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La destitution de Mohamed Morsi divise les Tunisiens
04/07/2013 | 1
min
La destitution de Mohamed Morsi divise les Tunisiens
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Coup d’Etat comme le qualifient les CPR et Ennahdha ou rectification du processus, comme le qualifient les démocrates et les syndicats ? Certains considèrent que ce qui se passe en Egypte est tout à fait légitime, d’autres estiment que c’est totalement contradictoire à l’esprit démocratique. Une chose est sûre, la destitution du président égyptien Mohamed Morsi ne laisse pas les Tunisiens indifférents.
Certains rêvent de voir l’exemple égyptien transposé en Tunisie, d’autres en rient et d’autres en ont peur.


Exit la constitution et ses débats, exit la liberté d’expression et le procès d’Amina, exit la visite d’Etat de François Hollande. Depuis la chute de Mohamed Morsi, les Tunisiens n’ont d’yeux et d’analyses que pour l’Egypte. Cette Egypte, qui a suivi la Tunisie dans sa révolution de 2011, est en train de prendre un grand virage. Un virage dangereux, selon les uns, un virage salvateur pour les autres.
Ennahdha, parti islamiste au pouvoir en Tunisie, a cité six fois le mot légitimité dans son communiqué contestant, en mots assez durs, ce renversement et fait une totale abstraction des manifestations de 17 millions d’Egyptiens. Le parti islamiste parle des manifestations de soutien au gouvernement, par millions, et proteste contre les arrestations des journalistes et proches du pouvoir.
Son dirigeant Rached Ghannouchi déclarera, plus tôt, que la jeunesse tunisienne perd son temps si elle croit qu’elle peut reproduire le scénario égyptien.
Si Ennahdha s’est gardé de prononcer le mot Armée et de qualifier la destitution de Mohamed Morsi par coup d’Etat, il n’en est pas de même pour son acolyte CPR. Le parti du président de la République condamne ce coup d’Etat contre la marche démocratique considérant l’action des dirigeants militaires comme une défaite de la révolution égyptienne et une tentative de rétablir l’ancien régime, indique un communiqué du parti. C’est pourtant ce même CPR qui crie depuis des mois le mot révolution et volonté du peuple. 17 millions de manifestants ne figurent pas dans le peuple, si l’on suit le raisonnement du CPR.

Chez l’opposition tunisienne, les échos sont totalement différents. A Nidaa Tounes, principale force politique tunisienne actuellement, on applaudit cette rectification du processus qui a permis au peuple égyptien d’affirmer sa position dans un esprit pacifique et de récupérer sa révolution. Béji Caïd Essebsi rappelle les principales raisons qui ont motivé ce peuple égyptien à descendre dans la rue, à savoir que les revendications de la révolution (emploi, dignité, liberté) n’ont pas été respectées. «Il n’y a plus de dialogue et le consensus national est devenu impossible, a indiqué BCE. La révolution s’est transformée en recherche de l’identité, violence et terrorisme. »
Quant à la légitimité électorale, elle perd tout son sens aux yeux de M. Caïd Essebsi, dès lors que le pouvoir dévie de ce pour quoi il a été élu et ne peut plus assurer le consensus.
C’est le même son de cloche que l’on trouve chez l’UGTT, principale force syndicale en Tunisie.
Houcine Abassi félicite le peuple égyptien qui a « su imposer sa légitimité et sa volonté, par son union. Il a rappelé que c’est lui qui accorde la légitimité et c’est lui qui la retire chaque fois que le dirigeant oublie les revendications de la révolution et les promesses électorales ».

Dans la rue, on observera les mêmes divisions avec des opinions radicalement différentes. Aussitôt après l’annonce de l’éjection de Mohamed Morsi, des Tunisiens sont allés applaudir devant l’ambassade d’Egypte à Tunis.
En revanche, d’autres appelaient à organiser dès le lendemain (soit ce matin) une manifestation de soutien au pouvoir islamiste déchu.
Sur les réseaux sociaux, les Islamistes et proches du CPR n’ont pas de mots assez durs pour qualifier cette destitution et s’en prennent allégrement à l’armée, aux laïcs et aux démocrates de la gauche, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte. Parmi eux, on retrouve même des personnalités politiques et des groupes proches du parti au pouvoir (voir notre article à ce sujet).

Pour ce qui est de l’argumentation, les différends ne sont pas prêts à être résolus pour bientôt. C’est un véritable langage de sourds.
Pour les uns, la légitimité des urnes ne compte pas devant la légitimité de la rue. On rappelle ce qui s’est passé en Belgique, en Grèce ou en Espagne où les dirigeants de ces pays, démocratiquement élus, ont dû quitter le pouvoir face à la pression de la rue. Les cas de la France ont été souvent cités avec Charles de Gaulle en 1969 et Jacques Chirac en 1997.
A ceux qui parlent de coup d’Etat, on leur oppose le 14-janvier qui pourrait être assimilé à un coup d’Etat également. Mais si l’on accepte l’idée que le 14-janvier était une révolution du peuple, il faudrait alors accepter que c’est la même chose qui a eu lieu en Egypte cette semaine.
Ils rappellent que Morsi n’a pas été destitué de suite et qu’on lui a lancé plusieurs avertissements préalables pour rectifier le tir.
Dans l’autre camp, proche du pouvoir, on rejette en bloc cette argumentation pour ne retenir que la question de la légitimité des urnes et qu’il est hors de question que ce qui s’est passé en Egypte soit importé en Tunisie.
Ce à quoi les sympathisants de l’opposition répondent que la légitimité des urnes en Egypte peut, à la limite, être discutée, mais pas celle en Tunisie puisque le pouvoir actuel a perdu la sienne depuis le 23 octobre 2012 et qu’il a largement dépassé ses prérogatives et ce pour quoi il a été élu.

Comment voit-on l’avenir ? Certains « révolutionnaires » appellent à serrer la vis devant les « ennemis de la légitimité » en mettant hors circuit les médias, les magistrats et ceux qui ont collaboré avec Ben Ali. D’autres disent qu’il faut savoir maintenant calmer le jeu et ne pas pousser trop loin le bouchon. La loi d’immunisation de la révolution devrait ainsi passer aux oubliettes, pronostiquent quelques observateurs.
Chez les démocrates et les laïcs, la joie est à son comble et on commence à rêver sérieusement de voir l’armée tunisienne prendre le chemin de son homologue égyptienne.

Raouf Ben Hédi

Crédit photo : www.lefigaro.fr
04/07/2013 | 1
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