sterling en Grande Bretagne uniquement[17]. Malgré ce mensonge cette pratique alimentaire reste non contestée et représente une part importante des dépenses de la ménagère au niveau national et international.
John Ionnidis, illustre mathématicien et épidémiologiste enseignant chercheur à Stanford, évoque 17 millions d’articles référencés dans PubMed avec le terme « Human(s) », dont 700 000 articles se rapportent à des « essais cliniques », plus de 1.8 million comme « reviews »[18] et plus de 400 000 articles traitant de la seule COVID-19 entre 2020-2021. Comment faire pour dénicher l’information pertinente et solide parmi un million de nouvelles publications sur les êtres-humains « humans » chaque année[19] ? Et à quel «saint»/«sein» se vouer ?
3) La tripe asymétrie :
Une réalité notable est à relever. Elle consiste en le nombre considérable d’informations qui ne sont pas fiables et qui n’offrent ni de bénéfice au patient, ni d’utilité pour le décideur thérapeutique et sanitaire.
Il est désormais possible de constater la triple asymétrie exercée par l’industrie pharmaceutique pour protéger ses informations et maintenir sa domination du marché et sa supériorité sur ses parties-prenantes (Pouvoirs publics, professionnels de santé et malades).
En fait, elle segmente l’information et ne diffuse que les parties d’informations qui servent ses objectifs et intérêts commerciaux selon la capacité décisionnelle et mercantile de la partie-prenante. Les données des essais cliniques ne sont communiquées qu’aux autorités sanitaires.
Or, ces autorités manquent manifestement de méthodologistes et de biostatisticiens capables de déchiffrer les biais, et les falsifications possibles ainsi que les revendications cliniques de l’industrie pharmaceutique.
Les professionnels de santé n’y ont pas accès et ne peuvent pas les confirmer ou les infirmer. Ils ne disposent pas des compétences mathématiques et méthodologistes qui leur permettraient de juger convenablement leur pertinence scientifique[20].
Quant aux malades et leurs familles, ils sont considérés par l’industrie pharmaceutique comme incapables de les comprendre et encore moins de les juger. Ils les classent ainsi comme des consommateurs passifs ou inertes. Ce qui pourrait retentir négativement sur leur crédibilité en matière d’identification d’éventuels effets indésirables et sur la recevabilité de leurs réclamations d’iatrogénie. En même temps, cela retarderait la reconnaissance officielle de l’effet iatrogène du médicament incriminé et les mesures administratives de correction ainsi que la redevabilité de l’industrie pharmaceutique.
4) De la naïveté de la perception sociale et du mythe de « science pure » :
Dans le domaine scientifique, la recherche pour la recherche et pour la noblesse de la science est une perception naïve et irréaliste. Car pour bâtir un laboratoire de recherche, il faut beaucoup d’argent pour être conforme avec les normes techniques et sécuritaires des laboratoires. Il faut de l’argent aussi, pour payer les frais d’accès aux journaux et revues scientifiques qui sont excessivement chers. Faut-il rappeler que les chercheurs ne vivent pas de pain sec et d’eau. Ces chercheurs ont des responsabilités individuelles, familiales et sociales. Ils ont des ambitions et des rêves. Ils ont aussi le droit de vivre comme tout individu social. La réussite et la renommée d’un chercheur dépend de sa capacité à trouver les financements et à satisfaire les doléances de celui qui finance qu’il soit gouvernement ou industrie pharmaceutique. Ce financement revêt l’apparence d’un investissement qui aide le financeur (gouvernement et/ou industrie pharmaceutique) à atteindre son objectif stratégique et aide le chercheur à atteindre son objectif de notoriété académique et de publier pour éviter de périr scientifiquement (Publish or perish). A ce niveau de biais de financement, on parle de conflits d’intérêts organiques ou institutionnels créant de fait, l’ère du capitalisme académique.
5) La science à l’épreuve de l’évidence :
Il est à noter que les méthodologistes qui conçoivent les essais cliniques ont des compétences cliniques très réduites puisqu’ils ne sont pas en contact avec les malades au quotidien et que leurs approches sont souvent éloignées de la réalité quotidienne de la clinique telle qu’exercée par les professionnels de santé. Les critères inclusifs et exclusifs de la cohorte (échantillon d’individus et de malades) constituent des biais de sélection directs et indirects en faveur de l’essai clinique. La divergence des attentes relatives à un médicament diffère selon qu’il s’agisse d’industrie pharmaceutique, de professionnel de santé ou de patient. Leurs degrés de satisfaction respectifs diffèrent totalement les uns des autres.
II. Institutionnalisation de la falsification de la recherche médicale :
Elle prend racine dans l’acceptation d’études sur mesures proposées par l’industrie pharmaceutique, dans la complicité de l’Etat avec l’industrie pharmaceutique, son abus de faiblesse, son abus de dépendance et dans l’intégration des stratégies des firmes pharmaceutiques dans ses politiques publiques universitaires, industrielles et sanitaires.
1) Les études cliniques sur mesure :
Les exigences commerciales urgentes du marché pharmaceutique dévoient l’orientation de la recherche. Ainsi, des études artificielles sont conçues pour répondre à des remises en cause de certains produits pharmaceutiques dans certains effets indésirables comme l’autisme post-vaccinal contre le Papilloma virus, ou la mortalité Covid-19 induite par le paracétamol[21], ou encore l’effet tératogène de l’Acide valproïque. Bien entendu cette stratégie de riposte de l’industrie pharmaceutique s’accompagne d’une action massive de relations publiques orchestrée dans les médias grand public pour calmer les craintes, regrouper et renforcer les forces vives pro-industrie pharmaceutique et jeter un doute sur les informations critiques et hostiles à leurs produits pharmaceutiques. Hélas ce phénomène n’est pas rare. Bien au contraire.
2) La recherche scientifique médicale manipulée ou falsifiée n’est pas rare :
En effet, 15% des scientifiques ont rapporté que leurs collègues avaient falsifié des résultats de recherche au moins une fois. Plus de 70% ont déclaré que leurs pairs avaient effectué d'autres activités de recherches douteuses[22].
En fait, les méthodologistes et les épidémiologistes peuvent adapter d’emblée l’ensemble de l’investigation et ses données de recherche au résultat souhaité de plusieurs manières :
- sélectionner un petit groupe de sujets à l’avance dont les données produiront le résultat souhaité ;
- sélectionner un grand groupe et exclure les sujets qui ne correspondent pas au résultat souhaité ;
- utiliser des données partielles ou non vérifiées qui correspond au résultat souhaité ;
- sélectionner spécifiquement un groupe de sujets et prétendre qu’ils ont été choisis au hasard ;
- jouer avec les critères de sélection pour changer de groupe composition… ;
- traiter et retraiter l'ensemble de données en utilisant une variété de techniques statistiques, en choisissant celle qui produit le résultat souhaité
- faire délibérément des calculs erronés ou inappropriés et puis les omettre dans l'article publié ;
- choisir de n'inclure que les calculs qui montrent des résultats favorables et exclure d'autres qui donnent moins les résultats souhaitables.
Utiliser des données non fondées, inverser la tendance des données brutes au moyen d’ajustements statistiques non divulgués dans le cas de l’autisme post-vaccinal et autres (Madsen 2002) [23], ou rejeter des conclusions gênantes sous un prétexte spéculatif ou arbitraire comme c’était le cas de l’allergie aux vaccins (Mc Keever 2004)[24], ou utiliser des données non pertinentes ou une méthode de recherche largement inadéquate, cacher la véritable source des données et ne pas répondre aux allégations d’inconduite après la publication[25] ou utiliser des calculs arbitraires dénués de sens et scientifiquement sans fondement, utiliser une méthode de recherche qui facilite la manipulation des données et de l’analyse, voire déformer le sujet de l’étude au public[26], ou mettre des données essentielles de l’article[27]. L’amplification de l’importance et de l’utilité de l’étude et de ses données est un élément constant.
Il s’agit d’un problème systémique généré par le biais de financement de la recherche où la manipulation de la recherche épidémiologique se fait principalement soit sur les données brutes, soit sur l’analyse statistique des données brutes. Ceci est appuyé par une stratégie de l’industrie pharmaceutique d’échapper au contrôle de l’Etat, à la transparence et la redevabilité notamment à travers une justice négociée via l’arbitrage. Ce qui pose la question suivante : une justice négociée est-elle une justice ?
III. Laxisme des pouvoirs publics :
Outre la faible prise en compte et le vulnérable contrôle de l’information par les pouvoirs publics, ci-dessus évoqués, l’Etat manifeste de plus en plus :
- un abus de dépendance[28] vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique en matière de formation, d’innovation et d’offre de produits pharmaceutiques;
- un abus de faiblesse par rapport aux firmes transnationales[29] notamment en termes de besoin de poste d’emploi et de disponibilité de médicaments;
- une intégration des stratégies des très grandes entreprises dans les politiques publiques[30] respectives qu’elles soient sanitaires, industrielles, sociales, fiscales, législatives (droit de propriété intellectuelle, secrets d’affaires, brevets), judiciaires voire d’éducation (enseignement universitaire et financement de la recherche scientifique);
- une vison stratégique molle qui manque de détermination chez le politique contrairement à la très forte détermination des firmes transnationales où le lobbying de l’industrie pharmaceutique pèse lourdement sur les orientations et les décisions politiques et éclipse les politiques nationales sanitaires ;
- une immunité judiciaire des firmes pharmaceutiques[31] par rapport aux risques potentiels pouvant survenir à l’occasion d’une urgence sanitaire nationale et internationale ;
- une disproportionnalité de redevabilité entre les personnes physiques et les personnes morales ou « corporates » où les amendes financières jugées par des tribunaux à l’occasion de violations règlementaires par l’industrie pharmaceutique se chiffrent en millions de dollars alors les bénéfices qui en découlent s’élèvent en centaines de milliards de dollars par an et en billions de dollars, par décennie. Ce qui montre la forte rentabilité financière des violations réglementaires. Ceci pourrait être assimilé à un blanchiment judiciaire de fonds d’origine délictueuse et criminelle. Dans d’autres activités répréhensibles par la loi, comme la prise illégale d’intérêts, la corruption ou le blanchiment de narcodollars, l’Etat a généralement recours à la saisie des biens mal acquis. Ce qui est assez paradoxal ;
- des laboratoires pharmaceutiques multirécidivistes ont été jugés 1286 fois depuis l’année 2000 totalisant des amendes d’une valeur supérieure à 62 milliards de dollars[32],[33]. Cependant, ils continuent à participer aux appels d’offres nationaux et internationaux des marchés publics et à contracter des commandes publiques et des fonds de recherche publics en dépit d’un manque de conformité de leurs essais cliniques[34]. En revanche, une personne physique peut être refusée d’accès à un poste de travail dans le secteur public si son casier judiciaire est entaché de délits mineurs. D’où l’inégalité de redevabilité sociale et judiciaire et l’amplification des violences économiques au détriment des personnes physiques et en faveur des très grandes entreprises ;
- une déification des agences réglementaires états-uniennes (FDA) dont la réputation et le pouvoir étaient institutionnalisés[35] pour servir une stratégie réglementaire extranationale visant à faciliter l’accès aux marchés étrangers aux acteurs économiques américains et asseoir la domination des Etats-Unis en la matière. Paradoxalement, les agences nationales du médicament sont restées victimes de la diplomatie pharmaceutique des grandes puissances économiques et du faible appui public aux responsables locaux. Un appui plus qu’inadéquat voire quasi absent ! L’action publique nationale a ainsi perdu une opportunité considérable de canaliser le développement économique propice à travers cette niche technico-administrative.
IV. Le financement direct des agences du médicament par l’industrie pharmaceutique : l’erreur fatale
Rappelons que la protection de la population est la mission régalienne de l’Etat qui justifie son existence. Créer une agence sanitaire pour garantir l’efficacité et la sécurité des aliments et des médicaments suppose que l’Etat doit lui garantir son indépendance financière et décisionnelle pour la protéger de l’influence politique et du lobbying d’une part et de l’influence de l’industrie pharmaceutique, d’une autre part. Substituer ce financement du budget de l’Etat par celui de l’industrie pharmaceutique revient à transformer les frais de demande d’AMM en recettes pures pour l’Etat. Ce qui amplifie l’abus de dépendance de l’Etat aux firmes pharmaceutiques qui s’ajoute à l’abus de faiblesse de l’Etat, en matière d’information. Cette relation de financement direct entre l’industrie pharmaceutique et les autorités de santé est fort problématique. Elle constitue une source dangereuse de pression sur le financement des autorités sanitaires et de conflit d’intérêt. Ce qui suppose que la loyauté des agences sanitaires est de plus en plus détournée en faveur de l’industrie pharmaceutique et non plus en faveur de la protection de la santé publique. Ce même modèle de financement direct est utilisé par l’industrie pharmaceutique pour mettre en place sa politique de marché en finançant les sociétés savantes et la formation des professionnels de santé afin d’orienter et socialiser les pratiques de prescription médicamenteuses en faveur de sa politique commerciale. D’où la naissance du second risque de conflit d’intérêt.
Par ailleurs, les problèmes d’efficacité et de sécurité des médicaments sont convertibles en coûts de prise en charge des effets indésirables supportés exclusivement par le patient, sa famille et la collectivité (Caisses d’assurance maladie). Ces coûts restent bien sous-évalués et non étudiés d’un point de vue d’économie de la santé et de rentabilité Coût/Bénéfice et Risque/Bénéfice.
Jusque-là, l’idée de taxer les médicaments paraissait non-éthique voire immorale car l’image donnée est de rajouter la peine de la taxe à celle de la maladie. Mais à bien y penser, tout le système décisionnel mis en place pour protéger la santé publique a été dévoyé par le financement direct des autorités de santé et des professionnels de santé.
L’idée à préconiser serait d’arrêter ces financements directs réalisés par l’industrie pharmaceutique aux agences de santé et aux professionnels de santé, de substituer ces frais par des taxes partagées entre l’industrie et le patient, et de créer une entité administrative qui serait chargée de la formation initiale et continue du personnel de la santé selon les orientations stratégiques et les politiques publiques sanitaires arrêtées. Un tel changement de financement éliminerait du marché un grand nombre de médicaments[36] inutiles et dangereux (psychotropes, statines…) et mettrait de l’ordre dans les protocoles thérapeutiques financés et mis en place par l’industrie pharmaceutique.
V. Défaillance et capture des autorités sanitaires de référence :
Il est utile de rappeler que les autorités sanitaires ont une obligation légale de protéger le public et de s’assurer que les avantages des médicaments l’emportent sur les inconvénients avant d’être commercialisés auprès du public. En revanche, l’industrie pharmaceutique a une obligation uniquement de résultats de rentabilité envers ses actionnaires. D’où, la divergence d’objectifs et la contradiction des missions. Les autorités de santé sont créées pour contrôler l’industrie pharmaceutique. Malheureusement, c’est le contraire qui se passe, que ce soit directement à travers la pression des lobbyistes sur les politiques (le pouvoir exécutif), ou indirectement à travers les experts.
Certaines autorités sanitaires comme la FDA[37] et l’EMA[38] ont acquis un statut d’institutions supranationales puisque les Autorisations de Mise sur le Marché qu’elles délivrent sont adoptées par d’autres pays. La Tunisie par exemple exige une attestation délivrée par les autorités compétentes certifiant que le médicament est commercialisé dans le pays d’origine et une copie de la licence d’exploitation ou équivalent délivrée par les autorités compétentes du pays d’origine[39]. Ces éléments sont reportés au niveau du Guide d’Enregistrement des Médicaments[40] élaboré par la DPM[41]. Cette procédure administrative permet d’accélérer la commercialisation de médicaments innovants. Elle est fondée sur la confiance et la réputation de sérieux, de telles institutions véhiculées par leurs gouvernements respectifs.
Cependant, les dernières nouvelles ne sont guère rassurantes. Le rapport n°A-06-21-07000 publié en août 2022 par le Department of Health and Human Services, Office of Inspector General souligne des manquements du NIH (National Institutes of Health) et des non-conformités par rapport aux lois fédérales. Il faut rappeler dans ce contexte, que le NIH est le plus grand financeur au monde de recherche médicale. L’Office of Inspector General lui reproche d’avoir fermé les yeux sur des violations des bonnes pratiques de recherche cliniques ayant permis à des contrevenants de recevoir des fonds publics malgré la non-conformité de leurs pratiques[42],[43].
La FDA, pour sa part, souffre d’une dépendance croissante à l'égard de l'argent de l'industrie pharmaceutique ce qui a entraîné une baisse significative des normes de preuve de la FDA adoptées dans l'approbation des médicaments. Le besoin d’accélération de l’octroi des AMM depuis la promulgation de la loi de 1992 sur les frais d'utilisation des médicaments sur ordonnance (PDUFA), a fragilisé son indépendance et a augmenté sa vulnérabilité à la pression exercée à la fois par l’industrie pharmaceutique et par les politiques ayant bénéficié des financements idoines de leurs campagnes électorales.
Les opérations de la FDA sont maintenues à flot en grande partie par les frais de l'industrie qui ont été multipliés par plus de 30, passant d'environ 29 millions de dollars en 1993 à 884 millions de dollars en 2016.
En 1988, seuls 4 % des nouveaux médicaments introduits sur le marché mondial ont d'abord été approuvés par la FDA. Cette proportion a atteint la proportion de 66% en 1998, après le changement de sa structure de financement.
La FDA a même conçu quatre procédures pour accélérer l’octroi des AMM : Fast Track (voie rapide), Priority Review (examen prioritaire), Accelerated Approval (approbation accélérée, le cas des vaccins anti-Covid-19) et Breakthrough Therapy (thérapie révolutionnaire). En conséquence, la majorité (68 %) de tous les nouveaux médicaments sont approuvés par la FDA via ces voies accélérées[44] au détriment du niveau de preuves de sécurité et d’efficacité.
La réduction du niveau de preuve s’aggrave par :
- le recours croissant aux « résultats de substitution », et aux « études post-AMM » et
- la réduction du recours aux « essais pivots »
1) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par l’augmentation de recours aux « résultats de substitution » :
Pour les approbations accélérées de médicaments, la FDA accepte l'utilisation de résultats de substitution (comme un test de laboratoire) comme substitut aux résultats cliniques. Une sorte de règle de trois qui admet les résultats in vitro comme étant équivalents à ceux in vivo et l’on oublie que l’être humain est très différent d’une culture sur boite de pétri.
Par exemple, la FDA a récemment autorisé l'utilisation de vaccins à ARNm chez les nourrissons sur la base des niveaux d'anticorps neutralisants (un résultat de substitution), plutôt que sur des avantages cliniques significatifs tels que la prévention de cas Covid graves ou l'hospitalisation. Dans ce même contexte, la découverte d'ARNm dans le lait maternel illustre à quel point la sécurité des vaccins covid a été survendue[45].
L'année dernière également, la FDA a approuvé un médicament contre la maladie d'Alzheimer (Aducanumab) basé sur des niveaux inférieurs de protéine β-amyloïde (encore une fois, un résultat de substitution) plutôt que sur une amélioration clinique pour les patients. Un membre consultatif de la FDA qui a démissionné à la suite de la controverse et a déclaré qu'il s'agissait de la "pire décision d'approbation de médicament de l'histoire récente des États-Unis".
Cette norme de preuve inférieure devient de plus en plus courante. Une analyse du JAMA[46] a révélé que 44 % des médicaments approuvés entre 2005 et 2012 étaient soutenus par des résultats de substitution (inférieurs), mais que ce chiffre est passé à 60 % entre 2015 et 2017.
Ce qui représente un énorme avantage pour l'industrie pharmaceutique, car les approbations de médicaments peuvent être basées sur des essais cliniques moins nombreux, plus petits et moins rigoureux.
2) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par l’augmentation de recours aux « les études post-AMM » :
Du fait de l’approbation accélérée, la FDA autorise la mise sur le marché des médicaments avant que l'efficacité n'ait été prouvée à condition que les fabricants doivent accepter de mener des études «post-autorisation » (ou des essais de confirmation de phase IV) pour confirmer les bénéfices attendus du médicament. S'il s'avère qu'il n'y a aucun avantage, l'approbation du médicament peut être annulée.
Malheureusement, de nombreux essais de confirmation n’ont jamais été réalisés[47], ou prennent des années à se terminer et certains ne parviennent pas à confirmer que le médicament est bénéfique.
Cependant, la FDA impose rarement des sanctions aux entreprises pour non-respect des règles, les médicaments sont rarement retirés et lorsque des sanctions sont appliquées, elles sont minimes.
3) La réduction du niveau de preuves d’efficacité et de sécurité par la baisse de recours aux « essais pivots » :
Traditionnellement, la FDA exigeait au moins deux « essais pivots » pour l'approbation du médicament, qui sont généralement des essais cliniques de phase III avec environ 30 000 sujets destinés à confirmer l'innocuité et l'efficacité du médicament.
Mais une étude récente[48] a révélé que le nombre d'approbations de médicaments appuyées par deux essais pivots ou plus est passé de 81 % en 1995-1997 à 53 % en 2015-2017.
D'autres aspects importants de la conception des essais pivots tels que le « double aveugle » sont passés de 80% en 1995-1997 à 68% en 2015-2017 et la « randomisation[49]» est passée de 94% à 82% au cours de cette période.
De même, une autre étude[50] a révélé que sur les 49 nouvelles thérapies approuvées en 2020, plus de la moitié (57 %) étaient basées sur un seul essai pivot, 24 % n'avaient pas de composante de randomisation et près de 40 % n'étaient pas en double aveugle.
Tous ces aspects fragilisent la confiance, le pouvoir et la notoriété construite sur plus de soixante ans de ces institutions sanitaires à vocation supranationale. Paradoxalement, elle alimente la méfiance non seulement à l’égard de l’agence du médicament mais aussi à l’égard de la sécurité et de l’efficacité du médicament, en général.
VI. Conclusion :
Ces agences sanitaires de référence ressemblent beaucoup plus à des géants aux pieds d’argile. L’ampleur des dégâts causés par la désinformation[51] réalisée par l’industrie pharmaceutique, et la mésinformation relayée par les professionnels de la santé et les sociétés savantes explique l’inefficacité et l’inaction publique en matière de santé.
La survenue de la pandémie de la Covid-19 a cristallisé le degré de capture des scientifiques médicaux et a montré leur niveau d’ignorance ce qui met en doute leur expertise. Il en résulte une altération des décisions politiques et du comportement des médias.
Ce papier ne constitue en aucun cas une expression de la culture du blâme. Au contraire, il vise à :
- consolider les acquis et les progrès réalisés en termes d’indicateurs de santé ;
- disséquer ce que nous avons appris des dernières décennies sans le perpétuer;
- apprendre à mieux gouverner la santé publique dans un brouillard d’information et
- corriger le désordre de l’information médicale et ses lourds dégâts en termes de santé et de finances publiques.
Upton Sinclair, La Jungle (New York: GROSSET & DUNLAP PUBLISHERS, 1906).
[2] https://www.ema.europa.eu/en/documents/scientific-guideline/ich-guideline-m4-r4-common-technical-document-ctd-registration-pharmaceuticals-human-use_en.pdf
[3] http://www.dpm.tn/images/pdf/guide_dpm.pdf
[4] Derek Pua et al., Unit 731: The Forgotten Asian Auschwitz, 2e édition (Pacific Atrocities Education, 2019).
[5] Hal Gold, Unit 731 Testimony (Tokyo: Yenbooks,Japan, 1995).
[6] Zhaohui Su et al., « The Promise and Perils of Unit 731 Data to Advance COVID-19 Research », BMJ Global Health 6, no 5 (1 mai 2021): e004772, https://doi.org/10.1136/bmjgh-2020-004772.
[7] Martin A. Makary et Michael Daniel, « Medical Error—the Third Leading Cause of Death in the US », BMJ 353 (3 mai 2016): i2139, https://doi.org/10.1136/bmj.i2139.
[8] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0895435622001007
[9] https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.0020124
[10] https://www.opensecrets.org/industries/indus.php?ind=H04
[11] Lee Fang March 3 2021 et 7:06 P.m, « Drug Lobby Asks Biden to Punish Foreign Countries Pushing for Low-Cost Vaccines », The Intercept, consulté le 20 janvier 2023, https://theintercept.com/2021/03/03/vaccine-coronavirus-big-pharma-biden/.
[12] « Special 301 », United States Trade Representative, consulté le 20 janvier 2023, http://ustr.gov/issue-areas/intellectual-property/special-301.
[13] Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Climate Change, Reprint edition (New York, NY: Bloomsbury Publishing, 2011).
[14] David Michaels, Doubt Is Their Product: How Industry’s Assault on Science Threatens Your Health (Oxford University Press, 2008).
[15] David Michaels, The Triumph of Doubt: Dark Money and the Science of Deception, 1st edition (New York, NY: Oxford University Press, 2020).
[16] https://www.statnews.com/2018/01/30/pharmaceutical-industry-fake-news-tobacco/
On en verrait des vertes et des pas mûres... Particulièrement dans le secteur très juteux des médicaments vétérinaires. .
Du nerf M. le Ministre. ..